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Voilà un sujet de
thèse intéressant pour un doctorant en sociologie des
idées: pourquoi est-ce dans deux des sociétés où
des élites intellectuelles de gauche jouissent de l’ascendant le
plus important sur leurs continents respectifs, nommément le
Québec et la France, que l’on entend le plus souvent ces
mêmes élites se plaindre de la prétendue domination de la
pensée « ultralibérale »? Depuis
qu’Ignacio Ramonet a popularisé la notion de
« pensée unique » dans les années 1990,
les gauchistes déplorent constamment ne plus avoir voix au chapitre
dans un discours économique ambiant caractérisé par une
absence de pluralisme.
C’est ce que
répétaient encore une fois les signataires du manifeste Pour
une autre vision de l’économie dans Le
Devoir du 9 février dernier, accusant au passage
« l’appareil de propagande idéologique »
que constitue l’Institut économique de Montréal de se
faire la courroie de transmission de cette vision dominante au Québec.
En tant que directeur
des publications de l’IEDM pendant sept ans jusqu’à
l’année dernière, et directeur de la seule publication
québécoise qui défend systématiquement la
liberté individuelle et le libre marché depuis une décennie,
je suis certes un peu flatté qu’on nous prête, à
moi et à mes collègues, autant d’influence. Mais on ne
sera pas surpris que mon constat soit complètement différent.
De mon point de vue,
nos idées sont au contraire encore très minoritaires dans le
paysage médiatique et politique québécois.
Évidemment, on observe des étincelles de bon sens qui
relèvent du libéralisme économique ici et là, y
compris dans les propos de la chef péquiste lorsqu’elle
déclarait ces derniers jours qu’il fallait «rendre attrayant
l'investissement privé» en abolissant la taxe sur le capital et
en diminuant le fardeau fiscal des entreprises.
Mais mettez de
côté ces exceptions, qui ne sont qu’une reconnaissance du
fait qu’il faut bien permettre au secteur privé de créer
de la richesse si le gouvernement veut ensuite pouvoir la siphonner plus
allègrement, et tous les débats ne portent que sur des
variantes de solutions interventionnistes. Année après
année, nous débattons de la dernière proposition de
réforme bureaucratique pour régler la « crise de la
santé » et la « crise de l’éducation »,
sans vraiment remettre en question la nationalisation de ces secteurs. Chacun
y va de sa méthode la plus efficace pour subventionner les
régions sinistrées, les petites entreprises, les grosses
entreprises étrangères qui viennent s’installer chez nous,
l’économie sociale, la nouvelle économie, la culture, et
quoi encore. Rien ne se passe au Québec sans que l’État y
soit impliqué d’une façon ou d’une autre.
La philosophie
libertarienne, l’héritière du libéralisme
classique, a tellement peu droit de cité dans les médias que la
plupart du temps, lorsqu’on en parle (pour décrire par exemple
le candidat à l’investiture républicaine Ron Paul), on
traduit le terme par « libertaire », ce qui signifie
plutôt anarchiste de gauche.
Les idées de gauche dominent
tellement les débats qu’on fourre tout ce qui semble
différent sous le vocable pratique de
« néolibéral » sans prendre la peine de
distinguer entre les courants d’idée. Ainsi, les signataires du
manifeste prétendent que le néolibéralisme cible certaines
formes d'intervention publique mais que « d'autres interventions
sont toujours bien prisées: par exemple, les subventions aux
entreprises et les dépenses militaires ». Ils confondent
toutefois les défenseurs cohérents du libre marché avec
les parasites subventionnés du monde des affaires et avec les
néoconservateurs pro-guerre.
La
réalité est que l’IEDM n’a jamais émis
d’opinion favorable à ces deux types de dépenses, et a au
contraire publié en 2006 une Note économique sur
l’inefficacité des subventions aux entreprises. Dans mon
magazine Internet, je dénonce depuis longtemps tout type
d’interventionnisme étatique, y compris les subventions et les
guerres inutiles du président le plus étatiste et
interventionniste des 40 dernières années, George W. Bush.
Ce qu’expriment
les signataires est en réalité moins leur exclusion des
débats que leur désarroi devant la perte du monopole
idéologique dont eux et leurs prédécesseurs jouissaient
encore jusqu’à ce que leurs solutions étatistes frappent
un mur à partir des années 1970. Et, plus important encore,
leur incapacité à adapter leur discours pour le rendre plus
pertinent dans le monde où nous vivons aujourd’hui.
Selon eux, il
n’existe pas de lois économiques, l’économie n’est
qu’une « construction sociale ». Ce qui signifie
qu’il suffit de vraiment vouloir collectivement quelque chose –
un système de santé gratuit et universel où il n’y
a aucune file d’attente par exemple – pour que nos valeurs et
représentations se concrétisent dans des
« arrangements sociaux » correspondants. Mais les
sceptiques et les rabat-joie qui soulèvent les problèmes que
cela pose viennent semer le doute et la pagaille au sein du bon peuple et
empêchent la réalisation de cette « vision
partagée ». Dans d’autres sociétés
moins démocratiques, on envoyait ces empêcheurs de tourner en
rond au goulag; ici, on les accuse de monopoliser le débat!
Que les partisans de
cette « autre vision de l’économie » le
veuillent ou non, l’ère de l’enthousiasme populaire envers
la social-démocratie triomphante est bel et bien terminée. Nous
vivons aujourd’hui les effets pervers de l’étatisation de
l’économie et de la société qui s’est
poursuivie pendant tout le 20e siècle. Les critiques de ce
phénomène ne vont pas disparaître. Au contraire, la
mondialisation nous permet de plus en plus de trouver des alternatives aux
monopoles étatiques qu’on nous impose et de miner la
légitimité de ces derniers. Et Internet permet de contourner le
quasi monopole sur les idées qu’exerçaient
jusqu’à récemment les diverses variantes de
collectivisme.
Nous sommes dans une
ère de concurrence de plus en plus forte non seulement entre les
producteurs de biens et services, mais aussi les producteurs
d’idées. Et je suis tout à fait optimiste: à
terme, les meilleurs vont finir par l’emporter!
* Un groupe de quelques centaines
d’illettrés économiques de gauche, dont plusieurs qui se
prétendent économistes, ont récemment lancé un
vaporeux manifeste « pour une autre vision de l’économie
», dont un long extrait était publié le samedi 9
février dans le quotidien Le Devoir. À chaque deux ou
trois ans depuis une douzaine d’années, je soumets naïvement
un article d’opinion à ce journal ou à La Presse,
me fiant à leur prétention d’être ouverts à
tous les courants d’idée et de vouloir encourager les
débats. Me sentant directement visé par certaines affirmations
de ce manifeste, j’ai donc proposé la réplique suivante
au Devoir au début de la semaine. Sans surprise cette fois
encore, la direction du journal n’a toutefois pas jugé pertinent
de le publier dans sa page Opinion. Un refus qui vient toutefois confirmer
mon propos et qui contredit les prétentions absurdes des signataires
du manifeste.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
Martin
Masse est né à Joliette en 1965. Il est diplômé de
l'Université McGill en science politique et en études
est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine libertarien Le Québécois Libre en
février 1998. Il a été directeur des publications
à l’Institut économique de Montréal de 2000
à 2007. Il a traduit en 2003 le best-seller international de Johan
Norberg, Plaidoyer pour la
mondialisation capitaliste, publié au Québec par
l'Institut économique de Montréal avec les Éditions
St-Martin et chez Plon en France.
Les vues présentées par l’auteur
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