1. Dans l'ouvrage de 1942 intitulé
Précis
d'histoire des doctrines économiques, conforme au programme de la partie
générale du diplôme d'études supérieures d'économie politique de la Faculté
de droit de Paris ,
Louis Baudin (1887-1954), professeur de droit et de science
économique, a livré une connaissance de l'économie politique tout à fait
surprenante.
En voici la table des matières:
Table des matières
Introduction .....................................................9
Chapitre 1. - Le mercantilisme. L'économie de puissance ..13
Chapitre 2. - La physiocratie. L'économie de bien être. 43
Chapitre 3. - Les classiques. L'individualisme ... 69
section 1. - Adam Smith
..................................... 71
section II. - ].-B. Say
section III. - Malthus .
section IV. - Ricardo ...
Chapitre 4. ~ Les dissidences de l'individualisme.121
section 1. - Saint-Simon. La notion d'élite
section II. - Fourier. L'idée de coopération
section III. - Sismondi. L'économie de sécurité ... 141
Chapitre 5. - Les années [18]quarante .................149
section 1. - Louis Blanc. Le socialisme d'Etat .... 151
section II. - Bastiat. Le libéralisme
section 1I1 - Proudhon. L'anarchisme
section IV. - Stuart Mill. La codification de l'individualisme ..... 183
section V. - List. Une nouvelle forme d'économie de puissance ..203
Chapitre 6. - L'annonce du XXème siècle .............. 214
section I. - L'école historique. La méthode ............ 214
section II. - Karl Marx. Le collectivisme ............... 222
section III. - Le Play. La moralisation de l'individualisme 252
Quelques ouvrages à consulter .............................. 271
Ouvrages d'auteurs contemporains dont les citations figurent dans le texte
.........................................................................272
Index alphabétique des noms cités .......................... 275
2. On ne peut qu'être étonné que le livre se conclue sur Marx (mort en
1883) et Le Play (mort en 1882) - c'est-à-dire soixante ans avant
la date du livre -.
Comment Baudin pouvait-il ignorer, en particulier, les travaux de Cournot,
Walras, Pareto, … pour ne parler que des Français, contemporains de Marx ou
Le Play ?
Pourquoi ces choix de l'auteur ?
Pourquoi s'est-il intéressé, implicitement, seulement aux hérauts des quantités des choses
en économie politique ?
Que n'avait-il lu les propos du Cours
d'économie politique (1896-97) de Vilfredo Pareto s'opposant à
Ricardo ou à Marx en ces termes:
« K.
Marx dit aussi fort bien':
"La marchandise est d'abord un objet extérieur, une chose qui par ses
propriétés satisfait des besoins humains de n'importe quelle espèce.
Que ces besoins aient pour origine l'estomac ou la fantaisie, leur nature
ne change rien à l'affaire."
Mais il oublie aussitôt que cette propriété qui dépend de la « fantaisie»
ne peut être que subjective, et c'est la cause principale de l'erreur, qu'il
a en commun avec Ricardo, de placer l'origine de la valeur dans le travail;
ce qui est proprement confondre le but avec le moyen. »
Le travail n'est pas une quantité objective !
Juriste qu'il était, aurait-il été "nul" en mathématiques au
point de ne rien comprendre aux développements que ces derniers auteurs
avaient écrits ?
Pourquoi, par exemple, était-il muet sur la notion d’"ophélimité
élémentaire d'une chose" qui va certes contribuer à la déformation,
voire à la dénaturation de l'économie politique, par certains à partir
de la décennie 1930 (cf. texte
de juillet 2009)?
Quid des conséquences de cette notion pour ses lecteurs dont la
dernière en date est le livre de Jean Tirole intitulé Economie
du bien commun ?
3. Osons l'écrire, le livre de Baudin est mauvais hormis, peut-être, le
fil directeur de l’individualisme que son auteur semble suivre (mais quid
de la codification ou de la moralisation évoquées …).
Il ne semble pas excessif de considérer que, sans le vouloir, il a
conforté le socialisme alors en développement tant en France que dans le
monde (nous étions en 1942...) et que des économistes se sont moulés dans ce
qu'il avait malheureusement écrit ou enseigné.
4. On est bien loin de ses textes sur l'Inka dont Ludwig von Mises a fait
en 1961, une préface pour l'édition
américaine du livre de 1928, intitulé L'Empire
socialiste des Incas.
5. On est surtout bien loin de son opposition profonde au socialisme
français qu'il a développé dans un article en l'honneur de Ludwig von Mises
(1957) intitulé Socialisme
français (traduit du français par Stephen Di Bari) et dont le texte
est le suivant (traduit par mes soins) :
"Le
professeur von Mises a vaincu le socialisme après l'avoir mis sur le terrain
scientifique. C'est un de ses titres de gloire.
Et pourtant le nom de socialisme est encore identifié avec des espoirs
illusoires et avec des souvenirs déformés par le temps.
Nous proposons donc d'examiner la doctrine dite «socialiste» qui a survécu
en France et qui sert maintenant de bannière du parti à la « Section
française de l'Internationale ouvrière » (S.F.I.O.).
Les économistes s'accordent à croire qu'il existe deux caractéristiques du
socialisme sous sa forme non communiste:
(1) son objectif, à savoir la socialisation des moyens de production et de
redistribution selon les services rendus;
(2) ses moyens appliqués, c'est-à-dire les réformes obtenues par la
manipulation des forces politiques.
