Rien ne semble plus
enrager les analystes des marchés néo-conservateurs que les politiciens ou
candidats aux élections présidentielles qui ne « croient pas en l’exceptionnalisme
américain ». Sean Hannity semble particulièrement déchaîné face à de telles
circonstances. La raison en est que l’ « exceptionnalisme américain »
est depuis longtemps l’idéologie - et la justification – sur laquelle reposent
l’Empire américain et toutes ses aventures militaires. En tant que pions du
complexe militaro-industriel et d’un Empire en constante expansion, Hannity,
O’Reilly, Limbaugh et les autres sont employés par leurs grands maîtres pour
exprimer leur outrage – outrage ! – à chaque fois que quelqu’un daigne
remettre en question la propriété de l’impérialisme américain et les
fondations de l’Empire.
Tous les Empires se
disent être « exceptionnels » d’une manière ou d’une autre, et
pensent que cet exceptionnalisme leur garantit le droit d’envahir, de
conquérir et de piller d’autres terres, sous couvert de propagandes de bienfaisance
(le « maintien de la paix », la « promotion de la démocratie »,
la chute du prochain Hitler, et j’en passe). La version américaine de l’exceptionnalisme
a une bien longue histoire. Abe Lincoln a proclamé avec arrogance que son
gouvernement était le « dernier espoir de la Terre ». Ronald Reagan
a stipulé que les Etats-Unis étaient la conséquence d’un « plan divin de
création d’un royaume terrestre ». « C’est dans les mains de l’Amérique
que Dieu a placé la destinée d’une humanité affligée », nous a-t-il
annoncé.
C’est là un thème majeur
de l’exceptionnalisme américain – la notion que les politiciens comme Reagan ou
George W. Bush (qui a déclaré que Dieu était venu à lui pour le convaincre de
présenter sa candidature à la présidence) savent ce qui se trouve dans la
tête de Dieu. « Nous devons répondre à l’appel venu du ciel et nous
battre pour la liberté », a déclaré Bush (ou du moins celui qui a rédigé
son discours). Les Etats-Unis sont « indispensables à l’établissement de
relations politiques stables » dans le monde, nous a dit Bill Clinton.
Nous sommes les témoins de ces « relations stables » aujourd’hui-même
au Proche-Orient et en Europe, où les interventions militaires des
Etats-Unis en Syrie, en Libye, en Irak et ailleurs ont généré une crise de
réfugiés sans précédent.
Le récent livre de Dick
Cheney, dans lequel il défend un interventionnisme militaire accru et les
conflits déclenchés par les Etats-Unis, est bien évidemment intitulé Exceptionalism. Son chapitre de
conclusion est intitulé The Last Best Hope of the Earth (Le dernier grand espoir du monde). Quand les
néo-conservateurs commencent à citer Lincoln, c’est que quelque part dans le
monde, un pays est sur le point d’être bombardé.
Les origines de
l’exceptionnalisme américain
Cette pulsion
impérialiste élitiste et arrogante de l’établissement américain des
politiques étrangères ne date pas d’hier. Les écrits de nombreux
intellectuels – Clyde Wilson, Forrest McDonald, Thomas Fleming, Robert Penn
Warren et Murray Rothbard – expliquent particulièrement bien les origines de
cette idée.
Dans un essai intitulé « The
Yankee Problem in America », Clyde Wilson écrit que « ce groupe
ethnique particulier qui tire ses racines de la Nouvelle-Angleterre, et qui
est facilement reconnu par son arrogance, son hypocrisie, son avarice, son
manque d’amabilité et son penchant pour donner des ordres aux autres, pense
être un groupe saint dont la mission est de rendre les Etats-Unis et le monde
aussi parfaits que sa propre image ». Hillary Rodham Clinton, née
méthodiste à Chicago, est un spécimen Yankee digne d’être exposé dans un
musée – pharisaïque et impitoyable. Le « tempérament Yankee correspond
assez au stalinisme qui a été amené dans le grand nord par des immigrants
arrivés plus tard », écrit Wilson. Il entend ici les idéologues
communistes installés à New York City depuis le milieu du XXe siècle, et dont
les enfants sont pour beaucoup devenus les « radicaux des campus »
des années 1960 – les « bébés aux couches rouges ». David Horowitz
en était un, et parle de ce phénomène dans un grande nombre de ses livres.
Aux yeux de ces gens, « tout
ce qui s’élève en travers du chemin du perfectionnisme américain doit être
éradiqué… alcool, tabac, Eglise catholique, Ordre des Francs-maçons, viande,
mariage », écrit Wilson en référence aux diverses croisades des Yankees
(il n’insinue pas ici tous les gens du nord des Etats-Unis, mais un groupe
particulier).
