Les
politiques qui pensent qu’il n’y a aucun risque qu’une taxation comme celle
qui a été imposée aux Chypriotes ne modifie les comportements des citoyens
des autres pays d’Europe ne comprennent pas l’étendue de ce qui est en jeu. Les
graines du doute ont été plantées. Pourquoi un épargnant qui ne tire aucun
intérêt de ses dépôts bancaires et risque même de se les voir confisquer devrait-il
conserver son épargne sur un compte en banque ? Les transactions
électroniques sont bien évidemment pratiques, mais les gens peuvent rapidement modifier
leur comportement.
Pour
résumer, il y a maintenant une prime de 10% sur le cash caché sous un
matelas.
«
Les Espagnols, les Italiens
et les Portugais ne présentent peut-être pas encore de signes de panique
bancaire, mais aussitôt que la crise s’intensifiera dans n’importe quel pays
de la zone Euro, les consommateurs des banques se souviendront de Chypre. Ils
retireront leur épargne des banques, et la crise rugira de plus belle ».
Peter Bofinger, 'Europe's
Citizens Now Have to Fear for Their Money,' Der Spiegel, 18 mars 2013
La monnaie moderne est un jeu de confiance, un arrangement
basé simplement sur la perception d’une valeur fondée sur le risque de
contrepartie.
Cela paraît assez simple, mais ce qui est assez surprenant
est la manière dont les gens comprennent ce système. C’est ce que l’on
appelle l’illusion du familier.
Nous sommes tant habitués à utiliser la monnaie dans la
vie de tous les jours que nous ne réfléchissons jamais à ce qu’elle est
vraiment. Elle nous paraît immuable et durable.
Nous oublions que la monnaie, comme une majeure partie de
la société, est créée par l’Homme. Elle est une construction artificielle
basée sur une série d’accords. Et de temps à autres, ces accords sont passés
par la force, comme le sont les punitions appliquées à ceux qui enfreignent
la loi, bien qu’ils ne soient pas équipés pour faire face à un refus général
de la société de s’y soumettre. C’est bien entendu là la base même du pouvoir
de la désobéissance civile, et la raison pour laquelle les autocraties sont
si sensibles aux manifestations citoyennes.
Le président Chypriote, Nicos Anastasiades, n’a pas accepté le premier plan de
sauvetage offert par la troika, la Commission
Européenne, la BCE et le FMI, qui lui demandait de lever une taxe sur les
dépôts non-garantis des banques Grecques en difficultés – des dépôts de plus
de 100.000 euros.
Il a proposé de fixer le prélèvement sur les gros dépôts à
9,9% et de violer ce qui était jusqu’à présent une garantie en Europe en
imposant les dépôts garantis de moins de 100.000 euros des petits épargnants
de 6,7%. Que la troika n’ait pas hésité à proposer
un projet de taxes qui viole clairement les lois de l’Union Européenne en dit
long sur la situation dans laquelle elle se trouve.
L’arrangement a été rendu d’autant plus intelligent en
promettant aux épargnant des actions auprès de banques (qui ne valent plus
rien) en échange de ces prélèvements, voire même une garantie de retours sur
les ‘futures découvertes de gaz naturel' qui semblent ne rien valoir du tout
aux yeux de l’Union Européenne et du gouvernement.
C’était là l’une des conditions appliquées à un prêt de 10
milliards d’euros au gouvernement sous le mécanisme de stabilité Européenne.
Les autres impliquaient des mesures d’austérité, qui sont ce que préfère
par-dessus tout le FMI.
Une proposition de mesures d’austérité a été faite en
novembre dernier et inclut une baisse des salaires du secteur des services
publics, une baisse des aides sociales, des allocations et des pensions, et
une hausse de la TVA, du prix du tabac, de l'alcool et du carburant, des
taxes sur la loterie, sur la propriété, et des frais de santé plus élevés.
La troïka se moquait des termes exacts de sa nouvelle taxe
tant qu’elle était mise en application. Il s’agissait là du sacrifice d’un
grand principe Européen et une sérieuse erreur de politique.
Lorsque ces prélèvements ont été annoncés voici quelques
semaines, alors que les banques étaient fermées, les marchés et les citoyens
de l’île de Chypre ont exprimé leur révulsion contre ce projet.
L'inflation monétaire telle qu’elle a été utilisée aux
Etats-Unis et en Angleterre est souvent appliquée parce que seuls très peu de
personnes se rendent compte de ses conséquences, ce qui n’est pas le cas
d’une confiscation directe de 10% de leur épargne par leur gouvernement.
L’inflation est bien plus facilement mise en place et ce, sur des périodes
qui peuvent parfois s’avérer très longues. Aujourd’hui, les politiques
monétaires et l’inflation ne sont que la continuité des fraudes bancaires par
d’autres moyens.
