La nation dénaturée

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Published : May 01st, 2008
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De l'éducation nationale à la protection sociale - Juin 1990)

Introduction

Quand on lit, dans l'avant-dernière livraison de la Lettre d'information du Club de l'Horloge (1989), dont le thème est "La nation", les articles de M. Leroy, H. de Lesquen et F. Terré, et qu'au terme de la lecture on cherche à donner une définition de la nation, on se rend compte qu'on est dans l'impossibilité de la donner et que cette définition reste encore une énigme.

Car enfin comment accepter des origines situées au crépuscule dirigiste du XVIIIè siècle, quand on n'oublie pas que la "nation" est d'abord un type d'association qui a émergé spontanément aux XIIè-XIIIè siècles en Europe, finalisée par l'enseignement et la protection libres de ses membres .

Comment passer sous silence le socle et l'impulsion que ce type d'association donna au développement des associations plus complexes que vont constituer, dans toute l'Europe, les universités.

Comment passer sous silence qu'en France les universités ont été déformées par les hommes de l'Etat, en particulier entre le XVè et le XVIIIè siècles.

Bien plus, comment ne pas souligner que progressivement les hommes de l'Etat sont parvenus à se donner un quasi-monopole sur l'enseignement , d'abord en détruisant la variété effective et possible des associations-nations d'individus, puis en instaurant le principe de la nation du peuple.

Et comment expliquer le contexte des dernières décennies (depuis 1930) où les dirigistes sont arrivés d'abord à ne plus mentionner dans leur discours l'"Etat-nation", qu'ils avaient pourtant contribué à construire de toutes pièces, puis à faire référence presqu'uniquement à la "protection sociale", leur dernière invention.

Une attitude est d'affirmer que ces faits n'ont rien à voir avec l'explication de la nation, voire les uns avec les autres. Une autre est de dire qu'ils sont intimement liés car ils ont un dénominateur commun : la richesse insoupçonnée de l'association médiévale, qu'est la "nation". Les lignes qui suivent se proposent de développer cette seconde attitude.

Ce n'est pas parce que la richesse de l'association-nation a toujours été tûe, volontairement ou non, en particulier par les historiens, qu'il faut tomber dans le piège de continuer à la taire.

En quoi consiste la richesse en question ? Rétrospectivement, et malgré les outrages que lui ont fait subir les hommes de l'Etat depuis son émergence, elle tient d'abord dans ses principes : liberté de l'individu, liberté d'association, liberté d'enseignement et libre examen .

Ensuite, elle peut être caricaturée par les deux fronts qu'identifieront, isoleront et attaqueront les dirigistes au fil des siècles :
- d'un côté, association d'individus - natifs d'un même "pays" géographique parfaitement délimité et connu de chacun - désireux de (s')enseigner - d(e s)'instruire et d(e s)'éduquer - par le libre examen dans le (ou les) domaine(s) de connaissance de leur choix.;
- de l'autre, association de protection de ces mêmes individus contre les dangers de tous ordres qu'ils courent au quotidien et contre lesquels leur activité, l'étude ou l'enseignement, ne saurait les protéger, étant donné le contexte de risques de perte où ils vivent .

La richesse résulte enfin de l'état d'esprit dans lequel la "nation" est apparue. Celle-ci n'a pas été créée par décret. Au contraire, elle a suscité l'abrogation des "bulles" - les décrets de l'époque -. Elle est le fruit d'une recherche et d'une découverte des individus en matière d'organisation. .

La richesse a été volontairement tûe, ou sous-estimée, peut-on penser, quand on prend garde que la "commune", association très voisine et émergée simultanément, n'a pas eu le même sort, i.e., l'oubli. Personne n'envisagera de la faire remonter au XIXè siècle, mais au minimum au moyen âge. En tête, K. Marx ! Une explication : la nation médiévale déplaît aux dirigistes, hommes de l'Etat ou non, car ses principes sont un obstacle à leurs desseins. A l'opposé, la commune médiévale, dont les principes sont autres, les agrée . On sait d'ailleurs les conséquences que cette dernière attitude a engendrées (Commune de Paris au XIXè ou communisme au XXè).

La richesse est involontairement sous-estimée, peut-on penser aussi, à cause du "dérapage" de 1789 et des différentes déclarations des droits de l'homme et du citoyen. Une illustration : ce qu'écrit au XIXè siècle Guizot qui ne distingue pas "nation" et "commune", mais les identifie par exemple de la façon suivante :

"Malgré ce changement, nul doute que le tiers-état de 1789 ne fût, politiquement parlant, le descendant et l'héritier des communes du XIIème siècle. Cette nation française, si hautaine, si ambitieuse, qui élève ses prétentions si haut, qui proclame sa souveraineté avec tant d'éclat, qui prétend non seulement se régénérer, se gouverner elle-même, mais gouverner et régénérer le monde, descend incontestablement en grande partie du moins, de ces communes qui se révoltaient au XIIème siècle" (Guizot, 1846, p.188).

Les lignes qui suivent, se proposent d'isoler et de décrire les deux faits qui cadenassent la connaissance de la richesse de l'association-nation médiévale et concourent à ce que la définition de la nation soit aujourd'hui une question sans réponse.

L'un tient dans la construction étatique progressive de l'enseignement "instruction publique-éducation nationale", obligatoire pour l'individu (2ème section) ; l'autre dans la construction étatique progressive de la "protection sociale", tout autant obligatoire pour l'individu (3ème section). Mis ensemble, i.e. "nation moderne", ils sont l'avatar des nations médiévales, mais un avatar dégénéré puisqu'il n'y a plus de variété possible des nations, que l'individu est obligé, et non libre, d'en faire partie, et qu'il est obligé de poursuivre l'objectif que lui assigne l'Etat qui en a pris le commandement, et non l'objectif qu'il pourrait choisir.

Comment ces faits ont-ils été sélectionnés ? Par simple application de la théorie économique des organisations à l'association-nation médiévale, et non par référence à l'histoire officielle des historiens (1ère section).

I. 1. Individu et famille
Depuis quelques années, la théorie économique explique :
- en quoi la famille constitue, pour l'individu, une organisation de protection contre, d'une part, les dangers de toute nature qui l'assaillent, et, d'autre part, les conséquences néfastes de l'incertitude de l'avenir, étant donné l'état de la connaissance technologique et plus généralement l'état de l'ignorance authentique ;
- en quoi cette protection peut s'avérer au fil des jours, aux yeux de l'individu, moins efficace que des formes de protection plus récemment découvertes et être anticipée comme telle, et, à ce titre, pourquoi certains d'entre ceux-ci choisissent un jour de l'abandonner pour recourir, à la place, aux nouveautés.

Elle donne cette explication en tenant compte du fait que l'individu est toujours issu d'une famille et du principe qu'il a le choix de jouer (ou non) un rôle dans son extension

Elle montre aussi pourquoi, si l'individu cherche à se séparer de sa famille au plus grand dam de celle-ci, la famille peut de son côté chercher à lui opposer des obstacles pour qu'il renonce à son entreprise.

Elle montre enfin pourquoi la famille peut chercher elle-même à s'étendre, compte tenu ou abstraction faite des désirs de l'un ou l'autre de ses membres.

I.2. Famille et nation.

A partir de cette approche économique de la famille, et par analogie, on peut expliquer l'émergence d'une association plus large que la famille, qu'on appellera "nation abstraite", dont les caractéristiques sont les suivantes :
- la nation abstraite est, pour la famille (ou tel ou tel de ses individus-membres), une organisation de protection contre les dangers de toute nature qui la (le) menace ;
- la nation abstraite peut s'avérer, pour la famille (ou tel ou tel de ses individus-membres), moins efficace que les formes de protection plus récemment découvertes ; alors, il faut s'attendre à ce que la famille (l'individu-membre) désire changer de protection et adopter la forme nouvelle qu'elle anticipe la plus efficace ;
- l'individu peut mettre en concurrence la "nation abstraite"et la famille et choisir de ne pas appartenir à l'une ou à l'autre ;
- de même que la famille peut chercher à résister à son membre qui veut s'éloigner d'elle, de même la "nation abstraite" peut s'opposer à une famille (ou à tel membre de celle-ci) qui veut s'en affranchir.

Une différence essentielle entre les deux situation est à souligner néanmoins. Si l'une et l'autre ont des moyens d'y parvenir, il faut se rendre compte que, pour sa part, la "nation abstraite" dispose d'un moyen déterminant dont ne dispose pas la famille dans un état de droit : c'est la force, la coercition, la contrainte de corps de l'individu (voire de la famille elle-même).


I.3. Un choix ordinaire

Comme l'individu-unité de décision ou la famille-unité de décision ou toute autre association-unité de décision (la firme par exemple), la "nation abstraite"-unité de décision peut désirer se "rationaliser" dans le but affiché d'améliorer son efficacité, i.e., l'efficacité avec laquelle elle protège "ses" membres contre les dangers.

A cette fin, elle a un large éventail de choix. Elle peut choisir de se doter d'une autorité, ou de s'étendre en créant des appendices ou de passer des alliances avec certaine unité de décision.


I.4. Les erreurs prévisibles en théorie

Comme les autres unités de décision, si elle effectue l'un de ces choix, la "nation abstraite" prend le risque de voir dans l'avenir :
- l'autorité concédée lui échapper,
- ou l'appendice croître à ses dépens et y parvenir ;

Bien plus, devenues respectivement autonomes ou véritables institutions juxtaposées, rien n'exclut que les nouvelles entités cherchent à rivaliser avec elle-même. Rien n'exclut qu'elles la coiffent si elles parviennent à lui subtiliser sa matière, à savoir sa propre autorité, ou sa propre étendue (sa priorité, ses acquis) .


I.5. Education nationale et protection sociale obligatoires : la nation au sens moderne du terme.

La nation, au sens moderne du terme, est à la fois une illustration de ces choix possibles des "nations abstraites" et une vérification de leurs erreurs prévisibles en théorie.

Ainsi, la facette "éducation nationale obligatoire" de la nation d'aujourd'hui procède directement des choix des nations médiévales en France. Elle s'articule à l'autorité que, parfois, celles-ci ont décidé, un jour dans le passé, de concéder à l'université où elle se trouvait en se dotant d'un Etat . L'Etat en question "n'a pas été à la hauteur" des espérances qui était mises en lui ou il s'est compromis avec l'Etat politique.

Il en est résulté que le politique l'a "exproprié" et, en même temps a supprimé la variété des nations dans une université et la variété des universités dans le territoire sur lequel il affirmait son autorité.

