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Il
n’y a pas si longtemps, l’actualité française nous
livrait un bel exemple de pensée magique gouvernementale.
Aujourd’hui, c’est au tour de la Belgique de verser dans
l’absurde.
Début
juillet, la ministre française Najat Valaud-Belkacem
nous affichait sa volonté de se débarrasser de la prostitution
grâce à une
bonne petite loi.
Aujourd’hui, la Belgique, jamais en reste, décide de frapper
encore plus fort : la ministre de l’égalité des
chances, Joëlle Milquet, entend, dès la rentrée, bannir
les comportements sexistes de la rue.
La
vidéo de la honte
À
l’origine de cette sortie surréaliste, une histoire
malheureusement bien réelle. Une jeune flamande originaire de Leuven,
vient à Bruxelles pour y poursuivre ses études de journalisme.
Elle élit domicile dans un quartier populaire de la capitale, à
proximité de l’institution où elle étudie.
Très vite, elle se retrouve en butte à ce que toutes les jeunes
femmes connaissent dans les quartiers populaires de toutes les villes du
monde : le comportement vulgaire et déplacé des primates
qui y traînent toute la journée. La jeune femme décide de
faire de cette triste réalité le sujet de son travail de fin
d’études. Elle se promène donc, munie d’une
caméra cachée, afin de montrer son quotidien (un extrait de ce
travail est disponible ici, ne vous
laissez pas intimider par le début en Néerlandais, les
« abrutis » s’expriment, eux, en
Français). Elle y montre un quotidien fait de « hé
mademoiselle, vous êtes belle », de « viens, on
va à l’hôtel », « montre nous tes
petites féfesses » et autres
« salope ».
Choquant ?
Certainement. Devenue virale, la vidéo fait l’objet de nombreux
commentaires féminins qui confirment le caractère universel de
l’expérience de l’infortunée. La toile
s’indigne, à juste titre. Et les politiciens, toujours avides de
publicité s’emparent du sujet. C’est là que l’abject vire au grotesque.
Une loi contre les
lourdingues ?
Première
à monter au créneau, la ministre de
l’égalité des chances, Joëlle Milquet. Elle
déposera un projet
de loi
à la rentrée, affirme-t-elle aux média. Se fendant
d’une belle tranche de novlangue, elle affirme sans rire :
« Les remarques et injures sexistes doivent faire l'objet d'une
condamnation sévère, qui rompt avec le sentiment
d'impunité bien présent actuellement, à Bruxelles comme
ailleurs, via notamment les sanctions administratives qui doivent devenir une
des priorités de la politique de respect et de lutte contre
l'incivilité dans le cadre de la future législation communale. »
Une
loi contre les remarques et injures sexistes ? Pas de doute, la
pensée magique atteint de nouveaux sommets.
Réfléchissons deux secondes. Ce que la ministre n’a
manifestement pas fait. Au passage, remarquez que je n’ajoute pas
perfidement « comme toutes les femmes ». D’abord
parce que je risquerais de tomber sous le coup de cette future loi, et
ensuite parce qu’un domaine dans lequel l’égalité
des chances est strictement respectée en politique est bien
l’émission déclarations stupides et matamoresques.
Stupide
et inapplicable
Réfléchissons
donc deux secondes. Déjà, d’un point de vue purement
juridique, si je comprends bien comment on pourrait définir une
« injure sexiste », la « remarque
sexiste », elle, me laisse perplexe. Mais soit. Peut-être le
législateur aura-t-il plus de clairvoyance. Mais ensuite, comment
punir les auteurs présumés de cette nouvelle catégorie
de délits ? Je vois mal les auteurs de ces remarques
décliner obligeamment leur identité à la jeune femme afin
qu’elle puisse aller porter plainte contre eux. Quant à porter
plainte contre X, bonne chance. Il ne se passe pas un mois sans que la presse
ne se fasse l’écho de la pénurie
d’agents de police dans le Royaume. Imagine-t-on vraiment ces pandores
débordés, laisser tout tomber parce qu’une demoiselle a
porté plainte contre « un jeune d’environ 1,80m, de
corpulence normale, habillé d’un jeans et d’un pull
à capuche » et contrôler des dizaines de jeunes
correspondant au signalement, avant de procéder à une
séance d’identification ? Et comment la demoiselle
pourra-t-elle prouver ses dires ? Tout le monde ne se balade pas avec
une caméra cachée, et celle-ci ne permet pas
nécessairement l’identification du suspect. Evidemment, on peut
imaginer, dans un grand délire, un commissaire de police envoyer ses
subordonnées les plus girondes, habillées de mini-jupes,
s’attirer les quolibets des lourdingues afin de verbaliser. Ne pas
oublier de prévoir des renforts pour contenir l’émeute
qui suivra. Car le principe de base du jeune rebelle est qu’il
n’est pas civilisé et n’hésite donc pas à frapper ceux qui ont
l’outrecuidance de le verbaliser. À moins d’engager
massivement dans la police ou d’adopter les méthodes de la
défunte Stasi est-allemande, qui comptait un quart de la population
parmi ses informateurs, difficile de comprendre comment la ministre compte
s’y prendre pour faire respecter sa loi.
Sentiment
d’impunité ?
Cela
dit, rendons à César ce qui est à César, la
ministre a raison sur un point. Il règne dans ce pays, comme en France
d’ailleurs, un véritable sentiment d’impunité chez
les petits délinquants. En cause : des tribunaux
débordés, des prisons surpeuplées qui ne peuvent plus
accueillir de nouveaux pensionnaires, bref, un système judiciaire
totalement dépassé. C’est que la ministre, comme tous ses
prédécesseurs, se livre à la pensée magique. Nos
politiciens s’imaginent que le vote d’une loi suffira à
changer les choses et oublient commodément qu’une loi reste
lettre morte si derrière, l’appareil judiciaire n’a pas
les moyens de la faire respecter. Les politiciens qui ont imposé une
« zone 30 » dans le Pentagone bruxellois en savent
quelque chose : le Parquet a déjà décidé de ne
plus poursuivre
une partie des excès constatés. Lorsqu’une loi est
stupide et inapplicable, elle n’est pas respectée. Et ça,
c’est la cause première du « sentiment
d’impunité ».
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