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La loi de gravité est dure, mais c’est la loi

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Published : September 19th, 2011
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Pour sauver l’Europe, il faut enfoncer la Grèce ! Voilà en résumé l’objectif que poursuivent sans le dire les dirigeants européens, en exigeant du gouvernement grec de nouvelles fortes coupes budgétaires immédiates, afin de lui verser en retour une nouvelle tranche du prêt de leur premier plan de sauvetage. Car elle doit à tout prix attendre, pour faire défaut, que le Fonds de stabilité financière (FSFE) soit pleinement opérationnel. Ce qui suppose que le Bundestag ratifie le 29 septembre prochain l’accord au sommet du 21 juillet dernier. Afin que le Fonds prenne alors la situation en main, afin d’enrayer un effet domino, en renflouant les banques qui vont subir à cette occasion des pertes, à commencer par les établissements grecs eux-mêmes. Car, qui peut désormais en douter ? le pays est insolvable et sa faillite inéluctable. Voilà le vrai programme.


Mais son respect n’est pas réglé comme du papier à musique, à entendre la mise en garde que Jens Weidman, le président de la Bundesbank, vient de formuler aux députés du Bundestag. L’élargissement des missions du FSFE, qui lui permettrait notamment d’acheter des obligations souveraines sur le marché secondaire – et de prendre la succession de la BCE, qui n’attend que cela – représente « un nouveau pas en direction d’une responsabilité commune et d’une moindre mise au pas par les marchés de capitaux, sans qu’en contrepartie les possibilités de contrôle et d’influence sur les politiques nationales soient accrues ». Egalement opposés à de tels achats par la BCE, les Allemands fermeraient toutes les portes s’ils ne ratifiaient pas l’accord, créant les conditions d’une nouvelle crise obligataire majeure, qui atteindrait l’Italie et l’Espagne pour commencer.


La ratification devrait certes intervenir, les sociaux-démocrates et les verts pouvant suppléer aux défections au sein de la majorité, mais une crise politique s’en suivrait inévitablement. La question de fond, elle, rebondira a la première occasion. Les mauvais esprits remarquent qu’à force de reculer et écarter des solutions qui deviennent ensuite caduques, les dirigeants européens s’enferment davantage.


Jens Weidman se serait ainsi opposé avec succès à une proposition de l’économiste en chef de la Deutsche Bank, Thomas Mayer, qui proposait d’accorder au FSFE une licence de banque, de telle sorte que ce dernier puisse obtenir de la BCE des liquidités en contrepartie d’euros-obligations émises par ses soins, un montage lui permettant d’accroître sa capacité d’intervention sans en appeler aux Etats.


Car plus le nombre de pays qui devra soutenir ceux qui sont en détresse devient réduit, plus la charge qui leur incombe devient forte et la tâche impossible. L’Espagne et l’Italie sont bien entendu les deux pays qui sont à la fois too big to fail et too big to save (trop gros pour être sauvés). Car les mécanismes de stabilisation financière mis en place ou à venir en 2013 – si ce dernier est adopté – ne sont pas en mesure d’y faire face par construction. Plus les garanties sont importantes, plus réduit est le nombre des pays qui doivent les donner. L’Espagne et l’Italie sont donc les redoutes qu’il faut à tout prix sauver, mais les embûches continuelles rencontrées à propos de la Grèce affolent déjà les marchés, qui ont perdu toute confiance…


Mais n’anticipons pas, au risque de se voir reproché de décidément tout peindre en noir. Il est déjà singulier que, pour avoir voulu trop ignorer les inégalités de développements et les archaïsmes de régions ou de pays tout entiers, ainsi que pour avoir magnifié des développements économiques exemplaires qui reposaient en fait sur du sable, les dirigeants européens se retrouvent aujourd’hui devant une tâche injouable, telle qu’ils prétendent la résoudre. La Grèce se révèle pour ce qu’elle est – sans qu’il soit possible de la faire si brusquement changer – et les miracles irlandais et espagnols se sont transformés en désastres.


