Plusieurs tribunes publiées dans les journaux nationaux la
semaine dernière (dont un éditorial de François Fillon et un
entretien avec Elisabeth Badinter dans Le Monde) ont une nouvelle fois
réanimé les débats sur la laïcité, régulièrement
relancés depuis la publication en 2004 de la loi restreignant le port
des signes religieux dits ostentatoires dans les établissements d’enseignement
primaire et secondaire publics.
Le fait divers qui a relancé la question de la
laïcité dans les services publics est l’arrêt rendu
le 19 mars 2013 par la Cour de Cassation, qui annulait le licenciement en
2008 d’une employée de la crèche Baby Loup à
Chanteloup-les-Vignes (Yvelines). Cette dernière avait été
renvoyée par son employeur pour avoir refusé d'ôter
son voile sur son
lieu de travail. Le licenciement initial s’appuyait sur un
règlement intérieur faisant référence d’une
manière peu explicite à un code vestimentaire censé
refléter une neutralité « philosophique, politique
et confessionnelle ».
L’arrêt rendu par la Cour de Cassation statue qu’il
s’agissait dans ce cas d’une discrimination pour pratique
religieuse, ajoutant qu’un règlement
intérieur ne peut simplement pas promouvoir la laïcité. La
liberté religieuse ne saurait être restreinte que si la nature
de la tâche du salarié et les exigences du poste sont incompatibles
avec l’expression de signes religieux, et les juges de la Cour de
Cassation ne considèrent pas que la qualité des missions
spécifiées dans la fiche du poste concerné pouvaient
être affectée par le port du voile.
Une large frange d’intellectuels, de journalistes et de
responsables politiques sont montés au créneau pour affirmer
leur désaccord avec cette décision, dans laquelle ils voient
une atteinte au principe de laïcité actuellement censé
s’appliquer dans les services publics. Des représentants politiques
de différentes appartenances et convictions, et même des membres
du gouvernement, occupant différentes positions représentant
l’État français, comme le ministre de
l’intérieur du gouvernement socialiste Emmanuel Valls, ont exprimé
publiquement leur regret suite à cette décision de la Cour de
Cassation et appellent à l’extension de la loi de 2004 aux
établissements d’enseignement privés, voire même
plus généralement au monde l’entreprise.
Il est tout de même curieux que les critiques de la
décision de la Cour de Cassation ne mentionnent jamais le fait qu’une
décision de licenciement pour non-respect du contrat puisse être
annulée en justice. Ainsi, on ne retrouve pratiquement aucune
référence à la sphère privée et au
caractère contractuel de la relation entre l’employé et
l’employeur. Si l’employé a volontairement signé ce
contrat et accepté les conditions de travail dont il faisait
état, le règlement et le code vestimentaire inclus, pourquoi
l’employeur devrait-il alors être obligé de continuer
à payer le salaire d’une personne qui ne souhaite plus respecter
ce contrat ? Il est étonnant que personne ne s’étonne
de ce que l’opinion des juges de la Cour de Cassation sur le contenu
d’une fiche de poste dans une crèche, prime sur ce que
l’employeur lui-même avait établi concernant les exigences
liées à ce poste, en exigeant dans le règlement
intérieur de son entreprise la neutralité vestimentaire de ses
employés.
Il est symptomatique de ce point de vue de voir que l’importance
du contrat d’embauche a graduellement perdu son importance face
à l’ingérence de la sphère publique dans la
sphère privée. Si la pression médiatique et politique en
faveur de l’extension de la loi sur la laïcité aux
entreprises privées se concrétisait par un nouveau projet
législatif, cela ne ferait qu’accroître cette intrusion en
effilochant encore davantage la pertinence du contrat d’embauche.
L’attribution aux Conseils des Prud’hommes de
compétences de jugement de premier degré et
l’introduction progressive de nombreuses restrictions au licenciement (économiques,
religieuses, discriminatoires, etc.), procèdent d’un contexte
dans lequel plus personne ne s’étonne qu’une
décision de justice puisse simplement annuler la décision
d’un employeur de licencier son employé. Le prochain billet
explorera davantage cette question en se demandant ce qu’il reste
encore de la sphère privée.
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