La
Grève, un roman philosophique (2). L’aristocratie du piston
Poursuivons
notre exploration philosophique du roman-fleuve d’Ayn Rand, La Grève. Un thème fondamental
du livre est l'esprit humain comme moyen de création et de survie.
La richesse est une création de
l’esprit
Dans La Grève, tous les
progrès qui rendent la vie humaine sur terre possible sont des
produits de l'esprit et du raisonnement. La création de la ligne de
chemin de fer « John Galt »
nécessite l'ingénierie de Dagny Taggart. La création d’un nouveau
métal nécessite la maîtrise par Hank
Rearden de la métallurgie et de la physique.
Toutes les inventions, découvertes et innovations sont des
créations de l'esprit, y compris la production d'articles de base dont
les êtres humains ont besoin pour survivre au jour le jour : la
nourriture, les médicaments, la construction d’immeubles etc.
Qu'il s'agisse d'une symphonie ou d’une mine de charbon, tout travail
est un acte de création et vient de la même source : la
capacité de l’esprit humain à créer quelque chose
d’utile pour les autres.
Pour Ayn Rand, le profit est le signe même du service
rendu : vous faites du profit lorsque vous produisez quelque chose de
valeur, quelque chose que les autres veulent acheter parce que cela rend la
vie humaine meilleure, plus longue, plus facile et plus agréable.
Hank Rearden se
retrouve un jour accusé de violer une réglementation
économique arbitraire. Au cours de son procès,
plutôt que de s'excuser pour sa recherche du profit, il affirme :
« Je gagne ma vie comme tout honnête homme doit le faire. Je
refuse de considérer comme une faute mon existence et le fait de devoir
travailler pour gagner ma vie. Je refuse de considérer comme une faute
le fait d’y parvenir et même d’y réussir. Je refuse
de considérer comme une faute le fait que je réussis mieux que
beaucoup, le fait que mon travail a plus de valeur que celui de mon voisin et
qu’un plus grand nombre d’individus sont prêts à me
payer pour cela. Je refuse de m’excuser de ma compétence, je
refuse de m’excuser de ma réussite, je refuse de m’excuser
d’avoir de l’argent ».
Moyens économiques et moyens
politiques de faire du profit.
Nous le
disions dans l’article précédent, Ayn
Rand souligne bien dans son roman la différence qu’il y a entre
ceux qui gagnent leur richesse par la production et le commerce, et ceux dont
la richesse est imméritée. Le pouvoir économique
est « le pouvoir de produire et d'échanger ce que l'on a
produit », tandis que le pouvoir politique repose sur
l'utilisation de la force de la loi.
Hank Rearden
refuse de s’accuser de faire du profit. Il poursuit son argumentaire
devant ses juges : « Si je travaille, c’est pour gagner
de l’argent. Si je fais des bénéfices, c’est parce
que je vends un produit à des gens qui en ont besoin, qui acceptent de
l’acheter et de le payer à sa juste valeur. Ce produit, je ne le
fabrique pas à mes dépens pour leur seul
bénéfice. Et eux ne l’achètent pas à perte
pour me faire gagner de l’argent. Je ne sacrifie pas plus mes
intérêts aux leurs qu’ils ne sacrifient les leurs aux
miens. Nous traitons d’égal à égal, d’un
commun accord et à notre avantage mutuel, et je suis fier de chaque
centime ainsi gagné ».
Pour lui le
commerce est une interaction volontaire, à l'avantage
mutuel de chacune des deux parties.
Ces deux
caractéristiques sont essentielles :
1° Quand
je vais acheter du lait dans un magasin, quand j’embauche un
employé, que je crée une société avec d'autres
personnes, je ne force personne. L’échange est
volontaire. C'est quelque chose qui ne peut se produire qu’avec le
consentement des autres parties.
2° Et la
raison pour laquelle nous choisissons de nous engager dans le commerce, bien
sûr, est que chacun de nous en attend un profit. Nous
apprécions ce que nous obtenons plus que ce que nous donnons en
échange, que ce soit de l'argent, du temps, ou quelque chose d'autre.
L’argent n’est qu’un
moyen d’échange
Le discours de
Francisco d’Anconia sur l'argent est l'un des
passages emblématiques du roman : « Vous pensez
vraiment que l’argent est à l’origine de tous les
maux ? demanda-t-il. Et vous êtes-vous demandé quelle
était l’origine de l’argent ? L’argent est un
moyen d’échange. Il n’a de raison d’être que
s’il y a production de biens et des hommes capables de les produire.
L’argent matérialise un principe selon lequel les hommes
disposent, pour commercer, d’une monnaie d’échange dont
ils admettent la valeur intrinsèque. Ceux qui pleurent pour obtenir
vos produits ou les pillards qui vous les prennent de force n’utilisent
pas l’argent comme moyen. L’argent existe parce que des hommes
produisent. C’est ça le mal, pour vous ? »
Ce discours,
long de plusieurs pages, est un appel à comprendre le vrai sens de la
richesse. Francisco d’Anconia explique que
l'argent n’est rendu possible que par les hommes qui produisent des
biens ou des services. L'argent est un outil d'échange qui suppose des
hommes productifs et inventifs. La richesse, c’est-à-dire la production
de valeur en vue de satisfaire des besoins, est donc la source d'argent.
L'argent est l'effet, plutôt que la cause, de la richesse.
L'argent que
détient une personne symbolise une production de biens ou de services
qui a déjà eu lieu et qui a été jugée
comme utile par les autres. Comme le dit Francisco d’Anconia, « l'argent n'est pas la mesure d'un
homme ». Ce qui importe c’est de savoir comment il l’a
gagné. Pour ceux qui vivent de leurs efforts, par la production et
l'échange volontaire, de l'épicier local aux plus grands
innovateurs, l’argent est, en effet, une source de fierté et
d'honneur. Mais ceux qui ont acquis leur richesse par piston sont
« seulement des pillards ». Hank
Rearden veut s'enrichir par la création d'un
nouveau type de métal qui est à la fois plus solide et moins
cher que les produits de ses concurrents. En revanche, le producteur
d’acier Orren Boyle veut s'enrichir en
demandant à ses amis politiques de limiter par la loi la production de
son concurrent Rearden. Le profit de l’un est
légitime quand celui de l’autre ne devrait justement pas
l’être.
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