Au point où elle se trouve aujourd'hui, cette évolution a conduit à la disparition des "nations" médiévales elles-mêmes, en tant qu'organisation possible, libre et volontaire, d'étude et d'enseignement de ses membres , et par son remplacement par une organisation obligatoire, unique et hiérarchisée.

La facette "protection sociale obligatoire" de la nation moderne est liée indirectement aux choix des nations médiévales. Elle plonge ses racines dans la protection contre les dangers de toute nature que celles-ci offraient à leurs membres, une fonction dont fera abstraction l'éducation nationale obligatoire quand les hommes de l'Etat l'institueront.

Elle a pris une forme tangible quand l'Etat-nation a choisi de créer l'appendice "Sécurité sociale" en 1945 et de lui concéder la protection obligatoire des individus contre certains risques de perte : les risques sociaux.

En évolution continue mise en oeuvre par l'Etat-nation depuis, elle a acquis une position qui lui permet aujourd'hui de rivaliser avec son Pygmalion.

Pour sa part, l'individu est confronté à deux monopoles étatiques de protection sociale qu'il ne peut mettre en concurrence puisque obligatoires.


I.6. Les erreurs des nations médiévales.

Mais les deux facettes de la nation moderne ne sont pas indépendantes l'une de l'autre. La seconde est un sous-produit de la première et les deux ont en commun d'être des étapes, soit dans la lente dégradation de la richesse de l'organisation spontanée "nation.médiévale", soit dans la lente consommation de la richesse de l'organisation par les hommes de l'Etat.

Que la nation médiévale présente, en tant qu'organisation, certaine déficience pour atteindre à coup sûr ses objectifs, n'est pas pour surprendre. Toutes les organisations en sont là.

Qu'elle tente de s'en affranchir, ne surprendra pas plus. Ni qu'elle choisisse, comme moyen pour y parvenir, de se doter d'une autorité pour y parvenir. Ni que l'autorité la dévore par la suite et se suscite à son tour une rivale.

Sauf ... si on tient compte de sa spécificité majeure : l'étude et l'enseignement, i.e., l'acquisition de connaissance (la réduction de l'ignorance) comme objectif et le libre examen comme méthode. Avec cette double spécificité, on se serait attendu à ce que son autonomie ne lui échappât pas, qu'elle se fût auto-protégée contre l'éventualité de sa destruction par l'étatisation.

C'est pourtant tout le contraire qui s'est produit puisqu'au fil des siècles, elle va être capturée par les hommes de l'Etat pour devenir éducation nationale obligatoire (le qualificatif "nationale" est essentiel) .

Beaucoup plus surprenant, qu'une fois en cage de jure, elle soit réactivée au XVIIIè, dans l'état déformé où elle se trouve, par les Economistes qui voit dans l'éducation publique une garantie non pas contre l'ignorance, mais contre l'abus de pouvoir, comme l'évoque Tocqueville :

"Ils [les économistes ou les physiocrates] sont, il est vrai, très favorables au libre-échange des denrées, au laisser faire et au laisser passer dans le commerce et dans l'industrie ; mais, quant aux libertés politiques, ils n'y songent pas" [...] La seule garantie qu'ils inventent contre l'abus de pouvoir, c'est l'éducation publique ; car, comme dit encore Quesnay, 'le despotisme est impossible si la nation est éclairée'" (Tocqueville, 1856, p.1048).

Mais la surprise est de courte durée si on comprend bien les propos de Tocqueville. Tocqueville est très réticent sur l'éducation publique, pour protéger contre l'abus de pouvoir, car il l'envisage comme l'éducation, on dirait aujourd'hui, "nationale", et non comme l'éducation du public, de l'individu, par toutes les voies possibles et imaginables (individuelles, collectives ou familiales) et, en particulier, par la voie découverte aux XIIè-XIIIè siècles, la voie de la "nation au sein d'une université", fondée sur la liberté de l'individu et le libre examen.

Si on adopte la définition première de l'organisation d'étude et d'enseignement, que constitue la "nation" par exemple au sein de l'université, à Paris, au moyen âge, et si on suppose que c'est à elle que Quesnay se réfère, on pensera que l'inquiétude de Tocqueville n'était pas fondée. Quesnay ne fait que revenir effectivement aux sources de la liberté.

Mais si on doute de l'efficacité de la "nation" au sein de l'université, en tant que type d'association, pour atteindre l'objectif que ses individus-membres se sont fixés , il en est tout autrement.

Si, en particulier, avertis de l'expérience passée, on doute de l'efficacité de la "nation" pour mettre en garde chacun de ses membres contre les errements possibles qui le conduirait, par exemple, à voir d'un bon oeil qu'il n'ait pas la liberté de son propre enseignement, et à accepter de plus que les hommes de l'Etat, non seulement s'en donnent le monopole , mais encore l'obligent à la recevoir, il y a de quoi être réticent.

Et Tocqueville est vraisemblablement réticent pour cette dernière raison. Tout laisse à penser que sa réticence n'est pas seulement fondée sur le spectacle que lui offre l'éducation-instruction du public.à l'époque où il écrit ces mots (et auquel nous assistons encore aujourd'hui).

Elle vient surtout des économistes du XVIIIè siècle qui ont dénaturé le principe de la "nation" au sein de l'université, et de la morale de ceux-ci qu'il stigmatise en ces termes :

"L'Etat, suivant les économistes, n'a pas uniquement à commander à la nation, mais à la façonner d'une certaine manière ; c'est à lui de former l'esprit des citoyens suivant un certain modèle qu'il s'est proposé à l'avance ; son devoir est de le remplir de certaines idées et de fournir à leur coeur certains sentiments qu'il juge nécessaires. En réalité, il n'y a pas de limites à ses droits, ni des bornes à ce qu'il peut faire, il ne réforme pas seulement les hommes, il les transforme ; il ne tiendrait peut-être qu'à lui d'en faire d'autres ! 'L'Etat fait des hommes tout ce qu'il veut ' dit Bodeau. Le mot résume toutes leurs théories" (Ibid. pp. 1049-50).

En d'autres termes, pour Tocqueville, que les individus de la nation acceptent l'Etat pour les commander est une chose, mais que des individus, en l'espèce les économistes, préconisent l'étatisation totale de l'instruction-éducation en est une autre. Et l'étatisation est ce qu'il condamne.

La réticence de Tocqueville semble venir ainsi et enfin, a contrario, de l'efficacité de la "nation"-association à objectifs et méthodes spécifiques. En portant ses regards sur la période révolutionnaire (qui s'ouvre en 1789), il ne peut que constater que, malgré l'enseignement qu'il a pu recevoir ou être amené à donner, l'individu lui-même, membre de la "nation", a accepté d'atteindre un objectif opposé à celui qu'il poursuivait, c'est-à-dire celui d'être étatisé . Cela apparaît, d'une part, avec la construction de la notion nouvelle d'"instruction publique-éducation nationale" sur les décombres de la notion de "nation" déformée par les siècles et les dirigistes. Cela se renforce, d'autre part, avec l'organisation étatique résultante (dénommée "instruction publique" puis "éducation nationale" plutôt que respectivement "public instruit" ou "nation éduquée"). D'une certaine façon, la première étape sera franchie de 1790 à la fin du XIXè siècle.

La réticence de Tocqueville ne saurait être imputée à l'ultime surprise que réserve le XVIIIè siècle : la nation médiévale, bien que réactivée déformée, ne recouvre pas sa spécificité originelle d'association de protection de ses membres contre tous les dangers qu'ils courent, étant entendu que l'activité qu'ils poursuivent , qui leur prend tout leur temps comme maître ou élève, présente des inefficacités. Car Tocqueville est muet sur ce point.

En revanche, on s'attendrait à ce que, conscient de la méthode qu'utilise le dirigisme, il envisage la façon dont les hommes de l'Etat vont continuer sur leur lancée et accrocher cette seconde caractéristique de la "nation médiévale" à leur construction de l'Etat-nation. Mais, au moment où il écrit ces mots (en 1856), il ne semble pas l'imaginer.

Lui échappent ainsi les conséquences concrètes de la méthode que les Français vont se voir appliquer : l'enfouissement de la nation d'abord sous la "solidarité sociale" (fin XIXè), puis sous la "protection sociale" (des décennies 1930-1970), et enfin sous la "protection sociale doublée de solidarité" (à partir de 1981).

A fortiori, Tocqueville ne conçoit pas la construction future de la notion de "protection sociale", ni celle de l'organisation bicéphale résultante "Etat-nation, Sécurité-sociale" , seconde étape de l'oubli du principe de la nation médiévale (libre protection des individus contre les dangers connus et inconnus qu'ils courent dans le cadre de leur activité) et tout simplement de la notion de nation .

A côté d'être une vérification de faits prévisibles en théorie, les lignes qui suivent se proposent donc de souligner que la nation, au sens médiéval du terme, est une association d'individus dont le principe est beaucoup plus riche que celui de la nation, au sens "post 1789" du terme, sa forme dénaturée.

L'association à objectif d'étude-enseignement libre et volontaire de ses membres ne saurait être séparée de l'association de sécurité-protection libre et volontaire qu'elle leur offre au quotidien. Cette dichotomie n'a aucun intérêt. Elle peut être évoquée seulement parce que les dirigistes, hommes de l'Etat ou non, ont procédé à la vivisection de la nation médiévale et qu'après avoir réussi, en jouant sur les mots, à isoler la branche étude-enseignement et à donner droit de cité à une distinction entre organisation de l'éducation - nationale - et nation , en suivant la même méthode (à partir de la fin du XIXè siècle), ils ont isolé, progressivement, une protection sociale et donné droit de cité à la distinction entre Etat-nation et Sécurité-sociale .. Désormais, la "sociale" remplace la nation et la sécurité l'état.

Bien plus, et étant donné ces derniers développements, la dichotomie s'avère néfaste puisqu'elle a conduit à l'éviction du mot nation et du mot état. Les racines sont tranchées et les hommes de l'Etat ont la voie libre.


