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Dans
le capharnaüm ambiant – certains parlent même de chaos,
exagèrent-ils ? – ils se raccrochent à ce qu’ils
peuvent. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, ils auraient plutôt
tendance à attendre de la Fed et de la Bank of England
des miracles, espérant sans trop y croire un nouveau round de
création monétaire en guise de viatique. La zone euro est pour
sa part le rendez-vous des coincés, qui peaufinent un mécanisme
de « discipline budgétaire », plus ou moins
automatique selon les versions. A l’arrivée, le monde est
boiteux !
En
Europe, un grand soupir de soulagement a accueilli la décision de la
cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe de ne pas retoquer les aides
allemandes aux Fonds de stabilité financière (FSFE), car le
contraire aurait précipité sans appel l’effondrement du
château de cartes.
Aux
Etats-Unis, puisqu’il faut toujours être suspendu à une
échéance, qui se révèle à chaque fois
décevante, les pundits (commentateurs
politiques) attendent l’annonce du plan de Barack Obama en faveur de
l’emploi – de 300 milliards de dollars dit-on –
aujourd’hui jeudi. S’interrogeant sur son efficacité vu
les résultats du précédent, alors que le
ministère de l’agriculture vient de révéler que 17
millions de foyers américains font face à l’insécurité
alimentaire, et que 46 millions d’Américains, soit un sur six,
vivent grâce à des food stamps, des tickets alimentaires.
Somme
toute, ils en sont toujours les uns et les autres à la recherche des
petites pousses vertes qu’ils croyaient apercevoir au loin, du temps
où ils espéraient encore le retour de la croissance comme les
châtelaines leurs croisés de maris, et qui malheureusement
« ne voyaient rien venir… ».
Dans
ce dernier rôle, mais un peu à contre emploi,
le président de l’Union européenne Herman van Rompuy vient pour la ennième
fois de proclamer qu’un accord était proche avec les Finlandais,
à propos des garanties qu’ils réclament, et que, si nous
ne l’avions pas compris auparavant, l’adoption du plan de
sauvetage de la Grèce était la priorité. Il en
ajoutait dans la foulée d’autres, comme la croissance et le
chômage, de telle sorte que l’on se demandait laquelle il fallait
choisir.
La
Slovaquie choisissait le même jour pour annoncer qu’elle
ajournait à décembre toute décision à ce propos,
bloquant un mécanisme qui réclame l’unanimité.
Enfin, Jean-Claude Junker, toujours président de l’Eurogroupe, avertissait les Grecs qu’ils ne
devaient pas « tenir pour acquis » le versement de la
sixième tranche de leur premier prêt (on s’y perd),
soufflant le froid après que son collègue ait soufflé le
tiède. A se demander toutefois qui tient l’autre par le bout du
nez dans cette histoire, car la Grèce ferait immédiatement
défaut si ce versement n’intervenait pas.
Pendant
ce temps, le FMI, qui ne perd décidément pas une occasion,
employait des périphrases embarrassées pour avertir que la
Grèce risquait ne de pas être la seule à ne pas honorer
sa dette – on n’ose pas dire faire défaut – et que
l’Irlande était bien partie pour en faire autant. Une Irlande
qui ne risque pas de retrouver de sitôt un accès aux
marchés obligataires et qui épuise à ce jeu ses
prêts, qu’il faudra un jour renouveler.
Le
tout dans le contexte de nouvelles prévisions de croissance à
la baisse, selon des fuites survenues à propos du rapport annuel du
FMI et révélées par l’agence italienne ANSA,
tandis que, selon un scénario qui tend à devenir un peu
répétitif, les prévisions de croissance des Britanniques
et des Américains étaient également baissées,
afin sans doute de ne pas laisser les Européens seuls dans la peine.
On ne parle même plus du Japon, toujours aussi sinistré.
Les
banques battaient en ce début de semaine record sur record, cette
fois-ci pas pour dégringoler à la bourse, mais pour se
précipiter aux guichets de la BCE afin de déposer nuitamment
leurs petites économies et les mettre à l’abri, soit 169
milliards d’euros mardi soir, presque la moitié des montants
déposés lors de la chute de Lehman Brothers.