Prétendant obtenir des réductions du déficit public dans des délais très rapprochés, leur politique se heurte à un double obstacle. Elle enfonce les pays les plus vulnérables dans la récession et ne fait qu’accentuer leur insolvabilité. Elle leur enjoint de réaliser des réformes structurelles et de moderniser leur Etat à un rythme intenable. A imposer comme modèle les canons du capitalisme financier, les artisans de cette faillite désorganisée prennent leurs rêves pour la réalité. Et celle-ci, comme toujours, les rattrape.


Le mensuel britannique The Economist organisait aujourd’hui près d’Athènes une conférence sur le thème « La Grèce est-elle en voie de guérison ? ». Une excellente occasion pour le représentant permanent en Grèce du FMI, Bob Traa, de mettre les points sur les « i ». « L’économie ne peut pas continuer à être basée sur la consommation domestique et les importations », a-t-il souligné. « Il y a deux façons d’y parvenir, soit vous abaissez considérablement les revenus et donc les importations, soit vous augmentez la compétitivité et augmentez les exportations ». Reconnaissant que « cela serait plus facile avec une dévaluation », impossible en raison de l’appartenance à la zone euro, il en vient à préconiser alternativement ce que l’on appelle la dévaluation intérieure, une baisse des revenus salariaux camouflée sous les expressions plus anodines d’accroissement de la flexibilité sur le marché du travail et de réformes structurelles.


« Par transfert des ressources » le processus de privatisation et de réduction du secteur public aiderait le secteur privé et le tour serait joué. Michalis Chryssohoïdes, le ministre du développement lui a répondu en annonçant que, « dans les prochains jours, nous allons annoncer un plan ambitieux visant à lever les entraves pour les entrepreneurs (…), il faut passer d’une économie d’Etat et d’importations à une économie de compétitivité ». Pendant la crise, les affaires continuent.


C’est également en cas en Espagne, où le programme de privatisation des caisses d’épargne en détresse se poursuit, une fois financièrement assainies sur fonds publics ou étant entrées en bourse sur la base de valorisations alléchantes. Afin d’intéresser la partie, la Banque d’Espagne s’apprêterait à couvrir à hauteur de 20 milliards d’euros les pertes de la plus importante d’entre elles, la Caja Mediterraneo (CAM), soit l’intégralité de la valeur comptable de son portefeuille immobilier. Ce qui au passage en dit long sur ce à quoi il faut s’attendre pour le secteur bancaire espagnol, si les pertes sur ces actifs devaient atteindre le taux de 100%… Ne manquant pas de rappeler que le gouvernement avait affirmé que, tout le secteur pris en compte, son intervention ne dépasserait pas les 20 milliards d’euros, ceux-là même qu’elle pourrait consacrer à la seule CAM. Au bout du couloir, c’est la réduction du déficit public qui est là encore en jeu. Mois après mois,le taux des créances douteuses des banques augmente irrésistiblement, selon la Banque d’Espagne.


Hors de la zone euro, au Royaume-Uni, la situation se complique également. 12 milliards de livres manquent à l’appel dans les comptes, accentuant de 25% le déficit public 2011-2012 et mettant en cause les résultats attendus du plan d’austérité gouvernemental. A l’origine : moins d’épargne et pas de rebond de la croissance comme il devait en résulter, une prévision déjà formulée par la Bank of England et le FMI. Des discussions serrées vont bon train au sein de la coalition au pouvoir, afin de déterminer comment y remédier : nouvelles coupes budgétaires, nouveaux impôts ou allongement de la durée du plan d’austérité ? Il est surtout question de monter le taux de l’équivalent de la TVA de 20 à 22,5%.


Tous ces plans d’austérité ont décidément en commun de surestimer les recettes futures ; ils sortent vite de route pour cette même raison. Amener le gouvernement grec à résipiscence est une chose, retomber sur ses pieds dans le cadre des plans de rigueur devenus le lot commun dans toute l’Europe, à des degrés divers, en est une autre. L’économie réelle ne se prête pas aux mêmes tours de passe-passe que le secteur financier et n’est pas sensible à la magie des mots.


Que font les bourses européennes, suivies par Wall Street, en ce sur-lendemain d’une réunion des ministres des finances calamiteuse ? Elles plongent ! Que déclare François Baroin, à propos d’un éventuel refus de versement de l’aide à la Grèce ? Qu’il se refuse à anticiper ! Il est bien le seul dans ce cas.




Billet rédigé par François Leclerc

 

 



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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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