II. Des nations médiévales libres à l'éducation nationale obligatoire.

II. 1. La "nation" au XIIIème siècle : un type d'organisation spontanée

La définition de la nation médiévale n'est pas celle de la nation "économique" à laquelle il a été fait allusion et qu'on peut résumer en parlant de l'association volontaire, librement choisie, de familles ou d'individus, dans le but de se protéger contre des risques de perte, des dangers de toute nature, contre les conséquences néfastes de l'incertitude de l'avenir, l'association étant la méthode suivie, la technique utilisée pour y parvenir. Pour autant, en se dotant d'une autorité, les nations médiévales n'ont pas pris une direction originale à l'issue.imprévisible. Au contraire, elles se sont exposées aux risques évoqués à propos de la nation "économique". Le risque s'est même réalisé pour les nations en France : l'autorité qu'elles avaient décidée de concéder, s'est retournée contre elles et a amené leur dénaturation.

A. Les "nations" en France.
a) Définition.
Le mot "nation" désigne une association volontaire d'individus (maîtres et étudiants) natifs d'un même région (diocèse), dont l'objectif est le savoir, et la méthode générale, l'apprentissage de la connaissance par le "libre examen" de ce qui existe, de tous les domaines possibles et imaginables de la connaissance.

"D'après Valet de Viriville et Charles Jourdain [...] Dès le principe, une division naturelle s'établit entre les jeunes gens que la renommée des grandes écoles parisiennes y faisait affluer, de tous les points de la chrétienté. Les écoliers se groupèrent par nations ; les maîtres et les étudiants originaires du même pays vivaient ensemble et habitaient, à l'origine, dans la même maison, et plus tard, devenus plus nombreux, dans le même quartier" (Anonyme, 1887, pp.13-14)

"Il y avait alors, entre le maître et l'élève, des relations très différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui. Le maître n'était en quelque sorte qu'un camarade plus instruit et plus âgé" Il allait réclamer son élève à la prison du Chatelet, lorsque le jeune homme s'était fait prendre dans quelque échauffourée. Si l'écolier a besoin d'une dispense ou d'une faveur, c'est son maître qui le demande pour lui à l'assemblée de la nation ou de la faculté [...] Maîtres et écoliers d'une même nation logent dans les mêmes hôtelleries, mangent à la même table ; [...] aucune marque de servilité".(Ibid.,p.63)

"Ces différents groupes ayant adopté [à l'université à Paris], par analogie de langue, d'intérêt, de sympathie, une forme plus régulière, il n'y eut que quatre nations, ainsi désignées : celle de France, celle d'Angleterre, celle de Normandie et celle de Picardie.
La nation de France se composait de cinq tribus, qui comprenaient les évêchés ou provinces métropolitaines de Paris, de Sens, de Reims et de Bourges, et tout le midi de l'Europe, en sorte qu'un Espagnol et un Italien qui venaient étudier à Paris étaient compris dans la nation de France.
La nation d'Angleterre qui se subdivisait en deux tribus, celle des insulaires et celle des continentaux, embrassait toutes les contrées du Nord et de l'Est étrangères à la France.
Mais quand un violent antagonisme se fut déclaré entre les deux peuples que sépare le canal de la Manche, le nom d'Angleterre étant devenu un objet d'exécration générale pour les Français, la nation universitaire, qui depuis plus d'un siècle avait porté ce nom-là, prit celui de nation d'Allemagne, nom seul employé dans les actes publics, à dater de la rentrée de Charles VII à Paris, en 1437.
La nation de Normandie n'avait qu'une seule tribu, correspondant à la province qui portait son nom ; la nation de Picardie, au contraire, en avait cinq, représentant les cinq diocèses de Beauvais, de Noyon, d'Amiens, de Laon et des Morains ou de Térouanne" (Ibid., pp.13-14)

"Les nations avaient aussi leurs patrons particuliers. Lorsque les guerres des Anglais eurent diminué en France la faveur qu'on accordait au culte de l'archevêque de Cantorbéry, la nation de France invoqua de préférence saint Guillaume de Bourges, ancien élève de l'université. La nation d'Angleterre [...] ne manqua pas quand elle fut devenue la nation d'Allemagne, de célébrer régulièrement la fête de Saint Charlemagne (Ibid. p.90)

b) Propriétés
i) La nation est une organisation fondée sur le libre examen.
"L'importance de ce premier essai de liberté [Introduction à la théologie d'Abailard] de cette renaissance de l'esprit d'examen, fut bientôt sentie. Occupée de se réformer, l'Eglise n'en prit pas moins l'alarme [...] C'est la le grand fait qui éclate à la fin du XIè et au commencement du XIIè" (Guizot, op.cit., p.181)

"Abailard [1079-1142] avait suivi d'abord les leçons de Guillaume de Champeaux, mais il se prononça bientôt contre lui et contre les docteurs réalistes, dans un cours public de philosophie qu'il ouvrit en son nom personnel, en dehors de tout patronage étranger, sine magistro, comme ses rivaux le lui reprochaient" (Anonyme, op.cit., pp.123-4)

ii)Elle est aussi une organisation fondée sur la liberté de l'individu
- point de vue théorique

"Ce système [d'Abailard] a reçu le nom de conceptualisme. Il consiste à dire que les universaux ne sont ni des réalités, comme le veulent les réalistes, ni de simples mots, comme le prétendent les nominalistes, mais des conceptions de l'intelligence, qui, ayant observé la ressemblance que plusieurs individus ont entre eux, résume ces ressemblances en une notion qu'elle étend à tous ces individus. Il n'y a, dans l'immense domaine des créatures ou des choses nées, rien qui ne soit essentiellement individuel, ou qui ne prenne nécessairement la forme de l'individualité ; les qualités générales elles-mêmes n'ont de réalité que dans les individus qui les possèdent ; mais, en face des choses individuelles, il y a la pensée qui perçoit leurs rapports, qui dégage ce qu'elles ont de commun, et qui engendre ainsi les notions de genre et d'espèce, en un mot les universaux" (Ibid.)
- point de vue pratique
Par exemple,

"Aux termes des canons de l'Eglise, la personne d'un clerc (tout écolier acquérait ce titre avec la licence) était inviolable ; se porter à des voies de fait envers un clerc, c'était commettre un crime qui entrainait l'excommunication et que le pape seul pouvait absoudre" (Ibid.., p.88)

iii) La nation est surtout une organisation spontanée avec ses propres règles.
"Grâce à la célébrité promptement acquise à l'éloquence d'Abailard, l'école de Notre-Dame prit une importance qu'aucune autre école n'avait encore eue en Occident ; et quand il eut cessé d'y professer, Paris ne perdit pas les avantages que sa présence lui avait valus. Les circonstances étaient favorables et fécondèrent le germe déposé par son enseignement. Tous les étudiants rêvaient de la gloire d'Abailard et aspiraient à professer comme lui" (Ibid., p.10)

"Pour maintenir l'ordre parmi ces jeunes gens qui, lachés brusquement dans les rues de la capitale, loin de leurs familles, étaient sujets à toutes sortes d'entrainements, on avait dû peu à peu imaginer une organisation administrative, qui achève de prendre forme au milieu du XIIIè siècle" (Halphen, 1940, p.566)

"Pour subvenir à ses dépenses, chaque nation levait sur chaque candidat une certain somme au moment où il prétait serment. Cet impôt était considéré comme une cotisation qu'on devait payer pour participer aux privilèges de la corporation. La cotisation imposée par la nation aux candidats était fixée d'après leur revenu présumé. L'unité de compte était appelée bourse (bursa) ; une bourse était la somme que le candidat dépensait pur son entretien,n déduction faite du loyer de sa chambre et du salaire de son domestique. Le candidat affirmait cette somme par serment : le procureur multipliait la bourse, ou , comme on disait, "la taxait" suivant les besoins de la nation, de la faculté, de l'université. Les bacheliers, les licenciés, les maîtres payaient ordinairement quatre bourses" (Anonyme, op.cit., p.28)

"Le candidat, qui n'était pas assez riche pour payer ses bourses, affirmait sous serment, en présence de la nation, qu'il était placé dans les conditions de pauvreté qui exemptaient des frais d'examen. Au quatorzième siècle, dans la nation anglaise, celui dont la bourse ne dépassait pas 16 deniers était exempté comme pauvre. Le candidat qui ne pouvait payer ses bourses comptant remettait des gages au receveur, ordinairement les livres, que la nation vendait si elle n'avait reçu à l'époque fixée" (Ibid.,p.29).

B. L'Université de Paris
"[Mi-XIIè siècle] on voit apparaître la première preuve d'une organisation universitaire : Henri II, roi d'Angleterre, proposait de soumettre le différend qui s'était élevé entre lui et Thomas Becket, évêque de Cantorbéry, à l'arbitrage des écoliers des diverses nations, étudiant à Paris" (Ibid., p.10)

a) Les nations et l'université à Paris
"Quant à l'étymologie du nom de l'Université, il faut la chercher dans le sens du mot latin universitas, qui, au moyen âge, représentait une réunion, une catégorie de personnes, une corporation. Ainsi, dans les actes et mandements publiés au nom des écoles de Paris, on employait la formule ordinaire : noverit universitas vestra (c'est-à-dire : sachez, tous autant que vous êtes!), et cette formule, qui s'appliquait à tous les protocoles, figurait aussi en tête de tous les diplômes émanés des maîtres et adressés aux élèves" (Ibid., pp. 10-11).

"On comprend que le mot universitas, prenant peu à peu un sens spécial ou restreint, finit par désigner particulièrement l'Université ou la totalité des étudiants, puis l'institution universitaire elle-même que formaient ces étudiants, et, enfin le vaste quartier de la ville qui leur était presque exclusivement réservé sur la rive gauche de la Seine" (Ibid., pp. 10-11)

"Les quatre nations réunies constituèrent d'abord l'Université des études ; plus tard, une nouvelle division s'établit, selon l'ordre des études de chaque nation, et les facultés prirent naissance" (Ibid., p.14))

"En 1200, Philippe-Auguste délivre un diplôme, daté de Béthisy, dans lequel se trouve, en quelque sorte, le fondement des privilèges de l'université, nous montre cette nouvelle institution fonctionnant sous un chef, dont l'immunité, ainsi que celle de tous ses membres, est solennellement garantie vis-à-vis de la justice laïque" (Ibid, p.10)

"Ce diplôme rassemble en un corps d'université et dote de précieux privilèges cette multitude d'écoliers" (Ibid, p. 34)

"Ce fut le pape Innocent III, favorablement disposé pour les écoles de Paris, où il avait étudié lui-même, qui autorisa les maîtres, en 1208, à se faire représenter par un syndic, et en 1209 à s'imposer sous la foi du serment, l'obligation d'observer les règlements qui leur paraîtraient convenables. Ces deux bulles constituaient les maîtres et les étudiants de Paris en une vraie corporation (universitas), selon le droit romain" (Ibid, p.12).

