Nous
vivons une crise de surproduction… de dettes. La machine à
fabriquer de la dette a fonctionné à plein régime, puis
s’est bloquée pour en avoir trop produit. La dette privée
et publique a atteint un volume tel que simplement la réduire prend
désormais les allures d’un cataclysme annoncé. Ce qui
conduit à se poser deux simples questions : pourquoi a-t-elle pris une
telle ampleur, et comment s’en débarrasser ?
La
première question trouve sa réponse dans l’existence
même d’un système financier dont le but principal est de
créer de la dette, afin d’en profiter. Avec
l’inégalité de la distribution de la richesse d’une
part, et la diminution des ressources de l’État de
l’autre, un double mécanisme a été mis en place
qui crée le besoin d’un endettement croissant des particuliers
et de l’État, impliquant en contrepartie la création et
le fonctionnement d’une machinerie sophistiquée destinée
à le financer… et à en tirer profit. La
sous-capitalisation des entreprises en est le pendant. Le capitalisme
financier a fondé sa raison d’être dans un
déséquilibre dont il est à l’origine et auquel il
prétend naturellement répondre en jouant les indispensables. On
connait la suite, quand il ne parvient plus à retrouver le sien.
Comment
s’en débarrasser ? Nous sommes désormais au coeur de la seconde question, constatant l’absence
d’une réponse adéquate. Réduire la dette publique
par l’austérité accentue la crise, installe la
récession pour une longue durée, et repousse sans cesse
à plus tard une hypothétique sortie de celle-ci. Au
prétexte de gagner du temps, on le perd.
La
croissance économique est le principal point d’appui permettant
de stabiliser et de réduire la dette, mais elle fait défaut, et
les mesures d’austérité en écartent encore plus le
retour. Au contraire, le cocktail assemblant une importante dette dont le
taux d’intérêt augmente, un déficit structurel de
l’Etat qui ne peut pas être résorbé comme
annoncé, ainsi qu’un taux de croissance anémique –
tant qu’il reste positif – créent toutes les conditions
requises pour la constitution d’une spirale économique
descendante, aux conséquences sociales désastreuses. On se
demandait à quoi sert la finance, va-t-on finir pas se poser la
même question pour l’économie, qui est censée
concourir au bien-être de la société ?
De
simples calculs rapportés à l’Italie et effectués
par Satyajit Das, un
économiste qui va droit au but, sont très éloquents.
Avec un taux d’intérêt à 4% et une dette
représentant 120% de son PIB, la croissance du pays devrait atteindre
4,8% pour équilibrer son endettement. Au taux actuel de 7%, cette
croissance devrait être de 8,4% pour produire le même
résultat…. Pour prendre les calculs autrement, l’Italie
aurait besoin de 10 ans afin de réduire sa dette à 90% de son
PIB, si son taux de croissance était de 2% par an et les
intérêts sur sa dette de 4%. L’alternative serait de
vendre des actifs publics.
Appliqués
aux autres pays de la zone euro, les mêmes calculs produisent les
mêmes effets : le faible taux de croissance de l’économie,
qui tend encore à diminuer, rend hypothétique la stabilisation
de la dette publique, tout en promettant une longue récession.
Faire
peser sur un nombre réduit de pays le poids de la dette de
l’ensemble de ceux-ci accroît le risque pesant sur les premiers,
les entraînant progressivement à leur tour dans la tourmente.
Procéder à une réduction ordonnée de la dette
implique de recapitaliser sur fonds publics le système bancaire,
accroissant les déficits publics au lieu de les résorber et
renvoyant au problème précédent. Le système financier
européen est une machine infernale, sa présentation sous la
forme d’un défaut de gouvernance économique une mauvaise
farce.
Le
contexte impose également de prendre en compte l’endettement
privé. Non seulement parce que, dans le cas de plusieur
pays il est clairement à l’origine des attaques des
marchés, mais aussi parce que le processus de
désendettement du système bancaire s’avère bien
plus douloureux que prévu. Les marchés ne font pas le
détail : tout comme les États, les banques doivent refinancer leurs
gigantesques dettes et rencontrent la désaffection des investisseurs.
