Voilà,
c’est fait. L’Assemblée nationale a enfin voté la
loi dite sur le cumul des mandats, malgré l’opposition farouche
des sénateurs de tous bords.
Plus
précisément, il s’agit d’interdire aux
parlementaires – députés, sénateurs,
députés européens – de détenir
également un mandat exécutif local – maire, adjoint au
maire, président ou vice-président d’un conseil
général ou régional ou encore d’une
intercommunalité, d’un syndicat de communes ou d’une
société d’économie mixte.
L’opposition
a mis en avant sa crainte que les parlementaires ne soient plus que des
« apparatchiks » coupés du terrain,
« déracinés », aux ordres des partis
politiques. Il semble, malheureusement, que cela soit déjà
fortement le cas.
Les
sénateurs – y compris socialistes – se sont battus
fortement contre cette loi, en insistant sur le fait que, chargés de
représenter les collectivités territoriales, ils devaient
maintenir un lien avec les responsabilités locales. Ils ont donc
tentés de s’exclure de la réforme. En vain.
Des
universitaires ont expliqué que « l'équilibre des
pouvoirs est une des conditions fondamentales de la
démocratie ». Par conséquent, le Parlement a besoin
d’élus locaux pour contribuer à l’équilibre
de « notre régime trop présidentialisé ».
Ces
arguments n’étaient pas tous sans fondement. Mais il n’est
pas non plus déraisonnable de penser qu’un mandat de
parlementaire puisse être un « job » à
temps plein et qu’il est donc préférable qu’il ne
soit pas occupé à temps partiel.
En
revanche, une idée n’a été que très peu
évoquée dans le débat. C’est celle du cumul des
mandats dans le temps. C’est un point qui me semble plus important
encore que le cumul dont il a été question jusqu’alors,
parfois appelé cumul horizontal.
On le voit
dans le Pas-de-Calais, comme à Marseille ou à Levallois-Perret,
le maintien d’un élu pendant des dizaines d’années
conduit fatalement à la corruption, à la concussion, voire,
n’ayons pas peur des mots, à un système mafieux.
C’est
là qu’intervient la loi de Dréros.
Dréros est une ancienne citée
crétoise, détruite au IIIème siècle avant
Jésus-Christ. Le site a été fouillé à
partir du XIXème siècle jusqu’à nos jours,
notamment par des archéologues de l’École
française d’Athènes et de la Sorbonne.
On y a découvert qu’elle fût une ville
importante avec ses deux acropoles, son agora, son temple d’Apollon.
Surtout, furent mis à jour des textes gravés dans la pierre qui
sont parmi les plus anciens textes politiques grecs connus, datés de
la fin du VIIème siècle avant notre ère, soit deux
siècles avant l’apogée de la démocratie
athénienne.
L’une
de ces pierres révèle ce que l’on a appelé le code
ou la loi de Dréros. Elle est exposée
non loin de là, au musée de Neapoli.
Que dit ce
texte ?
Pierre Demargne et Henri van Effenterre
en proposent la traduction suivante : « La ville a
décidé : quand on aura été cosme, de dix ans le même individu ne sera plus cosme ; et, s’il vient à être cosme, dans tous les cas où il prononcera un
jugement, lui-même devra une amende du double et sera maudit et
privé de ses droits civiques aussi longtemps qu’il vivra, et ce
qu’il aura fait comme cosme sera
nul ».
Cela
mérite quelques explications. Précisons tout d’abord que
le « cosme » est un élu
disposant principalement de pouvoirs de justice, et que le texte, selon Demargne et van Effenterre,
émane de l’assemblée des citoyens.
La
règle édictée par les citoyens de Dréros
dit que « tout cosme sortant de charge
est frappé pendant dix ans d’une incapacité légale
de remplir la même fonction ». Manifestement, le peuple
craint une possible tyrannie et cherche à éviter qu’une
même personne, plusieurs fois réélue cosme,
ait trop d’autorité dans la cité.
Les
premières sanctions visent l’individu. Elles sont au nombre de
trois :
-
L’amende.
Si un cosme irrégulièrement en
fonction a prononcé un jugement, il devra une amende à la ville.
Le texte dit « amende du double ». Cela doit
s’entendre comme « le double de la condamnation
pécuniaire prononcée par le cosme
lui-même, ou au double de la valeur du litige dans le procès
qu’il a irrégulièrement jugé ».
-
La
malédiction. Les cosmes devaient
s’engager par serment à observer la loi. Par conséquent si
un cosme ne respecte pas son serment, il offense les dieux et mérite donc
la malédiction religieuse.
-
La
privation des droits civiques. Il ne s’agit pas, comme le
précise Demargne et van Effenterre,
d’une « inaptitude définitive à exercer les
seules fonctions de cosme », mais bien
d’une « déchéance civique totale ».
Enfin les
actes accomplis par le magistrat illégitime sont également
visés. Ils sont purement et simplement tous annulés.
Le
président de la République française ne peut pas être
élu plus de deux fois consécutives. Cette mesure pourrait
s’appliquer à tous les élus, avec, comme à Dréros, une interruption de dix ans avant toute
nouvelle élection. Et pendant ces dix ans, l’ancien élu
retournerait au travail et à la « vraie vie ». Un
moyen efficace pour ne pas être « coupé du
terrain ».
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