D'après Halphen (1940), les maîtres des écoles non épiscopales de toutes les disciplines ou facultés se groupent en une association générale, contre l'autorité tatillonne du chancelier. En 1208-1209, les étudiants y adhèrent. C'est l'université à Paris.

Groupement inorganique, début XIIIè, l'association générale des maîtres et des étudiants n'avait ni chef reconnu, ni porte parole régulier. Unis pour la défense de leurs intérêts personnels lorsque les circonstances l'exigeaient, les maîtres et étudiants des diverses disciplines perdaient contact aussitôt la situation redevenue normale. Seule la communauté de discipline de "faculté" établissait un lien permanent entre eux (cf. Halphen,.op.cit., p.565)

D'après Halphen (1940), "1212 : le pape prend position en faveur des maîtres Il reconnait leur association et conserve au chancelier le droit de décerner la licence d'enseignement et lui réserve la collation du titre, mais le tient d'y procéder si le jury des maîtres le juge bon.

"1215 : la papauté établit les statuts de l'association scolaire de Paris - officiellement traitée d'universitas - de collectivité - pour étendre ses prérogatives et fixer le régime des études.
"1219 : bulle pontificale pour Bologne non plus comme à Paris, pour limiter le droit d'intervention de l'autorité diocésaine dans la collation de la licence d'enseigner, mais, inversement, pour contraindre le corps professoral, à abandonner cette prérogative à un mandataire "
"1221 : professeurs et élèves font fabriquer un sceau de leur groupement".(Halphen, op.cit., pp.331 et sq)

b) La liberté des nations et de l'université
"1231 Bulle Parens scientarum : Grégoire IX édicte les règles auxquelles, dans leurs rapports mutuels, l'université et l'évêque devront se conformer. L'université [à Paris] y est considérée comme un organisme régulier dont il ne reste plus qu'à préciser le statut légal. C'est seulement dans la seconde moitié du XIIIè que le statut prendra forme définitive ; mais dès ce moment la révolution est accomplie : le corps scolaire, en tant que tel, est à Paris pratiquement indépendant de l'évêque, il a son organisation propre, son autonomie administrative,

"en 1246, le droit du sceau lui est officiellement reconnu".(Ibid.)

D'après Halphen (1940), "l'université de Paris - l'association générale des maîtres et des étudiants de Paris - qui dans la première moitié du XIIIè siècle, avait réussi à s'affranchir des évêques grâce à l'appui de Rome, essaie dans la période qui suit de rejeter pareillement la tutelle pontificale et de s'assurer dans l'Eglise une vie autonome.

1253 : exclusion des "réguliers" par les "séculiers" avec défense à tout étudiant, membre de l'Université de suivre leur cours ; 1254-1257, conflit.

"L'université de Paris s'était placée sous l'égide de l'Eglise et de la royauté. Souverains pontifes et rois favorisaient donc à l'envi, chacun dans la mesure de ses propres intérêts, cette institution qui, relevant à la fois du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, se servit habilement de ce double caractère pour conserver son indépendance. Cette jeunesse folle et indisciplinée se permettait tout, sous le bénéfice de l'espèce d'inviolabilité qu'elle devait à l'affection généreuse de ses patrons religieux et laïques" (Anonyme, op.cit., p.30)

L'université donnait elle-même à ses écoliers l'exemple de cet esprit de révolte, dès qu'il s'agissait de défendre la moindre de ses prérogatives Trois moyens :
- si la violation venait du pouvoir séculier, se plaindre au roi ;
- si elle avait à se plaindre de l'autorité ecclésiastique, se plaindre au pape ;
- la cessation générale d'activité, d'études (ce fut le cas en 1221, 1225, 1228, 1229 en particulier)

c) La bulle d'Urbain IV Scientarum fontem.
"Savigny fait remarquer que, dans les actes relatifs à l'Université avant 1261, le mot universitas est toujours employé avec le génitif magistrorum ou scholarium sous-entendu ; il exprime l'association des maîtres de Paris considéré comme corporation légale. L'expression d'universitas Parisiensis est appliquée, pour la première fois, au sens de corps enseignant, dans la bulle d'Urbain IV, Scientiarum fontem" (Anonyme, op.cit., p.12).

"Déjà au mois de février 1254, dans le manifeste retentissant qu'ils adressent alors aux membres du clergé pour les prendre à témoin de leur bon droit, les maîtres séculiers des quatre Facultés et leurs étudiants n'hésitent pas à [...] qualifier [le recteur de la Faculté des arts] de 'recteur de leur Université', lançant ainsi dans la circulation un titre que dès mars 1259 la pape lui-même emploie au cours d'une lettre officielle où il met le recteur personnellement en cause à raison d'une dette contractée trente ans auparavant par l'association générale des maîtres parisiens.[...] En 1286, on l'accusera formellement d'avoir depuis quelques années et à leur détriment pris l'habitude de citer devant lui et de juger les étudiants de l'Université pour des affaires dont il n'avait pas à connaitre, ce qui prouve qu'à cette date il avait réussi à se constituer une juridiction qui achevait de lui donner dans l'Université une situation hors de pair" (Halphen, op.cit, p.568-69).

En 1316 (mort de Louis X) et en 1328 (mort de Charles IV) le suffrage de l'université de Paris fut d'un grand poids, pour fonder la jurisprudence du royaume à l'égard de la loi salique et empêcher que le gouvernement de France ne passât aux mains d'un prince anglais.

Concile permanent des Gaules, tous ses membres, maîtres et élèves sont indistinctement reconnus inviolables, exempts de péages, de subsides, d'impôts, du service de guerre et même des devoirs de simple milice urbaine. C'est alors que Charles V lui octroie le titre de fille ainée des rois.

C. Les nations, les universités et l'Europe.
La nation, type d'association, est apparue simultanément en divers points de l'Europe aux XIIè-XIIIè siècles (en particulier, Bologne, Paris et Oxford ). Cette émergence ne saurait être attribuée à quelque intervention orientée, mais à la spontanéité.

"L'université de Paris servit de modèle à toutes celles qui se fondèrent au Moyen-Age ; du moins, quant aux facultés de théologie et de philosophie, car toutes les facultés de droit sont des copies de celle de Bologne [1158].

"'L'organisation des études dans l'Europe chrétienne, au moyen âge', écrit M. Thurot, 's'est partagée en ces deux systèmes : le premier a été exclusivement appliqué en Angleterre et en Allemagne ; le second, plus généralement dans l'Italie, l'Espagne et le midi de la France.

"L'organisation de l'enseignement dans les deux université de Paris et de Bologne a été exactement imitée : les autres universités reproduisent souvent presque littéralement les dispositions de leurs règlements relatives aux cours, aux grades, aux épreuves, aux actes probatoires.

"Le mode de gouvernement et d'administration a seul subi d'importantes modifications suivant les temps et les pays. Toutefois, entre les deux systèmes persiste cette différence fondamentale, que le pouvoir est, dans le système parisien, aux mains des professeurs, et dans le système bolonais, aux mains des étudiants'. Cette distinction a été fort nettement établie par Savigny, qui l'a posée le premier." (Ibid., pp.56-57).

Cette distinction nous semble fondamentale à retenir pour comprendre pourquoi l'Etat-nation est apparu en France bien avant l'Etat-nation en Italie, si tant est qu'on puisse parler encore aujourd'hui de l'Italie comme d'un Etat-nation .

"En 1219, bulle pontificale pour Bologne non plus comme à Paris, pour limiter le droit d'intervention de l'autorité diocésaine dan la collation de la licence d'enseigner, mais, inversement, pour contraindre le corps professoral à abandonner cette prérogative à un mandataire de l'évêque et se borner lui -même à de simples présentations" (cf. Halphen, 1940, p.334).

"A Bologne, les étudiants sont groupés en une quinzaine d'associations "nationales" qui se sont elles-mêmes réparties en deux fédérations auxquels le nom d'université a été réservé : celle des Cismontains et celle des Ultramontains. Alors que les professeurs ne sont pas organisés, n'y ne s'entendent, ils sont obligés de jurer respect aux statuts des associations d'étudiants dans deux secteurs qu'elles se sont donnés [...]
"A Bologne, c'est presque l'indépendance totale. On rechercherait en vain à Bologne rien qui rappelle l'organisation parisienne ou l'organisation anglaise. D'université, au sens que ce mot a pris désormais dans les autres pays d'Occident, il n'est même pas question. Ni les maîtres, ni les étudiants des diverses disciplines n'ont éprouvé le besoin de se liguer et de former une corporation unique. On en arrive peu après le milieu du XIIIè à cette situation paradoxale : des professeurs, qui faute d'organisation et d'entente, sont obligés de subir la loi que leur dictent les élèves dont ils tiennent leurs salaires, qui sont obligés de jurer respect aux statuts des associations d'étudiants entre les mains des deux recteurs qu'elles se sont données et soumettre à l'approbation de ces derniers horaires et programmes . Les étudiants bolonais sont amenés à se grouper en une quinzaine d'associations "nationales", qui sont elles-mêmes réparties en deux fédérations, auxquelles, à Bologne, le nom d''universités' a été réservé : celle des Cismontins et celle des Ultramontains".(Halphen, op.cit, pp. 571-572)

"[ ] à Bologne le recteur est un étudiant" (Calmette,1923, p.169)

II.2."La" nation au XVIIIème siècle : un artifice révolutionnaire.

Sautons quelques siècles. Il semble admis par les historiens que le mot "nation" refait surface au XVIIIème siècle, avec la signification qu'on lui connait aujourd'hui, c'est-à-dire, une signification ambiguë, multiple et controversée.

Entre-temps, les nations et universités en France ont été étatisées :
- Charles VII (1403-1461) porte le premiers coups : il soumet les universitaires au Parlement, non plus au conseil du roi ; il réforme les diverses facultés (diminution de rétributions scolaires, restriction de privilèges, création de censeurs réformateurs perpétuels).;
- en 1498, Louis XII, ayant égard aux voeux des états généraux convoqués sous le règne de Charles VIII, ramène l'université aux limites du droit commun.;
- et au XVIè, elle dévie de plus en plus de ses origines, de sorte que, quand Henri IV entreprend de réformer les statuts du cardinal d'Estouville, qui la régissait depuis 1452, elle était sécularisée (Anonyme, op.cit, p.36)

A. Nation et révolution
Dans la perspective du XVIIIème siècle et de jure, la nation n'est plus cette association libre d'individus, finalisée par la protection contre les conséquences néfastes de l'ignorance (de l'avenir ou non), contre les dangers, contre les - vrais - risques de perte, que cette association était anticipée à leurs yeux pouvoir rendre disponibles.

