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1.
"Acte d'échange" et monnaie.
Dans son livre intitulé Economie
politique, tome 1, 8ème éd., 1969 (1ère ed.
1955), 723 p., Raymond Barre - futur Premier ministre du gouvernement de
l'Etat de la France (1976-1981) - prenait soin de décrire le "processus d'activité
économique" (pp.15-19) et de l'articuler à ce
dont il résultait, à savoir, selon lui, la "loi de saturation des besoins"
(ou "loi
d'intensité décroissante"), les "actes de production",
les "actes
d'échange" et la "consommation".
a) Comment définissait-il les "actes
d'échange" ?
En quelques lignes et en ces termes :
"Les actes d'échange sont ceux par lesquels les individus se
fournissent mutuellement les biens et services capables de satisfaire leurs
besoins respectifs.
Chaque individu est à la fois, en effet, producteur de biens et de
services et consommateur de biens et de services. Le boulanger est aussi
acheteur de viande et consomme les services du coiffeur.
Les échanges seront donc plus ou moins complexes suivant le
degré de spécialisation des activités. Le monde moderne
a vu se développer une division du travail qui a accru les
échanges." (pp.18-19)
Force est de constater que la définition de l'"acte
d'échange" était pour le moins économiquement floue... Elle
n'était pas, en particulier, autonome par rapport aux "actes de
production" et à ... la "consommation".
b) Elle était d'autant plus floue qu'après ces quelques mots,
sans transition, Barre évoquait, immédiatement, dans le
même paragraphe, la monnaie, en ces termes :
"[Les échanges] sont facilités par l'usage de la monnaie
qui substitue à l'échange direct, ou troc, l'échange
indirect : la monnaie accroît la souplesse et la flexibilité des
transactions économiques.
Mais la monnaie n'est pas seulement un bien d'échange. Elle a une
utilité spécifique qui provient de ce qu'elle est la
liquidité par excellence.
Toute personne dont la richesse se compose de biens réels immobiliers
(terres, maisons), ou de titres (actions de sociétés ;
obligations ; titres d'Etat), doit, si elle veut négocier ces biens ou
titres, les liquider, c'est-à-dire les transformer en monnaie. La
monnaie, elle, est négociable sur-le-champ contre tout autre bien.
Elle rend donc des services particuliers aux individus : elle leur permet de
faire face à leurs besoins de trésorerie, de parer à des
risques imprévus, de procéder sans délai à des
achats favorables de biens ou de^titres, compte tenu des variations de prix.
Aussi les individus ont-ils intérêt à se constituer et
à détenir des encaisses de monnaie.
Bien d'échange, la monnaie est aussi un instrument d'encaisse. La
monnaie se présente soit sous la forme de monnaie métallique
(pièces de monnaie divisionnaire), soit sous la forme de billets de
banque, soit sous la forme de chèques ou de virements de comptes
bancaires ou de comptes de chèques postaux. Elle comprend donc
l'ensemble des moyens de paiement utilisés par remise
matérielle ou par jeux d'écriture." (p.19)
Là encore, on peut considérer que la définition de la
monnaie donnée par Barre était économiquement floue... même si
elle faisait intervenir les poncifs habituels de certaines écoles de
pensée économiques.
Il faisait en effet référence aux "fonctions" de la
monnaie et à la "comptabilité bancaire".
Mais les "fonctions" de quoi que ce soit ne sont pas un concept
explicatif ordinaire de la théorie économique. Pourquoi
l'introduire sans réserve à l'occasion de la prise en
considération de la monnaie ? Il n'explique en définitive rien.
Quant à la "comptabilité bancaire", elle n'a plus de
comptabilité que le nom depuis la décennie 1930 (cf.
ci-dessous).
Une preuve en est que ses règles varient d'un pays à un autre,
voire d'un temps à un autre.
Autre preuve : les dégâts que ses différentes
formulations nationales révélés au début de la
décennie 2000 - en particulier avec le "fameux" "hors
bilan" - et ce ne fut pas fini.