Le célèbre historien
Forrest McDonald a fait des observations similaires dans son essai de 1985
intitulé « Why Yankees Won’t (And Can’t) Leave the South Alone ». « Ce
qu’il faut comprendre au sujet des Yankees, c’est qu’ils sont des puritains
caractérisés par un perfectionnisme piétiste. Contrairement aux gens du Sud,
ils sont constitutionnellement incapables d’adopter une attitude de ‘vivre et
laisser vivre’. Aucune alternative à leur vision de la Vérité n’est
acceptable. Les Yankees ont embrassé le républicanisme totalitaire afin d’établir
le royaume de Dieu sur Terre » en utilisant les forces du gouvernement
pour « éradiquer le péché ». Ils forment « le pilier du Parti
républicain d’Abraham Lincoln ».
Thomas Fleming est l’auteur
de plus de 50 livres, dont The
New Dealers’ War, et,
plus récemment, A
Disease in the Public Mind: A New Understanding of Why We Fought the Civil
War. Dans ce dernier, il explique comment les riches Yankees de
Nouvelle-Angleterre ont abandonné le christianisme dans les années 1850 pour embrasser
le meurtrier de masse et communiste autoproclamé John Brown comme leur « sauveur ».
Brown pensait que du « sang devait être versé » afin d’éradiquer le
péché. Il était « un descendant des Puritains, et la personnification d’un
Puritain. Les Yankees étaient principalement enclins à croire en la morale
dépravée de ceux qui n’étaient pas d’accord avec eux ». Des décennies
durant, ils ont dénoncé le Sud pour « sa violence, son alcoolisme, sa fainéantise
et sa perversité sexuelle… ce qui était très similaire à la frénésie qui s’est
emparée du Massachussetts pendant les chasses aux sorcières ».
Dans son essai intitulé « Just
War », Murray Rothbard écrit également des Yankees qu’ils étaient la « force
motrice du Nord » et « gouvernés par un post-millénarisme fervent selon
lequel, afin que Jésus Christ puisse redescendre sur Terre, l’Homme doive
établir le royaume de Dieu sur Terre ». Ce royaume doit être libéré du
péché, et son gouvernement être l’instrument divin du Salut. Ces « fanatiques »
ont, pendant la Guerre civile, été de « véritables humanitaires
patersoniens avec la guillotine : les Anabaptistes, les Jacobins, les
Bolchéviques de leur ère ».
Le célèbre écrivain
Robert Penn Warren, auteur d’All the King’s Men et de 19 autres
nouvelles, a écrit dans son livre de 1961 intitulé The Legacy of the Civil War,
que l’Histoire devrait être « oubliée » afin que nous puissions
croire en le mythe de l’exceptionnalisme américain. La Guerre civile,
explique-t-il, a laissé le Nord (ou le gouvernement américain) avec entre les
mains un « trésor de vertu ». Cette vertu dépend toutefois de l’ignorance
du fait que Lincoln et le Congrès ainsi que la Chambre aient déclaré à
plusieurs reprises que la guerre n’avait rien à voir avec l’esclavage ;
que Lincoln prévoyait d’inscrire l’esclavage dans la Constitution américaine ;
et que ses discours politiques étaient emprunts d’un langage Blanc suprématiste
qui ferait aujourd’hui rougir de honte n’importe quel membre du Ku Klux Klan.
Il n’en est pas moins que ce « narcissisme moral », cette « indulgence
pour les péchés passés, présents et futurs », a servi de justification
pour nos croisades de 1917-18 et de 1941-45. Tout cela a été fait grâce à « notre
diplomatie de vertu et au slogan de réhabilitation spirituelle des autres ».
Ce « trésor de
vertu » était aussi la « justification fondamentale » des
guerres et interventions militaires survenues depuis lors, et jusqu’à aujourd’hui.
Ce « trésor de
vertu », qui n’est qu’une autre manière de dire « exceptionnalisme
américain », offre une couverture morale à l’avarice du complexe
militaro-industriel américain pour les profits de la guerre, et est donc l’exemple
parfait de la convention des « bootleggers » et des Baptistes dont nous
parlent aujourd’hui les économistes. L’origine de cette convention est l’économie
Bruce Yance, qui a expliqué que la prohibition de l’alcool était soutenue par
ceux que l’on appelait les « bootleggers », qui profitaient de la
vente illégale d’alcool, et les religieux (Baptistes) qui s’opposaient à l’alcool
pour des raisons morales. L’avarice n’attire pas le soutien du public. Elle
doit être dissimulée sous un voile de pseudo-moralité, comme par exemple
celui de l’exceptionnalisme américain.