Ce n'est pas non plus cette association libre d'individus, qui utilise comme technologie le "libre examen", la libre étude de ce qui existe.

Les hommes de la Révolution (fin du XVIIIè), comme c'est la mode alors depuis quelques années, jouent sur les mots pour réinstaurer un succédané de "nation". Ils se disent prêts à régénérer "la" nation et piquent ainsi au vif la liberté qu'elle implique dans les souvenirs de chacun ; le peuple les croit et les suit car il pense qu'ils réactivent le principe de la nation médiévale que la royauté avait dénaturée en étatisant nations et universités.

Mais bien vite, il doit déchanter car nos révolutionnaires portent leurs soins sur la partie "instruction-éducation" qu'ils isolent et pour la réaliser autrement . Elle devient :
- l'instruction - publique - que chacun devra avoir dans les domaines de la connaissance choisis par les hommes de l'Etat, en d'autres termes, par la protection obligatoire contre les conséquences néfastes du risque d'ignorance dans des domaines politiquement délimités ;
- l'éducation - nationale - qu'il devra accepter de recevoir pour avoir le comportement que les hommes de l'Etat jugent bon qu'il ait , en d'autres termes, par la protection obligatoire contre le risque que ceux-ci supposent ou lui disent qu'il court, de n'avoir pas le "bon" comportement.  En particulier :

"Les jeunes gens qui, au sortir des écoles du premier degré d'instruction, ne s'occupent pas du travail de la terre, sont tenus d'apprendre une science, art ou métier utile à la société - Sinon, arrivés à l'âge de vingt ans, ils seront privés, pour dix ans, des droits de citoyen, et la même peine sera appliquée à leurs père, mère, tuteur ou curateur" (Taine, II, p. 72n).

B. La supercherie révolutionnaire.
Curieusement, les historiens ne voient pas dans cette réapparition du mot de nation une supercherie. Est-ce parce qu'à l'image de Guizot, ils identifient la "nation" et la "commune" ?

Pourtant, la supercherie est évidente. Très schématiquement, et hormis la forme démagogique qui lui a été donnée elle tient dans la démarche suivie, qui a consisté d'abord à taire la variété originelle des nations pour mettre l'accent sur "la" nation, une nation unique, et par là même à dénaturer le mot.

Elle a consisté ensuite à fonder la nation ainsi construite - sans le dire - sur l'acception "parisienne" (non pas "bolonaise") de l'organisation administrative de l'université qu'ont pu déformer en France à loisir des siècles de dirigisme.

La supercherie a consisté enfin à faire référence, plus ou moins explicitement, à sa méthode, "le libre examen", pour la mâtiner de plusieurs caractéristiques en opposition avec son essence. Le libre examen est en effet l'idée couramment avancée par les historiens pour identifier le XVIIIè siècle :

"Que l'élan de l'esprit humain, que le libre examen soit le trait dominant, le fait essentiel du XVIIIè, ce n'est pas la peine de le dire [...] l'apparition de l'esprit humain comme principal et presque seul acteur [...] Un second caractère qui me frappe dans l'état de l'esprit humain du XVIIIè siècle, c'est l'universalité du libre examen. Jusque-là et particulièrement au XVIè, le libre examen s'était exercé dans un champ limité, spécial [...] Dans le XVIIIè, [...] tout devient à la fois un sujet d'étude, de doute, de système ; les anciennes sciences sont bouleversées, les sciences nouvelles s'élèvent [...]. Le mouvement a de plus un caractère singulier, et qui ne s'est peut être pas rencontré une seconde fois dans l'histoire du monde : c'est d'être purement spéculatif" (Guizot, 1846, pp. 392-395)

Mais le "libre examen contraint" est en fait la véritable méthode imposée. Le caractère "choix volontaire" de l'association-nation médiévale par l'individu est oublié et celui de l'obligation révolutionnaire.le remplace. Le caractère territorial limité, le pays où ses membres sont nés, une des spécificités de l'originalité de la nation médiévale, est ignoré, et celui d'une zone beaucoup plus vaste, mal connue en définitive de ses membres, délimitée par des frontières reconnues en définitive par l'étranger seul et susceptibles d'être éloignées de gré ou de force,.prend sa place. Il s'ensuit ainsi que le pays de naissance des membres de la nation est confondue avec le territoire de naissance de l'ensemble de la population, du "peuple" , qui lui même est confondu avec le territoire de l'Université, qui reçût le nom de territoire "national".


II.3. Une première conséquence : l'éducation nationale obligatoire.
La supercherie a pour effets les conséquences de la "régénération" du peuple, du citoyen, qui vont faire que rapidement (avec Napoléon, et ses successeurs dirigistes), la méthode "libre examen" n'est même plus évoquée et passe à la trappe : l'important pour le citoyen ou le peuple est désormais d'apprendre à connaître non ce qui l'intéresse, mais ce que l'empereur ou le gouvernement du moment (aidé de ses comités d'experts ou commissions de sages) veut qu'il sache .

Apparaissent ainsi des domaines d'enseignement et de recherche permis à l'individu par la puissance publique et des domaines qui lui sont interdits, des domaines que seule la recherche publique peut explorer. Pour ne pas parler de la censure que mettent en place les hommes de l'Etat.

Apparaissent aussi des méthodes d'enseignement pour le moins curieuses : - "Les fêtes nationales sont une partie essentielle de l'éducation publique [...] 'un système de fêtes nationales est le plus puissant moyen de régénération' - Robespierre -" (Taine, II, p.70n) ;

"Vous pouvez appliquer à l'instruction publique et à la nation entière la marche que J.J. Rousseau a suivie pour Emile" (Ibid. p.71n).

Ainsi, la "nation", type d'association concurrentielle d'individus libres, est devenue la nation-éducation nationale, quasi-monopole étatique obligatoire. Car l'individu a commis l'erreur de croire les Economistes, d'admettre leur argument qu'un enseignement public, fondé sur la contrainte, ne lui nuirait pas pour résister aux abus de pouvoir des hommes de l'Etat et, en particulier, aux abus que ceux-ci commettraient dans le domaine de l'enseignement.

Dans ces conditions, il est vain de vouloir distinguer aujourd'hui instruction publique-éducation nationale et nation (au sens moderne du mot). La nation, l'éducation nationale, ce n'est rien d'autre que la "nation", au sens médiéval du terme :
- dont la variété possible a été interdite et réduite par la force à l'unité, dans le territoire de l'université, désormais lui-même qualifié de national (autrement dit, dont les frontières sont reconnues par l'étranger) et
- dont la liberté de l'individu a été "prélevée".

En revanche, la distinction n'est pas vaine si on garde présent à l'esprit qu'à l'opposé de la nation, au sens médiéval du terme, l'éducation nationale-nation ne protège pas l'individu contre les risques de toute nature auxquels il est exposé dans sa vie quotidienne, contre lesquels son action de maître ou d'élève ne le protège pas. Et nos dirigistes ont conscience de cette situation. A la supercherie près, pour que la nation originelle soit "régénérée", ils se rendent bien compte qu'il faut que cette protection existe. Aussi vont-ils faire tendre leurs efforts à construire cette "protection nationale".


III. De la prétendue protection contre l'abus de pouvoir à la prétendue protection sociale.

III.1. La nation au XIXè : la dénaturation en mouvement.

La prétendue protection contre l'abus de pouvoir , entrée dans les faits avec l'éducation publique obligatoire chère aux Economistes, il ne restait plus aux dirigistes qu'à achever de lui donner une forme. Ils y parviendront avant la fin du XIXè.

Forts de leur réussite et pour étendre le domaine d'intervention de l'Etat-nation ainsi élargi, ils se sont préoccupés alors d'inventer d'autres formes de protection à juxtaposer à côté de la "protection contre les abus de pouvoir" et des protections traditionnelles . C'est ainsi qu'ils vont construire la protection obligatoire contre une sélection de dangers individuels, avec la création de l'appendice "Sécurité sociale".

Mais avec cette démarche, ils vont à leur tour exposer l'Etat-nation, l'autorité désormais toute puissante, au risque évoqué ci-dessus : le risque que l'appendice créé rivalise un jour avec lui, voire le coiffe.


III.2. La protection sociale au XXè siècle : le renforcement de l'artifice révolutionnaire.

1945-1946, en France, le gouvernement du moment dote une partie de la population française de la Sécurité sociale.: modèle type d'appendice de l'Etat-nation. Plus précisément, en 1945-1947, la Sécurité sociale (et les autres régimes complémentaires obligatoires) reçoit comme mission de fournir à certains citoyens français - les travailleurs salariés de certains secteurs de l'économie - une protection spécifique contre une sélection politique de risques .

Décennie 1970, La Sécurité sociale a été étendue entre-temps progressivement par les pouvoirs publics à tous les "travailleurs" - salariés ou non - sauf rares exceptions - et à tous les secteurs de l'économie de sorte que la Sécurité sociale est devenue un Etat-nation bis. Désormais, quiconque exerce une activité rémunérée - un travail - en France, a l'obligation de verser une "cotisation" à la Sécurité sociale. Et quiconque(à quelques exceptions près) vivant sur le territoire national bénéficie d'une protection automatique contre les risques du domaine de la Sécurité sociale.
Etant donné cette situation, rien ne justifie aujourd'hui que cet appendice de l'Etat constitue de facto une entité à part, un co-état, sauf à ce que cette situation ait été souhaitée par les hommes de l'Etat. En 1945, où une partie seulement des citoyens français y était assujettie, cette situation pouvait se concevoir. La Sécurité sociale était établie sur une discrimination légale entre les citoyens, sur la base du type de travail qu'ils exerçaient, du secteur économique où il l'exerçait. L'Etat ne pouvait s'engager d'emblée dans une telle discrimination.

A. L'Etat-nation et la Sécurité sociale : des clubs rivaux à terme.
Dans ces divers éléments se trouve la raison pour laquelle la Sécurité sociale pose aujourd'hui aux hommes de l'Etat une difficulté

Après avoir vu son domaine d'intervention jouxter de plus en plus finement celui de l'Etat, la Sécurité sociale (et ses institutions de 1945 désormais élargies et étendues) veut tout simplement supplanter l'Etat-nation dans la fonction de protection spécialisée qu'il a encore, au prétexte de couvrir des risques - vrais et faux - que ne couvrirait pas ou ne veut plus couvrir l'Etat pour des raisons d'efficacité. Elle veut maintenant, d'une certaine façon, absorber son domaine.

