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Pour
sauver l’Europe, il faut enfoncer la Grèce ! Voilà en
résumé l’objectif que poursuivent sans le dire les
dirigeants européens, en exigeant du gouvernement grec de nouvelles fortes
coupes budgétaires immédiates, afin de lui verser en retour une
nouvelle tranche du prêt de leur premier plan de sauvetage. Car
elle doit à tout prix attendre, pour faire défaut, que le Fonds
de stabilité financière (FSFE) soit pleinement
opérationnel. Ce qui suppose que le Bundestag ratifie le 29 septembre
prochain l’accord au sommet du 21 juillet dernier. Afin que le Fonds
prenne alors la situation en main, afin d’enrayer un effet domino, en
renflouant les banques qui vont subir à cette occasion des pertes,
à commencer par les établissements grecs eux-mêmes. Car,
qui peut désormais en douter ? le pays est insolvable et sa faillite
inéluctable. Voilà le vrai programme.
Mais
son respect n’est pas réglé comme du papier à
musique, à entendre la mise en garde que Jens Weidman, le
président de la Bundesbank, vient de formuler aux
députés du Bundestag. L’élargissement des missions
du FSFE, qui lui permettrait notamment d’acheter des obligations
souveraines sur le marché secondaire – et de prendre la succession
de la BCE, qui n’attend que cela – représente « un
nouveau pas en direction d’une responsabilité commune et
d’une moindre mise au pas par les marchés de capitaux, sans
qu’en contrepartie les possibilités de contrôle et
d’influence sur les politiques nationales soient accrues ».
Egalement opposés à de tels achats par la BCE, les Allemands
fermeraient toutes les portes s’ils ne ratifiaient pas l’accord,
créant les conditions d’une nouvelle crise obligataire majeure,
qui atteindrait l’Italie et l’Espagne pour commencer.
La
ratification devrait certes intervenir, les sociaux-démocrates et les
verts pouvant suppléer aux défections au sein de la
majorité, mais une crise politique s’en suivrait
inévitablement. La question de fond, elle, rebondira a la première occasion. Les mauvais esprits
remarquent qu’à force de reculer et écarter des solutions
qui deviennent ensuite caduques, les dirigeants européens
s’enferment davantage.
Jens
Weidman se serait ainsi opposé avec succès à une
proposition de l’économiste en chef de la Deutsche Bank, Thomas
Mayer, qui proposait d’accorder au FSFE une licence de banque, de telle
sorte que ce dernier puisse obtenir de la BCE des liquidités en
contrepartie d’euros-obligations
émises par ses soins, un montage lui permettant d’accroître
sa capacité d’intervention sans en appeler aux Etats.
Car
plus le nombre de pays qui devra soutenir ceux qui sont en détresse
devient réduit, plus la charge qui leur incombe devient forte et la
tâche impossible. L’Espagne et l’Italie sont bien entendu les
deux pays qui sont à la fois too big to fail et too big to save (trop gros pour être sauvés). Car
les mécanismes de stabilisation financière mis en place ou
à venir en 2013 – si ce dernier est adopté – ne
sont pas en mesure d’y faire face par construction. Plus les garanties
sont importantes, plus réduit est le nombre des pays qui doivent les
donner. L’Espagne et l’Italie sont donc les redoutes qu’il
faut à tout prix sauver, mais les embûches continuelles rencontrées
à propos de la Grèce affolent déjà les
marchés, qui ont perdu toute confiance…
Mais
n’anticipons pas, au risque de se voir reproché de
décidément tout peindre en noir. Il est déjà
singulier que, pour avoir voulu trop ignorer les inégalités de
développements et les archaïsmes de régions ou de
pays tout entiers, ainsi que pour avoir magnifié des
développements économiques exemplaires qui reposaient en fait
sur du sable, les dirigeants européens se retrouvent aujourd’hui
devant une tâche injouable, telle qu’ils prétendent la
résoudre. La Grèce se révèle pour ce
qu’elle est – sans qu’il soit possible de la faire si
brusquement changer – et les miracles irlandais et espagnols se sont
transformés en désastres.
Prétendant
obtenir des réductions du déficit public dans des délais
très rapprochés, leur politique se heurte à un double
obstacle. Elle enfonce les pays les plus vulnérables dans la
récession et ne fait qu’accentuer leur insolvabilité.