Bien
qu’en pleine forme, les banques faisaient à nouveau savoir par
la voix très autorisée de l’Institute of International
Finance, le représentant des mégabanques,
que, décidément, les règles édictées par
le Comité de Bâle devaient être assouplies. A chacun son
élégant petit chantage, les banques britanniques menacent de se
délocaliser si un équivalent du Glass-Steagall
act séparant les activités de
dépôts et d’investissement sur fonds propres des banques
leur est imposé. Le même Institute of International finance,
préfère chiffrer l’incidence à la baisse sur le
PIB du coût de la régulation des banques. L’addition se
monte à 3,2 % de leur PIB d’ici à 2015 pour les
Etats-Unis, l’Europe (Royaume Uni compris) et le Japon, et l’on
aimerait connaître le savant calcul qui a permis de l’évaluer,
qui n’a pas été rendu public. Bien entendu, cela ne sera
pas sans incidence sur l’emploi, dont le compte diminuera de 7,5
millions, à période et périmètre identique.
Mais
revenons au dispositif de renforcement de la discipline budgétaire
européenne, à propos duquel des « progrès
importants » ont été faits, selon le Parlement
européen qui est à la manœuvre. Toute la difficulté
pour conclure était de trouver un compromis à propos de
l’automaticité d’éventuelles sanctions contre les
pays laxistes, y compris à titre préventif lorsque le
déficit budgétaire risque de dépasser le seuil fatidique
de 3% du PIB. Certains, dont les Français, préférent
que l’automaticité en question le soit le moins possible. On
s’achemine vers un compromis dont le respect sera soumis dans
l’avenir au bon vouloir des signataires, qui n’ont pas
manqué de déjà renier leur parole, Allemands puis
Français en tête du peloton.
Sans
surprise, les dirigeants européens s’en tiennent au seul plan
dont ils disposent, tout en n’ignorant pas son extrême
fragilité. On n’épiloguera pas davantage.
L’adoption
de la règle d’or étant la seule garantie que les Etats
peuvent proposer aux marchés pour les convaincre dans
l’immédiat de leur bonne volonté, à défaut
de leur solvabilité, l’Espagne adopte toutes affaires cessantes
une loi organique à ce sujet et l’Italie ne devrait pas manquer
de suivre. Une palinodie de plus.
Les
commentateurs, eux, rivalisent sur le thème du moment : le
décalage entre le temps de la politique et de la démocratie et
celui du marché. Une hardie comparaison qui a permis à François
Baroin, ministre Français des finances, de
trouver une justification au train de retard systématique qu’ont
les autorités européennes, tout en leur donnant le beau
rôle.
Mario
Draghi enfourche le même thème,
l’illustrant par le caractère déjà
« insuffisant » des décisions du sommet du 21
juillet, alors qu’elles ne sont pas encore ratifiées,
considérant indispensable une « large révision du
Traité de Lisbonne ». Il souligne ainsi « la
contraction du temps dévolu aux politiques », dont il fait
l’un des premiers enseignements de la crise. Décodé, cela
signifie que le futur président de la BCE voudrait raccourcir les
délais et ne pas s’embarrasser de trop de formalités et
de ratifications par les parlements. Ce qui ne va pas
précisément dans le sens des conclusions du Conseil
constitutionnel allemand, qui réclame le contraire. La vie est
compliquée.
A
l’inverse, le président de la Fondation Maurice Schuman,
Jean-Dominique Guiliani, considère que
« le temps politique est à la remorque des
marchés », regrettant si l’on comprend bien que
ceux-ci aillent trop vite, comme du temps où il officiait au
Sénat. Heureusement, il nous sera épargné pour ce
florilège qu’il faut donner du temps au temps,
déjà pris.
Il
rode des intentions pas catholiques autour de ces réflexions, qui
alimentent celles qui portent sur la nouvelle gouvernance
économique en gestation. Ce sera la prochaine étape, car
aujourd’hui a été une folle journée de plus.
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