Dans ce but, elle feint d'oublier les conditions dans lesquels le peuple l'a acceptée, et le but aujourd'hui caduque (la protection d'une partie des citoyens, de certains travailleurs dans certains secteurs d'activité) qui lui avait été donné.

Elle s'efforce surtout de détourner l'attention des "assujettis", des missions qu'elle remplit d'une façon dont elle ne veut pas connaître l'efficacité, vers d'autres horizons sans relation avec sa mission originelle.

B. Premier horizon choisi : l'horizon social.

a) National et social
Elle se veut entité sociale et non plus nationale comme si l'un excluait l'autre. Elle veut donner droit de citer à l'argument qu'il y aurait une protection qui serait sociale et une protection qui ne le serait pas. Utilisant au pied de la lettre l'appellation qui lui a été donnée, elle n'inclut plus le social dans le national. Bien que nationale, elle se décréte unilatéralement sociale, à défaut de mondiale, et prête à venir en aide au monde entier comme elle vient en aide à la nation! Bien plus, elle s'efforce d'acclimater l'idée qu'elle doit fournir la protection qu'elle fournit aux Français, aux étrangers qui désirent sa protection et que les Français n'ont rien à y redire. Quiconque y redira sera qualifié de "raciste" ou de xénophobe et le cas échéant passible des tribunaux.
En fait, en procédant ainsi, elle rompt le contrat implicite qu'elle a passé avec l'Etat-nation et qu'elle s'est engagée à respecter, et pose à celui-ci une difficulté. Et la difficulté est institutionnelle, et non pas comptable, comme certains tentent de le faire croire ou admettre

Car anticipant que cette situation pourrait se produire, l'Etat-nation (par l'intermédiaire du législateur) a pris au fil des années des précautions et fait voter des lois. Parmi elles, on peut citer celle de distinguer un budget de l'Etat - faisant apparaître en particulier la protection que les impôts des citoyens financent - et un budget social - en fait, un budget de la protection sociale tous organismes confondus, et toutes consommations des individus nationaux et individus étrangers agrégées.-

Mais la loi n'a pas été appliquée par la Sécurité sociale (cf. rapports de la Cour des comptes pendant la décennie 1970) qui a fait comme si une réforme n'avait pas été votée en 1967. Il faudra attendre 1979 pour qu'entre autres, une Commission des comptes de la Sécurité sociale soit mise sur pieds et que des comptes périodiques lisibles soient établis. Aujourd'hui, ces derniers suscitent encore des controverses.

b) Nationalité et "socialité"
L'institution Sécurité sociale tente de vider l'Etat-nation de la partie de sa substance, qu'est la protection de l'individu . Au départ, aide à la protection que fournissait l'Etat, elle s'est arrogée par la suite la fonction d'être protection à part entière en faisant valoir qu'elle offre une protection que n'offre pas l'Etat-nation (et pour cause). Pour cela, elle oppose aussi implicitement "socialité" et nationalité .

Il convient de remarquer en effet qu'un critère de nationalité préside naturellement à l'établissement du budget de l'Etat, et que ce critère n'est pas le critère de la "socialité", critère implicite, qui préside en fait à l'établissement du budget (de la protection) social(e).

A l'évidence, ces critères se heurtent dans la situation actuelle. Que penserait-on d'un étranger qui demanderait à être remboursé des impôts (en espèce ou en nature - service militaire -) qu'il aurait versés à l'Etat français par le passé sous prétexte qu'il retourne dans son pays. L'idée ne lui viendrait pas.

Pourquoi admettre alors qu'un étranger puisse demander le remboursement de ses cotisations sociales ou bénéficier de prestations pour sa famille vivant à l'étranger et régie par des règles non nationales ?

Bien plus, comment admettre que l'institution elle-même - la Sécurité sociale en l'espèce - favorise ce genre d'exigence ? Aucune raison hormis le souci de ses administrateurs de créer la situation qu'ils veulent que la SS atteigne, et de lui faire acquérir une mission nouvelle ou une totale indépendance ? De cette façon, la Sécurité sociale se démarque une fois de plus de l'Etat-nation, elle le met en rivalité : "nous, nous remboursons ou vous suivons où que vous soyez", pourraient dire ses administrateurs !

La morale n'est pas en cause. Dans un cas comme dans l'autre, l'individu a été obligé de verser des ressources (au budget de l'Etat et au budget de la Sécurité sociale). Dans le cas où il rentre chez lui librement, non forcé, il quitte volontairement ces clubs, il n'est pas exclu.. Et ses "droits" deviennent caduques. Quiconque quitte un club, n'est pas remboursé du droit d'entrée qu'il a acquitté et des cotisations périodiques qu'il a versées.. Et cette règle est acceptée. Pourquoi en serait-il autrement dans le cas de la Sécurité sociale ?

Ou alors la règle est autre, et on juge que ses "droits" ne sont pas caduques. Mais, dans ce cas, il devrait être remboursé des deux types de ressources qu'il a versées par obligation (impôts à l'Etat-nation et "cotisations" à la Sécurité sociale).

La vérité est qu'au départ, les hommes de l'Etat et les administrateurs de la Sécurité sociale ont fait une erreur volontaire ou involontaire : prendre les cotisations des étrangers. L'erreur n'aurait pas été trop grave s'ils avaient tenu un compte séparé des sommes reçues - et des "droits conséquents" -. Elle a été aggravée par cette négligence ou faute ou erreur.

Mais faut-il que le peuple de France soit tenu pour responsable des erreurs commises par les gens d'un système qui lui est imposé et l'oblige, s'il le désapprouve en totalité ou en partie ?

De plus quelle est la nature de ces erreurs ? Volontaire ou involontaire ? Pourquoi la Sécurité sociale s'est permise de ne pas respecter la réforme de 1967 ? N'oublions pas que la commission des comptes de la Sécurité sociale a vu le jour seulement en 1979 !

C. L'horizon des avantages acquis.
Second horizon visé par la Sécurité sociale pour détourner l'attention des assujettis : celui des prétendus "avantages acquis".

Rien ne justifie que le peuple accepte aujourd'hui la notion d'"avantages acquis", colportée à l'envi par certains, sauf à vouloir que ces derniers restaurent les privilèges qu'ils disent abhorrer, et les conférer à une institution autre que l'Etat.

Dans les circonstances présentes, la Sécurité sociale a certes acquis un avantage sur l'Etat, puisque jusqu'à sa création, l'Etat était à l'évidence la seule institution de protection "sociale", protection contre certains risques, des individus et que maintenant il partage la position dans le domaine. Ont aussi acquis des avantages les administrateurs de la Sécurité sociale et les syndicats eux-mêmes, dont ils émanent, qui ont acquis la qualité de "représentatifs".

Ont aussi acquis des avantages ceux qui sacralisent , tout en le cachant à ceux à qui ils s'adressent, l'"institution de protection " à cheval sur des territoires nationaux, l'institution "non nationale" et par conséquent, selon eux, "sociale" Ils sacralisent tout autant l'administration de l'institution, le véritable gouvernement bis de la nation, même si le gouvernement légal a encore aujourd'hui sur lui la préséance et dispose de la contrainte violente. Mais jusqu'à quand ? On peut constater déjà qu'aucun gouvernement n'a envisagé jusqu'à présent de mettre fin à l'entreprise "Sécurité sociale".

Dans le même mouvement, ils condamnent, toujours sans le dire, l'Etat-nation lui-même -"institution de protection" des individus nationaux dans les limites du territoire national. Ils condamnent aussi l'administration de la protection en question par le gouvernement légal, ou toute entreprise de protection d'une autre forme plus efficace, a fortiori les entreprises privées. On n'évoque pas d'ailleurs, pour étayer la condamnation, l'efficacité de l'organisation actuelle de la SS, qu'on ne connait pas. On évoque seulement l'opinion (qui reste à prouver), que la Sécurité sociale satisferait tout le monde et serait la meilleure du monde !

Il reste que dans tous les cas il est abusif de dire que les individus ont acquis des avantages. Ils ont avant tout acquis le désavantage fondamental qui tient dans les obligations supplémentaires qui leur sont imposés et qui ont limité leur liberté de choix et d'actions. Et ces désavantages ne sauraient être ni sous estimés, ni tus, comme ils le sont. Ils sont sans commune mesure avec les prétendus avantages acquis. Rien ne justifie qu'on parle de "cotisations" de Sécurité sociale et qu'on ne parle pas à la place d'impôts - "contributions directes ou indirectes" - pour dénommer les versements que doit faire l'individu. Pour l'individu, ce sont des ressources qui lui sont prises dans tous les cas, qu'il doit obligatoirement verser, dont il ne peut choisir la destination, l'emploi. Les impôts vont à l'Etat, les cotisations vont à la Sécurité sociale...


III.3. Seconde conséquence : la protection sociale obligatoire.

Ainsi, après avoir été simple appendice de l'Etat-nation, la Sécurité sociale se pose aujourd'hui en véritable rival dans le contexte qu'elle favorise et qu'elle veut institutionnaliser : celui de la protection sociale obligatoire. Cette situation n'est pas pour surprendre. Elle est le résultat prévisible en théorie de l'évolution d'une organisation. Le risque qu'a pris l'Etat-nation en créant un appendice pour s'étendre, s'est réalisé. L'appendice rivalise avec lui.

Seulement, pour sa protection tout azimut, le citoyen français n'est pas face à des clubs qu'il peut mettre en concurrence, mais à une diarchie à laquelle il est assujetti : obligé par l'un (l'Etat-nation) comme par l'autre (la Sécurité sociale) à verser des ressources et, le cas échéant, consommateur des services qu'ils rendent disponibles, il est dépourvu de sa liberté de choix.

La situation est bloquée pour lui, la protection sociale obligatoire le soumet.


Conclusion : qu'est ce que la nation ?

Pour le commun des mortels français, la nation n'est plus aujourd'hui un type d'organisation s'articulant à l'enseignement, i.e., à la réduction de l'ignorance authentique, et fondée sur le libre examen. Un rôle d'enseignement, où intervient une autre méthode, a été dévolu à une construction étatique : le quasi-monopole de l'Etat sur l'éducation nationale-instruction publique, obligatoire pour l'individu, i.e., dont il a l'obligation d'acheter les services. Cette évolution artificielle n'est pas pour surprendre. La théorie économique la prédit.