La demande de crédit surpasse de beaucoup l’offre, ce qui
conduit les banques à faire feu de tout bois… et à
immanquablement faire à nouveau sortir le génie financier de sa
boîte. Ainsi qu’à réduire tendanciellement
l’offre de crédit, diminuant encore la croissance de
l’économie et engendrant une baisse des recettes fiscales des
États. La boucle est bouclée.
Il
était espéré que, grâce aux liquidités
à bas prix fournies par les banques centrales – qui viennent
à nouveau de s’y engager spectaculairement toutes
ensembles – et à l’abandon de toute mesure sérieuse
de régulation financière, le système financier allait
pouvoir se purger de ses mauvaises dettes. Qu’en attendant il allait se
refinancer sur le marché, les États ayant fait place nette en
réduisant leur endettement et leur voilure. Ce schéma ne
fonctionne pas : les banques ne retrouvent pas plus leur équilibre que
les États.
Dans
un article sans appel, Nouriel Roubini
vient de démontrer dans le Financial Times que l’Italie devrait
sans attendre restructurer à son tour sa dette. Ce qui ouvrirait le
chemin. Il n’y a pas d’autre solution que de combiner une
restructuration globale de la dette publique et une socialisation des
banques, le reste n’est qu’échappatoire sans avenir.
Mais,
par ailleurs, comment créer la croissance, puisque celle-ci pourrait
seule permettre une sortie par le haut ? Il est flagrant de constater
que les discours qui se risquent à l’invoquer tournent court,
une fois quelques généralités prudemment
avancées. Les Britanniques viennent d’annoncer un programme de
grands travaux, ne faisant que reprendre la recette japonaise qui a
rencontré en son temps un échec retentissant. Tout projet butte
sur la question de son financement, renvoyant à la disette
généralisée, ainsi que sur ses points d’appui
économiques introuvables, vu le stade de la globalisation
économique à laquelle nous sommes parvenus.
Ils
sont loin, les discours qui prétendaient conserver la production des
biens de haute technologie pour ne déléguer que celle à
faible valeur ajoutée. Les pays émergents ont acquis,
notamment grâce à des transferts de technologie qu’il a
fallu commercialement consentir, les savoir-faire qui devaient continuer
à assurer la prospérité de l’économie
occidentale. Le différentiel des coûts salariaux fait le reste
en terme de compétitivité. Le
réveil est douloureux.
Les
sociétés occidentales ont néanmoins pour elles, en
raison du niveau de bien-être relatif inégalement réparti
qu’elles ont acquis, l’avantage de pouvoir se poser des questions
qui, pour les sociétés des pays émergents,
restent encore un luxe. Elles interrogent la qualité de la vie et de
l’environnement. Mais nous sommes restés engagés à
mi-chemin sur ce parcours, englués dans le cadre d’un
système en crise, qui n’est plus en mesure de renouveler ses
promesses et ses réalisations et n’offre plus que de sombres
perspectives.
En
d’autres termes, la croissance à laquelle peuvent
désormais prétendre les sociétés occidentales est
d’une autre nature que celle qui s’est évanouie. Elle doit
intégrer dans son calcul d’autres paramètres et renvoyer
à un fonctionnement différent de la société.
Renouer avec cette réflexion trop vite oubliée est une
nécessité, car ce n’est pas le reflet d’une
conduite de riches, comme on le croyait, mais au contraire de pauvres !
Les
chemins dans lesquels la société devrait s’engager sont
connus. Ils comprennent la reconnaissance des droits liée à la
subsistance ainsi que leur satisfaction sans conditions, une
déconnexion partielle entre activité salariée et revenu,
et un partage rationnel entre temps libre et travail, cette denrée qui
devient rare. Ainsi qu’une imposition prioritaire des revenus
financiers, afin de soulager la taxation des salaires, et enfin
l’approfondissement et l’élargissement de la
démocratie à l’économie, au lieu du renforcement
de l’oligarchie.
Le
réalisme est désormais du côté de ceux qui
prônent ce radical changement et préconisent les transitions y
conduisant. Sans phrases ronflantes ou promesses toujours
déçues.
Billet rédigé par
François Leclerc
|