Soit dit en passant, dans les sept cents pages restantes du livre, il n'est
plus question d'"acte d'échange" ! Pourquoi y avoir fait
allusion alors aux pages citées ?
c) Des définitions précises
de l'acte d'échange et de la monnaie eussent fait intervenir des
concepts économiques ordinaires (coût d'opportunité,
profit attendu avec incertitude, marché - conclu ou non -, prix
d'échange, équilibre, etc.) et non pas les
éléments cités qui tiennent finalement de la
rhétorique inexpressive et du manque de maturité des
écoles de pensée économiques qui en font leurs choux
gras.
Certes, s'agissant de la monnaie, Barre parle de l'échange direct et de
l'échange indirect, mais il ne les a pas définis au
préalable : il ne cite même pas, à l'appui, les
écrits de Ludwig von Mises pour éclairer le
lecteur, par exemple, Human
Action.
2. Tout cela pour en
arriver où ?
"... Tout cela pour en arriver où ?" devez-vous vous
demander, cher lecteur.
Ma réponse à la question est la suivante :
l'acte d'échange et la monnaie sont des considérations
économiques essentielles, des concepts théoriques mais mis sous
l'éteignoir par les écoles de pensée économiques,
fussent-elles contradictoires, qui font l'opinion... Et c'est ceci en
vérité leur dénominateur commun qui gomme les
contradictions.
Et le fait sert de marche-pied aux hommes de l'Etat et à leurs
desseins, involontairement ou non, noirs.
Ces considérations sont pourtant fondamentales comme l'ont
démontré les économistes de l'école de pensée économique dite
"autrichienne" et nos hommes ne peuvent l'ignorer.
Mais parce qu'elles vont à l'encontre de leurs desseins, une des
façons qu'ils ont de les combattre est de procéder à ...
la mise sous l'éteignoir.
Ils devraient néanmoins prendre conscience que, dès lors qu'on
fait abstraction ou qu'on écarte l'acte d'échange - qu'on
écarte, en conséquence, ce qu'il suppose, à savoir les
règles de droit ou bien son coût d'opportunité, ou bien
encore ce à quoi il ouvre la porte comme les prix, la monnaie, la
finance et la comptabilité en droits constatés -, la monnaie
comme d'ailleurs la finance deviennent magiques, font quitter la
réalité et entrer dans le pays d'Alice, celui des
"Merveilles".
Et on peut alors tout leur faire subir, même la destruction
après la dénaturation.
3. L'interdiction de la
convertibilité contractuelle intérieure de la monnaie.
Le monde libre ou prétendu tel crève aujourd'hui d'abord des
décisions étatiques qui ont été prises dans la décennie 1930 à
propos de la monnaie et qui ont consisté à interdire la
convertibilité contractuelle intérieure des "substituts de
monnaie bancaires" en monnaie-or ou -argent et de ce qui en est
résulté.
Les décisions étaient injustifiables et ce qui en est
résulté a été prédit par certains
économistes (par exemple, Jacques Rueff, cf. Le péché monétaire de
l'Occident).
Le monde libre ou prétendu tel crève ainsi de la
définition comptable de la monnaie par les "billets" et les
"dépôts bancaires", désormais "substituts
de rien" et dont l'utilisation est légalement obligatoire en
paiements.
Il crève de l'interprétation de ces "substituts de
rien" comme des "dettes" des banques sous prétextes
qu'ils étaient inscrits au passif du bilan des banques quand
l'interdiction fut prise, que les règles de comptabilisation n'ont pas
été changées malgré l'interdiction et qu'en
conséquence, ils y sont restés inscrits, contre toute attente.
Que n'ont-ils eu l'audace de les interpréter comme des "capitaux
propres" des banques au prétexte que ces derniers sont, eux
aussi, inscrits au passif du compte de bilan ?