Elle n'est plus non plus un type d'organisation de protection de ses membres contre tous les dangers qui les menacent et dont il leur est impossible de se préoccuper au quotidien. Un rôle prioritaire de protection contre certains risques, a été pris par une autre construction étatique, aujourd'hui dédoublée : d'un côté, les divers monopoles de l'Etat-nation (au sens traditionnel du terme) et, de l'autre,les divers monopoles de la Sécurité sociale, obligatoires les uns comme les autres pour l'individu, i.e., dont il a l'obligation d'acheter les services Là encore, cette évolution artificielle est prédite par la théorie économique.

Mais, autre constatation, personne ne sait plus aujourd'hui ce qu'est la nation. La nation est confondue par certains (défenseurs ou non d'une certaine idée de la nation) avec l'Etat-nation et distinguée néanmoins de la Sécurité sociale. L'idéal de la protection sociale est mis par d'autres à côté ou au-dessus de l'idéal national. Des défenseurs actuels de la notion la font remonter pour leur part seulement à la période des années 1780-1790, et la remplisse d'un contenu spécifique, dupes de la désinformation des artificiers du XVIIIè siècle

Les lignes qui précèdent ont essayé de faire apparaître schématiquement que cette "nouvelle ignorance" de ce qu'est la nation, est le fruit de la supercherie, écoutée en France à partir du XVIIIè, et que stigmatise Tocqueville quand il parle du socialisme des Economistes. Ce que la période des années 1790 - "la Révolution française" - n'avait pu dissimuler dans l'originalité de la nation (par la déformation de la notion), les années post Seconde Guerre mondiale - la seconde révolution française - ont tenté d'y parvenir (par la substitution, i.e., par la dénaturation indirecte de la notion) et failli réussir.

Mais il semble désormais que les individus se ressaisissent et reviennent sur les errements, tant l'efficacité de la nation-type d'association est forte et ne saurait être gommée, quels qu'aient été ses déficiences (quelle entité n'en a pas) et les moyens utilisés par les dirigistes pour y parvenir. Et ce n'est pas la solidarité que les socialistes exsangues du XXème siècle finissant, exhument de leur idéologie du XIXè pour renforcer la protection sociale qu'ils ont imposée au peuple, qui y fera obstacle, même par "substitution".

Le principe de la nation renaît face à la situation bloquée dans laquelle se trouvent aujourd'hui l'Etat-nation et la Sécurité sociale et que cherche à cacher l'expression "protection sociale", dernière invention des dirigistes. La nation, type d'association d'individus libres, n'a pas été anéantie hier bien que le pire semble lui avoir été infligé. Tout porte à croire qu'elle ne le sera pas demain, mais au contraire retrouvera son identité.

La raison essentielle : l'ordre de marché a fait émerger la nation au début du millinéaire. Tant qu'il n'aura pas permis de découvrir un type d'association au moins aussi efficace, les nations ne disparaîtront pas. Aucun artifice (appendice ou réglementation) des hommes de l'Etat ne pourra les anéantir, seulement les dénaturer en monopole public un temps jusqu'à ce que le coût de l'artifice soit reconnu exorbitant et amène à le faire rapporter ou exploser.


Notes.

1) Fondé sur le libre examen.
2) Dénommé "instruction publique" ou "éducation nationale", à partir de 1790, et qu'ils vont renforcer jusqu'à aujourd'hui.
3) Et où nous vivons encore. Parmi ces dangers, l'action même des hommes de l'Etat.
4) Pour cette raison, elle possède une efficacité, une force propre qui échappe à la réglementation, qui peut un temps être contrainte, mais qui inévitablement un jour ou l'autre retrouve sa plénitude, son identité. La "nation" est, d'une certaine façon, sortie de la concurrence, du marché. Aussi, tant que la concurrence n'aura pas fait apparaître un type d'organisation comparable plus efficace, tout porte à croire qu'elle sera inexpugnable, que l'idéologie étatiste pourra la meurtrir, mais ne saura la détruire par réglementation.

5) "C'est la le grand fait qui éclate à la fin du XIè et au commencement du XIIè siècle [...]Pour la première fois, à cette époque, une lutte sérieuse s'est engagée entre clergé et les libres penseurs. [...] Au même moment, se produisait un mouvement d'une autre nature, le mouvement d'affranchissement des communes. [...] Si on eût dit à ces bourgeois qui conquéraient avec passion leur liberté, qu'il y avait des hommes qui réclamaient le droit de la raison humaine, le droit d'examen, des hommes que l'Eglise traitait d'hérétiques, ils les auraient lapidés ou brûlés à l'instant. Plus d'une fois Abailard et ses amis coururent ce péril.[...] D'un autre côté, ces mêmes écrivains, qui réclamaient le droit de la raison humaine, parlaient des efforts d'affranchissement des communes comme d'un désordre abominable, du renversement de la société". (Guizot, 1846, pp.181-182)

6) Sans prétendre ranimer le débat toujours pendant des causes et origines du mouvement communal, il suffira de dire que l'on tend de plus en plus à voir, dans l'élan remarquable qui conduisit à reconstituer de nouvelles libertés municipales, l'effet d'un courant économique puissant, générateur d'un esprit dont les communautés urbaines ne furent que l'une des multiples manifestations. D'une manière très générale, la liberté urbaine est née de l'effort d'une collectivité.[...] Si spontanée qu'ait été en général la floraison des communes, une particularité introduit quelque ordre dans cette diversité, la fortune de certains types d'organisation (Calmette, pp.98-100) "Pris au sens intellectuel qui, aujourd'hui, lui est réservé, le mot "université" ne s'écarte pas du sens général que nous lui connaissons au moyen âge, celui de collectivité constituée en personne civile" (Ibid. pp.168-9)

7) Cf. sur tous les points évoqués, par exemple, Becker, 1981 ou Lemennicier, 1988.

8) Si ces risques se réalisent, c'est qu'en fait le plus souvent le choix initial contient, sous-jacents mais inconnus et non voulus, et des dispositions d'abandon de pouvoir, de non recours à la contrainte ou des possibilités d'abus de pouvoir, et des germes d'irréversibilité (les techniques mises en oeuvre sont par exemple non abandonnables, sauf à coûts très élevés), bref une certaine inefficacité que vont exploiter à leur avantage l'autorité ou l'appendice.

9) Par exemple, ces choix n'ont pas été effectués en Italie. Il s'est produit avec l'établissement d'une autorité sur l'université à Paris, qui est devenue ainsi université de Paris (1261), puis avec son "étatisation" (en fait sa "royalisation") progressive jusqu'au XVè-XVIè siècles, et enfin avec sa transformation en "éducation nationale-instruction publique" (obligatoire pour l'individu) à partir de la décennie 1790.

10)Causée par les hommes de l'Etat (l'une par volonté et l'autre par erreur.

11) Le qualificatif "nationale" est essentiel. On est en droit de penser qu'il a été utilisé à dessein et que s'il n'avait pas été utilisé, la supercherie n'aurait pu déboucher, les hommes de l'Etat n'aurait pu se rendre maître de l'enseignement.

12) Dans le passé, la nation a fait apparaître des déficiences à au moins deux reprises :
- puisque, si la nation-type d'organisation, élément des universités en Europe, a évolué diversement sitôt découverte, selon les villes aux XIIè-XIIIè siècles, elle a parfois évolué, comme en France, dans une direction opposée à son intérêt ,
- et que l'université à Paris, pour sa part, à laquelle elle a donné naissance, une fois devenue université de Paris, a été "étatisée" (on devrait dire "royalisée") par la suite, avec sa première conséquence : la disparition de la variété des "nations", la création d'une université uninationale, bref d'une nation étatisée.

13) Etant donné ces seuls faits, on peut diagnostiquer que l'étatisation de l'université et de ses nations a été rendue possible en France à cause des abus de pouvoir contre lesquels celles-ci ne s'étaient pas assez prémunies (ou n'ont pas été efficaces pour déjouer les attaques). Le plus grave d'entre eux, l'"étatisation totale", a pu ainsi être commis

14) Vers le milieu du siècle, on voit paraître un certain nombre d'écrivains qui traitent spécialement des questions d'administration publique, et auxquels plusieurs principes semblables ont fait donner le nom commun d'économistes ou de physiocrates. Les économistes ont eu moins d'éclat dans l'histoire que les philosophes. <...> ils n'ont pas seulement la haine de certains privilèges, la diversité même leur est odieuse : ils adoreraient l'égalité jusque dans la servitude. Ce qui les gène dans leurs desseins n'est bon qu'à briser. Les contrats leur inspirent peu de respect ; les droits privés, nuls égards ; ou plutôt, il n'y a déjà plus à leurs yeux, à bien parler, de droits privés, mais seulement une utilité publique ...
Le passé est pour les économistes l'objet d'un mépris sans bornes. 'La nation est gouvernée depuis des siècles par de faux principes ; tout semble y avoir été fait par hasard' dit Letronne" (Tocqueville, 1856, pp. 1047-1048).
Et Tocqueville de prendre l'exemple des propos de Turgot :
Pour lui comme pour la plupart des économistes, la première garantie politique est une certaine instruction publique donnée par l'Etat, d'après certains procédés et dans un certain état d'esprit." (Ibid.)

15) Et qui est d'apprendre à l'individu qui le désire, à connaître par le "libre examen" en particulier la liberté, l'abus de pouvoir et comment la liberté empêche l'abus de pouvoir de prendre corps

16) Qu'il ne voie pas là l'abus de pouvoir par excellence)

17) Pour lui comme pour la plupart des économistes, la première garantie politique est une certaine instruction publique donnée par l'Etat, d'après certains procédés et dans un certain état d'esprit." (Ibid.)
"J'ose vous répondre, Sire, dit-il dans un mémoire où il propose au roi un plan de cette espèce, que dans dix ans votre nation ne sera plus reconnaissable, et, par les lumières, les bonnes moeurs, par le zèle éclairé pour votre service et pour celui de la patrie, elle sera infiniment au-dessus de tous les peuples. Les enfants qui ont maintenant dix ans se trouveront alors des hommes préparés pour l'Etat, affectionnés à leur pays, soumis non par crainte, mais par raison, à l'autorité, secourables envers leurs concitoyens, accoutumés à reconnaître et à respecter la justice (Ibid. pp. 1048-49).

