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Omniprésent,
le mot crise est devenu galvaudé et on évite en
conséquence de l’utiliser. C’est à partir de ce
constat – modestement partagé par l’auteur –
qu’Alphaville, le blog phare du Financial
Times, a engagé une consultation de ses lecteurs pour lui trouver un
remplaçant. La liste est longue des propositions qui ont
été faites, mais autant dire tout de suite que le vainqueur
est… La Grande Perdition, en référence
transparente à la Grande Dépression.
Comment,
à ce propos, se porte le plan A des autorités
européennes ?
Ce
serait tomber dans le piège de l’arrogance que de commencer ce
survol par l’appel de 16 riches Français à être mis
à contribution, appel publié la veille de l’annonce du
plan d’austérité gouvernemental et au lendemain
d’une déclaration de Jean-François Copé, patron du
parti gouvernemental UMP, favorable à « une contribution exceptionnelle
» (souligné par moi), qui reprenait la balle au bond suite
à une tribune de Maurice Lévy, PDG de Publicis, qui avait
utilisé le même mot.
Appel
éminemment louable bien entendu dans son esprit, mais à
condition sans doute d’en ignorer les termes : la contrepartie
exigée, si l’on comprend bien, par Maurice Lévy, au nom
de ces 16 riches Français : « une vraie, une sérieuse,
une profonde réforme de nos structures administratives et de nos
systèmes sociaux, pour pouvoir à l’avenir réduire
drastiquement nos coûts… ». Pour qu’il n’y ait
pas d’ambiguïté, il ajoutait : « Osons nous attaquer
aux vaches sacrées ». Décidément, les grands
gestes généreux et désintéressés ne sont
plus ce qu’ils étaient !
Dans
le même ordre d’idée, Umberto Bossi, le chef de la Ligue
du Nord et par ailleurs membre de la coalition gouvernementale,
annonçait que le système italien était
« condamné à mort ». Il n’entendait
pas par là le système financier, mais la redistribution au Sud
de la richesse du Nord du pays, via Rome, pour lui opposer la création
de la Padanie. Les riches
préfèrent vivre entre eux, dans leurs aises et en
sécurité, et abandonner les autres à leur
déshérence. C’est un phénomène
appelé à trouver d’autres illustrations par chez nous,
que l’on rencontre fréquemment dans les pays émergents.
Sur
le départ, en Espagne, José Luis Rodriguez Zapatero a
trouvé son cadeau d’adieu. Il propose une réforme de la
Constitution afin d’y inscrire « une règle pour
garantir la stabilité budgétaire », une mesure
destinée à « renforcer la confiance à moyen
et long terme dans l’économie espagnole ». A court
terme non ?
Laurence
Parisot, présidente du Medef, a
d’autres plans. Déterminée à aller chercher des
points de croissance, selon cette absurde expression, elle est dans son
rôle en affirmant qu’il ne faut pas
« pénaliser les entreprises », concédant
toutefois qu’il y a peut-être des marges de manœuvre pour
les grandes entreprises (dont on connaît les résultats),
à condition de ne pas entraver leur compétitivité. Vient
la suite, qui annonce les intentions. Des délégations de
service public au secteur privé pourraient être
envisagées, car « cela permettrait à
l’État de moins dépenser ». Qu’elle ne
cherche pas plus loin, elle a trouvé ses points de croissance !
Ces
louables intentions ne doivent toutefois pas faire oublier la poursuite de La
Grande Perdition. Claquée, la porte des Euro-obligations est
depuis cadenassée par Angela Merkel, la
Bundesbank et les libéraux allemands, entraînant Wolfgang Schaüble, le ministre des finances – qui
n’y serait pas opposé à titre personnel – à
en repousser l’éventuelle création à la Saint
Glinglin.
La
solidité du Fonds de stabilité financière
européen (FESF) lui-même – seul canot de sauvetage de
disponible dans la tempête – est menacée par
Moody’s, qui prévient que les garanties consenties par la
Grèce à la Finlande pour qu’elle participe à son sauvetage,
ainsi que la demande identique d’autres pays, fissurent l’union
des États de la zone euro et « suscitent des
préoccupations supplémentaires à propos de la nature et
de l’évolution du mécanisme actuel de soutien
financier ». A la clé, le FSFE pourrait perdre sa note AAA,
le montage financier monté à grand peine risquant alors de ne
plus fonctionner.
Maria
Fekter, la ministre autrichienne des finances,
vient de mettre à ce sujet de l’huile sur le feu, en
déclarant que « L’Autriche a toujours
été claire sur ce point: s’il y a des garanties pour un
pays, alors tous les autres doivent être traités de la
même façon »…
La
ratification par les Parlements européens des décisions du
sommet des chefs d’État et de gouvernement du 21 juillet dernier
reste par ailleurs à accomplir, notamment en Allemagne, dans des
délais qui sont partis pour s’allonger. Cela ne fait pas
l’affaire de la BCE qui, en attendant le relais du FESF, est
coincée et doit continuer à soutenir le marché
obligataire. Le cap des 100 milliards d’achats sur le marché
secondaire a été dépassé. Ewald Nowotny, le gouverneur autrichien de la banque centrale,
a ainsi déjà reconnu que l’échéance
convenue de la fin octobre risquait de ne pas pouvoir être
respectée.
Et
les banques, comment se portent-elles ? Elles se remettent péniblement
de leurs émotions et les plus atteintes survivent grâce aux
liquidités de la BCE. L’une d’entre elles a failli chuter
en Grèce, que ses consœurs ont sauvée. La
Société Générale a demandé le soutien de
la banque Rotschild. Il se confirme que les fonds
monétaires américains prennent leurs précautions et
assèchent les liquidités des mégabanques
européennes. La première qui craquera aura une tapette !
En
réalité, en guise de plan A, les autorités naviguent
totalement à vue.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ » qui
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