Il faut reconnaître que certains sont à deux doigts de le faire
quand ils parlent de cette monnaie, substitut de rien, comme d'un "bien
public"...
Au nom d'une prétendue logique comptable, ces "substituts de
rien", sinon "pseudo dettes", ont été
interprétés par des économistes comme des
"actifs" de ceux qui les détenaient et qui les inscrivaient,
le cas échéant, à leur actif de bilan.
4. L'abandon de la
convertibilité "pseudo contractuelle" extérieure de
la monnaie.
Le monde libre ou prétendu tel crève ensuite des
décisions étatiques qui ont été prises à
partir du 15 août 1971 - il y a donc près de quarante ans -
à propos de la monnaie et qui ont consisté à abandonner
la convertibilité "pseudo contractuelle" extérieure
des substituts de monnaie bancaires en monnaie-or et de ce qui en est
résulté.
Ces décisions étaient prévisibles et l'ont
été (cf. par exemple, J. Rueff, op.cit., chap. 12). Mais, nous l'avons déjà écrit,
même Ludwig von Mises n'imaginait pas en 1966,
i.e. cinq ans avant, que ce fait pût se produire si rapidement :
"No government is, however, powerful enough to abolish the gold
standard. Gold
is the money of international trade and of the supernational economic
community of mankind."
Le monde crève de
la dénomination "réserves internationales" ou
"réserves officielles" donnée depuis lors aux "substituts
de monnaie bancaires" désormais, à leur tour,
"substituts de rien" qui sont détenus par les divers
organismes où interviennent les hommes de l'Etat ou les
autorités qu'ils ont mises sur pieds et qui leur sont
juxtaposées.
Il crève, en particulier, de la pérennité du Fonds monétaire international -
F.M.I. -.
Il ne faut pas oublier que cet organisme a été
créé par les accords internationaux convenus en 1944, à
Bretton-Woods, pour remplir une mission.
Dès la conclusion des accords, des économistes ont
dénoncé le caractère absurde de cette mission et n'ont
pas été écoutés, voire ont été
moqués.
De fait, les signataires des accords et autres défenseurs de ces
derniers devront se rendre à l'évidence, reconnaîtront
l'absurdité des accords en 1971 et l'attesteront en les abandonnant.
Dans la foulée de l'abandon, le F.M.I. aurait dû être
dissous, faute de mission...
Et ce ne sont pas les missions qui lui ont été données
par la suite pour qu'il perdure qui changeront la donne, voire...
Le système de Bretton-Woods, son cadre juridique, abandonné, il
devait être dissous, en dépit du "paradis fiscal" qu'il constituait
pour son personnel - aujourd'hui si prompt à condamner les
"paradis fiscaux" -.
Soit dit en passant, s'il ne l'a pas été, ce dernier fait aide
à comprendre pourquoi...
Le monde crève, encore, de l'expérience, sans précédent historique, in vivo, qu'est la pseudo
monnaie dénommée "euro", commencée
véritablement le 1er janvier 1999, soit près de 28 ans
après l'abandon des accords de B.W.
Rien ne justifie cette expérience montée de toutes
pièces, en toute ignorance de l'avenir et surtout en toute
méconnaissance de la théorie de la monnaie, la vraie.
Certains lui avaient prédit une courte durée de vie (par
exemple, Milton Friedman), mais ils n'avaient pas envisagé qu'elle
serait vite jonchée des mêmes étapes malfaisantes que le
système monétaire de B.W., ce qui en différeraient
l'issue.
A présent, on en est ainsi, déjà, à
l'étape de la création d'un fonds européen - en toute rigueur,
d'une "facilité européenne de stabilité
financière - sur quoi les textes instituant l'"euro"
étaient muets, sur quoi, par conséquent, les "chers"
peuples n'ont pas eu à dire leur mot et à qui le
"fond" est donc imposé.