Elle leur enjoint de réaliser des réformes structurelles
et de moderniser leur Etat à un rythme intenable. A imposer
comme modèle les canons du capitalisme financier, les artisans de
cette faillite désorganisée prennent leurs rêves pour la
réalité. Et celle-ci, comme toujours, les rattrape.
Le
mensuel britannique The Economist organisait
aujourd’hui près d’Athènes une conférence
sur le thème « La Grèce est-elle en voie de
guérison ? ». Une excellente occasion pour le
représentant permanent en Grèce du FMI, Bob Traa, de mettre les
points sur les « i ». « L’économie ne peut pas
continuer à être basée sur la consommation domestique et
les importations », a-t-il souligné. « Il y a deux
façons d’y parvenir, soit vous abaissez considérablement
les revenus et donc les importations, soit vous augmentez la
compétitivité et augmentez les exportations ».
Reconnaissant que « cela serait plus facile avec une dévaluation
», impossible en raison de l’appartenance à la zone euro,
il en vient à préconiser alternativement ce que l’on
appelle la dévaluation intérieure, une baisse des
revenus salariaux camouflée sous les expressions plus anodines
d’accroissement de la flexibilité sur le marché du
travail et de réformes structurelles.
«
Par transfert des ressources » le processus de privatisation et de
réduction du secteur public aiderait le secteur privé et le
tour serait joué. Michalis Chryssohoïdes, le ministre du développement
lui a répondu en annonçant que, « dans les prochains
jours, nous allons annoncer un plan ambitieux visant à lever les
entraves pour les entrepreneurs (…), il faut passer d’une économie
d’Etat et d’importations à une économie de
compétitivité ». Pendant la crise, les affaires
continuent.
C’est
également en cas en Espagne, où le programme de privatisation
des caisses d’épargne en détresse se poursuit, une fois
financièrement assainies sur fonds publics ou étant entrées
en bourse sur la base de valorisations alléchantes. Afin
d’intéresser la partie, la Banque d’Espagne
s’apprêterait à couvrir à hauteur de 20 milliards
d’euros les pertes de la plus importante d’entre elles, la Caja Mediterraneo (CAM), soit
l’intégralité de la valeur comptable de son portefeuille
immobilier. Ce qui au passage en dit long sur ce à quoi il faut
s’attendre pour le secteur bancaire espagnol, si les pertes sur ces
actifs devaient atteindre le taux de 100%… Ne manquant pas de rappeler
que le gouvernement avait affirmé que, tout le secteur pris en compte,
son intervention ne dépasserait pas les 20 milliards d’euros,
ceux-là même qu’elle pourrait consacrer à la seule
CAM. Au bout du couloir, c’est la réduction du déficit
public qui est là encore en jeu. Mois après mois,le taux des créances douteuses des banques
augmente irrésistiblement, selon la Banque d’Espagne.
Hors
de la zone euro, au Royaume-Uni, la situation se complique également.
12 milliards de livres manquent à l’appel dans les comptes,
accentuant de 25% le déficit public 2011-2012 et mettant en cause les
résultats attendus du plan d’austérité
gouvernemental. A l’origine : moins d’épargne et pas de
rebond de la croissance comme il devait en résulter, une
prévision déjà formulée par la Bank of England et le FMI. Des discussions serrées vont
bon train au sein de la coalition au pouvoir, afin de déterminer
comment y remédier : nouvelles coupes budgétaires, nouveaux
impôts ou allongement de la durée du plan d’austérité
? Il est surtout question de monter le taux de l’équivalent de
la TVA de 20 à 22,5%.
Tous
ces plans d’austérité ont décidément en
commun de surestimer les recettes futures ; ils sortent vite de route pour
cette même raison. Amener le gouvernement grec à
résipiscence est une chose, retomber sur ses pieds dans le cadre des
plans de rigueur devenus le lot commun dans toute l’Europe, à
des degrés divers, en est une autre. L’économie
réelle ne se prête pas aux mêmes tours de passe-passe
que le secteur financier et n’est pas sensible à la magie des
mots.
Que
font les bourses européennes, suivies par Wall Street, en ce sur-lendemain d’une réunion des ministres
des finances calamiteuse ? Elles plongent ! Que déclare
François Baroin, à propos d’un
éventuel refus de versement de l’aide à la Grèce ?
Qu’il se refuse à anticiper ! Il est bien le seul dans ce cas.
Billet rédigé par
François Leclerc
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