C’est d’ailleurs pour cela que je disais récemment que la
pièce de platine au trillion de dollars était une idée cynique et terrible,
qui a exposé la farce d’une inflation monétaire rapide et de grande ampleur
aux yeux de tous. La pièce de platine avait toutes les cartes en main pour
déclencher une panique monétaire.
Chypre s’est avérée relativement stable avant son
effondrement financier, mais a été secouée par la restructuration des
obligations Grecques. Le coup de grâce lui a été porté par son grade BB+ qui
l’a empêché d’emprunter, et qui a rendu les obligations Chypriotes inacceptables
en tant que collatéral auprès de la BCE et des marchés publics.
Et comme de nombreuses petites îles ensoleillées,
l’économie de Chypre dépendait jusqu’à présent du tourisme, de ses retraités
et d’un important secteur financier. Depuis que Chypre a été une colonie
Britannique, son système légal a ressemblé à celui de l’Angleterre, qui y
dispose toujours d’importantes bases militaires dans lesquelles vivent
environ 3500 hommes.
Chypre est comme une boîte. Elle a besoin de quitter la
zone Euro, de faire défaut sur ses obligations et de créer sa propre devise.
Mais comment pourrait-elle capitaliser ses banques, et comment devrait-elle
évaluer sa nouvelle devise ?
Si
Chypre disposait de réserves d’or, voire même de réserves de devises
étrangères composées de devises stables, elle pourrait les utiliser pour
soutenir sa devise tout en imposant des contrôles de capital. Elle pourrait
liquider, ou nationaliser si vous préférez, les banques sans toucher les
dépôts. Il n’en est pas moins que la conversion de la nouvelle devise
Chypriote revienne à une dévaluation par rapport à l’euro et transformerait
son statut actuel de paradis fiscal.
C’est
ce que l’Islande a fait. C’est aussi ce que la Russie a fait lorsqu’elle a
fait défaut, dévalué et réémis des roubles dans les années 1990.
Que
dirait la zone Euro si Chypre s’alliait à la Russie et lui offrait des bases
militaires sur son territoire aux côté des bases Britanniques en échange d’un
plan de sauvetage ? La Russie jouera un rôle clé dans l’avenir de
Chypre. Ses intérêts et sa présence doivent être gérés avec beaucoup de prudence.
La
question de Chypre est importante, bien que ce ne soit pas parce que l’île
représente une importante portion de l’économie de la zone Euro –1% du total.
Mais
Chypre met en lumière les erreurs fatales de la conception même de la zone Euro,
et de sa devise sans réelle union fiscale, sans système de transferts, sans
taxes communes…
Elle
a également démontré la faiblesse des garanties offertes par les
bureaucrates, non seulement en Europe mais aussi ailleurs, lorsqu’il en vient
à la question de la monnaie.
C’est
une leçon que tout banquier central doit garder à l’esprit. Et les
bureaucrates devraient également se souvenir qu’ils ne peuvent pas franchir
un certain seuil sans risquer de perdre la confiance des gens. Une fois cette
confiance perdue, il leur sera très difficile de la regagner.
Il
est une leçon que j’aimerais que les banquiers centraux puissent tirer de
tout cela. Ils devraient se rappeler qu’une devise commune ne peut
fonctionner sans une union monétaire, et donc une union fiscale et politique.
Sans cela, un groupe puissant peut aisément tourner le système en son
avantage tout en laissant tomber tous les autres.
Lorsque
ceux qui défendaient la devise commune ont présenté leur projet, ce qu’ils
désiraient vraiment était l’établissement d’un gouvernement mondial qui
serait mis en place à la suite de la crise que leurs actions finiraient par
provoquer.
Et malgré le plafonnement du marché des métaux précieux,
souvenons-nous qu’il n’existe qu’une seule monnaie de dernier recours qui
soit libre de tout risque de contrepartie. Cette monnaie, c’est l’or, et dans
une moindre mesure la devise de référence mondiale, qui pour l’instant est le
dollar.
C’est
la confiance qui soutient l’intégrité d’un système basé sur le risque de
contrepartie, et c’est cette confiance qui soutient la monnaie moderne.
Lorsque cette confiance disparaît, les autorités monétaires font appel à la
force. Et lorsque la confiance comme la force ne fonctionnent plus, une hyperinflation se développe. L'hyperinflation, sachez-le,
est bien plus qu’une forte dose d’inflation.
Une
hyperinflation est une perte totale de confiance, une panique monétaire.
Ce
qui est un peu une ironie historique, c’est que les Allemands semblent encore
une fois danser avec l’effondrement bancaire et l’hyperinflation, parce
qu’ils s’imposent eux-mêmes les mêmes punitions collectives que celles qui
leur ont été imposées dans le contexte dd’après-guerre. Oh, quelle ironie…
Le
printemps est dans l’air. Plus ça change, plus c'est la même
chose.
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