18) Par la destruction de la variété des instructions-éducations possibles, la destruction de la liberté de choisir une éducation, l'instauration de l'obligation de suivre une seule instruction-éducation, celle que jugent bonne les hommes de l'Etat

19) En fait au prix d'une supercherie (sur laquelle on reviendra ci-dessous), les hommes de l'Etat lui ont retiré sa liberté ancestrale d'enseignement alors qu'Ils lui expliquent qu'il lui redonne sa liberté

20) Dénommée aujourd'hui globalement "protection sociale")

21) On parle de protection sociale et non plus de protection nationale.

22) Qui leur permettra d'asseoir l'Etat-nation (fin XVIIIè, début XIXè)

23) On remarquera que cette fois le qualificatif "nationale" a été passé à la trappe.

24) D'après le dictionnaire étymologique Larousse, le mot apparait dans le psautier d'Oxford (XIIè siècle).

25) Trois classes de maîtres :
- régents (regere scholas : professer et magister regens : professeur)
- non régents
- régents d'honneur
Pour être considéré comme régent, il fallait donner des leçons ordinaires dans des écoles possédées ou louées par la nation dont on faisait partie.

26) En 1274, le principe des nations (boréales et australes) qui constitue Oxford est aboli.(cf. Halphen, 1940, pp.560-573).

27) Et Guizot, quelques siècles plus tard, de renforcer implicitement l'alternative Paris ou Bologne, sans en tirer les conséquences, quand il écrit (tout en confondant commune et nation) : "Les faits que je vais mettre sous vos yeux ne s'appliquent point indifféremment à toutes les communes du XIIè siècle, aux communes d'Italie, d'Espagne, d'Angleterre, de France. Il y a bien un certain nombre qui conviennent à toutes, mais les différences sont grandes et importantes" (Ibid. pp.189-90).

28)"Ainsi a commencé à se former la nationalité française. Jusqu'au règne des Valois, c'est le caractère féodal qui domine la France ; la nation française, l'esprit français, le patriotisme français n'existent pas encore" (Guizot, 1846, p.295).

29) On remarquera que cette évolution ne s'est pas produite à Bologne et en Italie.

30) Il ne faut pas oublier ce qu'écrit à ce sujet Taine. Si les idées des philosophes ou prétendus tels ont marqué les salons, c'est qu'elles étaient exprimées de façon humoristique voire grossière. Il intitule ainsi un paragraphe "Deux assaisonnements particuliers, la gravelure et la plaisanterie" pour expliquer la propagation de la doctrine (Taine, I,p.193).

31)"Le Tiers, disent d'autres cahiers, étant les 99 pour 100 de la nation, n'est pas un ordre. Désormais, avec ou sans les privilégiés, il sera, sous la même dénomination, appelé le peuple ou la nation. (Taine, I, p.240).

32) "La nation va être régénérée ; cette phrase est dans tous les écrits et dans toutes les bouches" (Taine, I, p.240).

33) "Tant qu'on n'apprendra point dès l'enfance s'il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, l'Etat ne formera pas une nation ; il reposera sur des bases incertaines et vagues, il sera constamment exposé aux désordres et aux changements [Pelet de Lozère, 154, (paroles de Napoléon au Conseil d'Etat, 11 mars 1806)].
En conséquence il s'attribue le monopole de l'instruction publique, il aura le seul le droit de la débiter, comme le sel et le tabac : 'L'enseignement public , dans tous l'Empire, est confié exclusivement à l'Université. Aucune école, aucun établissement quelconque d'instruction [...] ne peut être formé hors de l'Université impériale et sans l'autorisation de son chef" (Taine, II, p. 694).

34) Exemple des démêlés de J.B. Say avec Napoléon

35) Qu'on peut décomposer maintenant en :
- protection obligatoire contre la non instruction "publique" ;
- protection obligatoire contre la non éducation "nationale".

36) Jusqu'alors, et parallèlement désormais à l'éducation nationale, l'Etat-nation avait la mission de produire la protection contre certains dangers (protection de la propriété contre l'étranger ou autrui, et garde de la loyale exécution des contrats), quand les citoyens n'avaient pas découvert des moyens de marché pour s'en protéger d'une façon ou d'une autre. Bref, l'Etat-nation, c'était la protection - sociale au sens de dernier ressort - des citoyens.

37) Cette idée n'est pas entièrement originale, elle est présente, avons-nous écrit ci-dessus, dans Tocqueville qui ajoute : "On croit que les théories destructives qui sont désignées de nos jours sous le nom de socialisme sont d'origine récente ; c'est une erreur : ces théories sont contemporaines des premiers économistes. (Tocqueville, op.cit..p.1050) Et au moment où il écrit ces mots, l'économie politique est propulsée au milieu du pont que certains prétendent jeter entre le libéralisme et le socialisme.
Ceci étant, on ne peut qu'être frappé que, malgré sa clairvoyance, il n'imagine pas que, concrètement, un jour prochain viendra où ce que les dirigistes ont décidé pour l'enseignement de l'individu, sera décidé pour "sa" protection en général, et où le principe de la "nation", organisation spontanée,libre et volontaire de protection de l'individu, sera définitivement émasculé.
Bref, on ne peut que regretter que Tocqueville n'ait pas entrevu les principales conséquences du mouvement pernicieux sur lequel il met le doigt. Peut-être est-ce parce que, dans la perspective du XIXème siècle, l'originalité de la nation médiévale, association spontanée d'individus libres, destinée à les protéger au quotidien, avait déjà été oubliée.

38) Il est curieux que personne n'évoque plus aujourd'hui la période des années post seconde guerre mondiale, en France, comme une période révolutionnaire. Pourtant ce qu'elle a produit a été stigmatisé par beaucoup comme tel à l'époque (Cf. par exemple Camus, 1950, 1951 ou 1953 pour justifier le jugement).

39) La sélection des risques est politique parce que les risques choisis sont tantôt de vrais risques de perte (maladie et accidents autres), tantôt des objets que seul un abus de langage permet de qualifier de - faux - risques (maternité, avortement, famille et vieillesse).

40)D'une certaine façon, elle procède comme avait procédé par le passé les hommes de l'Etat pour enlever à la nation sa liberté d'enseignement et sa méthode (le libre examen).

41) Le critère de la nationalité est le Droit, le choix initial de la famille et le sang (la filiation et le respect du choix initial de la famille par l'individu, tant que celui-ci n'en effectue pas un autre ).
Le critère de la socialité, critère en définitive non défini, est d'une part le travail effectué rémunéré par l'individu dans les limites du territoire national (point de vue cotisations sociales) et d'autre part la famille du "travailleur" (au sens du droit auquel ressortit le travailleur et sa famille et non toujours le droit national- point de vue indemnisations sociales) - .

42) Comme de plus la SS ne saurait rembourser tout le monde, étant donné la technique de gestion qu'elle utilise, tout va bien pour elle, au moins le pense-t-elle.

43) Il reste qu'il n'a pas payé de droit d'entrée dans le club, il n'a pas à recevoir une prime de sortie. Il reste aussi que quiconque qui quitte un syndicat (autre forme de club) n'est pas remboursé de ses cotisations. Pourquoi quelqu'un qui quitte une nation serait-il remboursé des cotisations versées ?

44) Remarquons qu'ils privilégient aussi dans le même mouvement implicitement le point de vue de l'indemnisation net et taisent le point de vue des cotisations)

45) Cf. par exemple, Club de l'Horloge, 1989

46) Cf. Club de l'Horloge (1989). Le Club de l'Horloge ne fait que reprendre en particulier les idées de Guizot (1846) entre autres (De Lesquen évoque Renan) pour qui :
"Ainsi a commencé à se former la nationalité française. Jusqu'au règne des Valois, c'est le caractère féodal qui domine en France,; la nation française, l'esprit français, le patriotisme français n'existent pas encore (Ibid. p. 295).
Ou encore "c'est en ce sens que la lutte contre les Anglais a puissamment concouru à former la nation française, à la pousser vers l'unité" (Ibid. p. 296).


Références bibliographiques.

Abailard, Introduction à la théologie

Anonyme (1887), L'école et la science jusqu'à la renaissance, Firmin-Didot, Paris.

Becker, G.S. (1981), A treatise on the Family, Harvard university press, Londres, 288p.

Calmette, J. (1923), La société féodale, Armand Colin, Paris, 218 p.

Camus, M. (1950), Actuelles I - Chroniques 1944-1948, Gallimard, Paris.

Camus, M. (1951), L'homme révolté, Gallimard, Paris.

Camus, M. (1953), Actuelles II - Chroniques 1948-1953, Gallimard, Paris.

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Guizot, (1846), Histoire de la civilisation en Europe depuis la chute de l'empire romain jusqu'à la révolution française, nlle. ed., Didier, Paris, 404 p.

Halphen, L. et Sagnac, P.(1940), Peuples et civilisations, histoire générale, tome VI : L'essor de l'Europe (XIè-XIIIè siècles), Presses universitaires de France, 2nde. ed., Paris, 638 p.

Lamberti, J.C. et Melonio, F. (eds.) (1986), Tocqueville : De la démocratie en Amérique, souvenirs, l'ancien régime et la révolution, Robert Laffont, (coll. Bouquins), Paris.

Léger, F. (ed.) (1986), Taine : Les origines de la France contemporaine, tome I : L'ancien régime, la révolution - l'anarchie-la conquête jacobine, tome II : la révolution - le gouvernement révolutionnaire, le régime moderne, Robert Laffont (coll. Bouquin), Paris, tome I, 840 p et tome II.

Lemennicier, B.(1988), Le marché du mariage et de la famille, Presses universitaires de France (col. Libre échange), Paris, 226p.

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Lesquen, H. (de) (1989), "L'expansion de l'idée nationale", dans Club de l'Horloge (1989), pp.3-12.

Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge

Taine, H. (1875), Les origines de la France contemporaine, tome I, L'Ancien régime, dans Léger, F. (ed.), op.cit. pp. 7-310

Taine, H. (1877), Les origines de la France contemporaine, tome I, La révolution - l'anarchie, dans Léger, F. (ed.), op.cit. pp.311-562

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Terré, F. (1989), "Identité nationale et droit de la nationalité", dans Club de l'Horloge (1989), op.cit., pp.12-16.

Thurot, C. (1850), De l'organisation de l'enseignement dans l'université de Paris au moyen âge, Paris.

Tocqueville, A. (de) (1856), L'ancien régime et la révolution, dans Lamberti, J.C. et Melonio, F. (eds), (1986), pp.921-1122

 

Georges Lane

Principes de science économique

  

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Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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