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Enseignant de
“sciences économiques et sociales,” je suis bien
placé pour savoir ce que l’on enseigne, dans le système
français, sur la question de la monnaie.
La version officielle
est que les systèmes dits “modernes,” dans lesquels une
banque centrale se voit octroyée un monopole public de création
monétaire, implique cinq avantages par rapport à un
système de liberté bancaire dans lequel l’offre de
monnaie est aussi libre que celle de sandwichs ou de services de plomberie.
En premier lieu, un
monopole public serait source de confiance. Indéniablement, la valeur
d’une monnaie dépend de son statut de “pouvoir
d’achat généralisé,” pour reprendre
l’expression de Pascal Salin, c’est-à-dire de la
conviction que celle-ci pourra être aisément
échangée contre des marchandises réelles auprès
des autres membres de la société. Dès lors, une loi de cours
légal représenterait un gain considérable en termes
d’une telle assurance de liquidité par rapport à une
situation dans laquelle existeraient différentes monnaies
libres/privées à la circulation plus limitée.
En deuxième
lieu, l’existence d’une devise officielle et obligatoire
diminuerait les coûts de transaction en instaurant un unique
étalon de valeur pour chaque économie. Au lieu que chaque
marchandise ait un prix différent en termes de différentes
monnaies libres/privées, elles en auraient un et un seul, en termes de
la devise officielle du pays.
En troisième
lieu, une monnaie d’État présenterait l’avantage
d’être produite par une banque centrale à but non
lucratif, alors que des émetteurs privés auraient, en raison de
leur recherche de profit, nécessairement tendance à démultiplier leurs engagements
(= prêts rapportant un intérêt = masse monétaire en
circulation) sans égard pour leurs fonds propres (= réserves).
De ce fait, une monnaie d’État serait une meilleure assurance
contre l’inflation, c’est-à-dire aussi une meilleure
garantie de la capacité de la monnaie à maintenir sa valeur, et
donc à remplir sa fonction de conservation de pouvoir d’achat.
Enfin, la
monopolisation publique de la monnaie présenterait deux avantages plus
politiques qu’économiques. Le seigneuriage, d’une part,
qui permet au gouvernement de financer ses dépenses par la
différence entre le coût de production (virtuellement
égal à zéro) et la valeur nominale de la monnaie; et la
politique monétaire, d’autre part, qui serait un instrument
utile de gestion de l’économie, notamment en temps de crise appelant
à des mesures de relance.
Sans entrer dans le
détail de l’analyse, qui demanderait trop d’espace et de
temps, on peut d’ores et déjà noter que théorie
officielle de la monnaie n’est simplement pas cohérente avec
elle-même. Ainsi le premier point, concernant les gains de
liquidité, justifierait-t-il l’existence d’une monnaie
d’État, mais non pas l’interdiction de monnaies
privées: si les moyens de paiement émis par la banque centrale
étaient véritablement préférables, du point de
vue du peuple, à ceux offerts par des émetteurs privés,
alors la concurrence ferait son œuvre et les derniers
disparaîtraient.
De même,
l’existence d’un étalon unique n’est pas un bien en
soi: son avantage dépend de la valeur de cet étalon lui-même.
Cette valeur repose, d’une part, sur la capacité de cette
monnaie à conserver sa valeur—qui est après tout sa
fonction essentielle; et, d’autre part, sur la
désirabilité d’un standard unique—dont
l’extension est toujours limitée, comme nous le rappelle la
crise actuelle de l’Euro.
Pour finir, les trois
derniers points doivent être considérés ensemble.
Concernant le réglementation de la production monétaire,
l’argument est de pure mauvaise foi, car la monopolisation de la
monnaie permet au contraire de repousser les limites de l’arnaque
fiduciaire à laquelle que la concurrence entre une
variété de systèmes contraindrait à une plus
grande discipline. De plus, cet argument est en contradiction directe avec l’avantage
supposé du seigneuriage, finalement synonyme de vol par
l’inflation. Et il l’est tout aussi bien avec celui des avantages
supposés de la politique monétaire—toujours
expansive—quine constitue finalement qu’un moyen, pour
l’État, de différer et d’aggraver les
conséquences nécessaires de ses propres politiques.
Au final, la
théorie officielle de la monnaie n’est, pour citer à
nouveau Pascal Salin, qu’une “théorie-alibi,”
malheureusement opposée à la vérité qui, si on
voulait l’entendre, justifierait la libre concurrence en matière
d’émission monétaire, tout comme en n’importe
quelle autre offre de marchandise.
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