Et s'il en est ainsi, c'est que déjà les hommes de l'Etat,
irresponsables qu'ils sont, n'ont pas respecté les règles
qu'ils avaient concoctées, dont ils étaient convenus comme, par
exemple, le "pacte de stabilité et de croissance" (cf. ce texte par exemple). Pourquoi ne
donneraient-ils pas, rapidement, des "coups de canif" dans le
"fonds" ?
5. Le "grand bond en
avant" de la finance.
Il n'est plus de jour, aujourd'hui, où les financiers et la finance ne
soient pas critiqués. Ils ont bon dos !
Si les financiers, à commencer par les banquiers, n'avaient pas fait
faire un bond gigantesque à la finance depuis 1944, un grand bond
significatif depuis la décennie 1980, les Etats ne pourraient
connaître les endettements à la mesure, i.e. gigantesques,
qu'ils connaissent aujourd'hui.
Souvenez-vous du ministre de l'économie et des finances
français, Jacques Delors, qui, du fait du contrôle des changes
qu'il avait institué, s'était coupé des marchés
financiers et était allé quémander à l'Arabie
Saoudite en 1982 ou 83 pour "boucher le trou" du budget d'alors et
s'était félicité de la réussite de sa
démarche !
Ce sont les idéologies socialistes qui sous tendent en
définitive ces endettements. Ces idéologies n'auraient pu
accéder "aux affaires", s'y maintenir et s'y multiplier sans
les progrès financiers...
L'augmentation gigantesque des dépenses publiques, chères
à ces idéologies, a été permise par l'innovation
financière... C'était le "déficit
budgétaire sans pleurs".
Aujourd'hui, étant donnés les abus, le déficit
budgétaire est un peu moins sans pleurs pour certains.
Il reste que pour les pays de l'euro, le financement du déficit
budgétaire, ce sont des emprunts en euro qui, tant qu'ils sont
souscrits par les étrangers, contribuent à "faire
monter" l'euro - toutes choses égales par ailleurs - et à
comptabiliser un excédent de la balance des paiements.
En effet, le détenteur de dollar des Etats-Unis ou de livre anglaise
qui veut souscrire doit d'abord vendre ses dollar ou ses livre et acheter de
l'euro, ce qui exerce une pression à la hausse sur le prix de l'euro
et une à la baisse sur le dollar ou sur la livre.
Reste qu'au moment du versement des intérêts ou du
remboursement, on a les phénomènes opposées...
6. Monnaie et finance :
la grande supercherie.
Bref, d'un côté, dénaturation avant destruction de la
monnaie par les hommes de l'Etat, et de l'autre, viol et autre abus de la
finance par iceux-ci, le tout relayé par les stipendiés pour un
conditionnement ad hoc
de l'opinion, telle est la grande supercherie.
S'agissant de la dénaturation avant destruction de la monnaie, on
prête à Lénine d'avoir déclaré que, pour
détruire le régime bourgeois, il fallait détruire sa
monnaie.
Il y a eu surtout la déclaration de G. Sokolnikov, ministre
soviétique des finances, au début de la décennie 1920,
selon quoi :
"The printing press is the machine gun of the proletariat, moving down
the monied class".
[Ma traduction
: "La planche à billets est la mitrailleuse du prolétariat
qui anéantit les 'riches'"]
(cf. Davies, R.W., (1958), The
Development of the Soviet Budgetary Process, chap.2 repris dans Gordon,
R.J. (1975), "The Demand for and the Supply of Inflation", The Journal of Laws and Economics,
18, December, pp.807-836).
Nous n'en sommes plus
très loin... si rien ne change.
Mais ils n'avaient pas songé à la finance, au
"crédit" comme on disait essentiellement à
l'époque, et ne pouvaient prédire ses développements
retentissants qui différeraient l'issue.
Rappelons qu'à l'époque de leurs déclarations, la France
venait de perdre son image de marque de "banquier du monde" (cf. ce texte).
On ne peut qu'espérer des développements analogues
Georges
Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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