Les communistes, cependant, préconisent la socialisation totale de la
production, avec la distribution des biens selon le besoin.
Ils comptent sur l’évolution des forces productives pour obtenir ce
résultat.
Ceux qui tiennent à la première doctrine modifieront le capitalisme avec des
greffes d'étatisme, tandis que les communistes anticipent son effondrement
spontané.
En réalité, le communisme révèle une forme définie, alors que nous n'avons
qu'une vision fugitive du socialisme.
Une grande partie de l'opinion publique conçoit la différence entre les
deux doctrines de se trouver dans la soumission de l'un aux ordres du Kremlin
et le maintien d'une indépendance de Moscou par l'autre.
Sans aucun doute, en stalinien, le seul critère du monde non capitaliste
est sa conformité avec la société telle qu'elle est organisée en Russie -
qui, dans son évolution, doit théoriquement évoluer par le socialisme pour
atteindre le communisme.
Pour cette raison, les socialistes français qui refusent d'obéir à Moscou
s'appellent eux-mêmes « socialistes français ».
Ainsi, notre socialisme français prend un caractère contraire à la
tradition - car il a toujours posé comme champion de l'internationalisme - et
contraire à son nom: Section de l'Internationale.
Pour renforcer leur position, les socialistes français tentent de donner à
leur parti des fondements historiques.
Ils s'efforcent de rétablir sa connexion avec les prédécesseurs de Marx.
Mais ils n'ont pas été trop heureux dans cette entreprise.
Pour un de leurs porte-parole les plus éminents, le sociologue Bouglé,
dans son ouvrage intitulé Socialismes français 1),
1) 1ère édition,
1932; 3ème édition, 1941.
examine trois économistes du XIXe siècle dont l'identification comme
socialistes est très douteuse:
- Saint-Simon, l'industriel qui donnait le pouvoir aux gestionnaires
industriels;
- Fourier, l'avocat des coopératives qui ont généreusement rémunéré le
capital;
- Proudhon, l'anarchiste qui blasphémait les socialistes.
Bouglé appartient au grand groupe d'écrivains socialistes français qui
embrassent un esprit véritablement impérialiste: en traçant leur ascendance
socialiste, ils annexent les économistes qui ne sont pas ouvertement libéraux
et qui ne peuvent être qualifiés de «socialistes» que si l'on définit le
terme de façon très large et vague ou, comme c'est souvent le cas, si l'on
s'abstient de les classer.
Pour eux, celui qui proclame la suprématie de la raison et de la justice
est un socialiste.
C'est l'opinion de Léon Blum, par exemple 2).
2) Revue de Paris, 1er mai 1924.
Un autre socialiste, M. L. Laurat, met l'accent sur la raison plutôt que sur
la justice, exigeant une rationalisation du système d'organisation sociale. (Economie dirigee et socialisation,
Bruxelles, 1934, Le manifeste
communiste de 1848 et le monde d'aujourd'hui, Paris, 1948.)
Mais si c'était le critère, il n'y aurait plus de problème, car quarante
millions de Français seraient tous des socialistes!
On peut dire la même chose des écrivains actuels qui appliquent le terme
«socialiste» à quiconque se consacre à la promotion du bien commun.
Ces auteurs dédaignent l'usage des définitions classiques et s'abstiennent
même de mentionner leur hostilité pour la propriété individuelle qui, après
tout, est la caractéristique la plus distincte du socialisme.
Tel est le cas de M. A. Spire qui, dans son Inventaire des socialismes
français contemporains, écrit:
« Le socialisme suppose que le but de l'activité économique doit être en
harmonie avec les intérêts collectifs ».3)
3) Paris, 1945.
Le socialisme profite donc de cette définition ambiguë qui unit les
socialistes chrétiens et les syndicalistes.
La confusion est totale!
Reconnaissons que le socialisme en France a rencontré le malheur.
Alors que le libéralisme connaît actuellement un renouveau magnifique à
travers le néolibéralisme, le socialisme a été arrêté dans son évolution
doctrinale par l'échec des néo-socialistes: Deat, Marquet, Frossard et
quelques autres.
Ces dirigeants ont reconnu correctement que le national-socialisme était en
effet le socialisme comme son nom l'indique et que Hitler « avait réalisé le
véritable socialisme en Europe ».
Mais ils se trompaient en tirant de là la conclusion qu'ils pouvaient
collaborer avec l'envahisseur.
Les socialistes français non seulement leur reprochèrent leur «trahison»,
mais niaient aussi que le nazisme ait été socialiste, ce qui est une erreur
si grave qu'on se demande s'il n'a pas été délibéré.
En effet, il valait mieux nuire au socialisme que de le reconnaître comme
la doctrine de l'occupant.
L'économie allemande était certainement socialiste, mais les partisans du
socialisme n'étaient pas motivés par ce fait à se placer sous les ordres des
dirigeants nazis.
Examinons les deux auteurs contemporains qui sont théoriciens et hommes
d'action.
Tous deux ont étudié la science de l'économie et ont participé à la
politique contemporaine: MM. Andre Philip et Jules Moch, tous deux anciens
membres du gouvernement.
En 1952, André Philip exposa ses idées dans un discours à la Société
d'économie politique 4) et dans un article publié dans la Revue
socialiste5).
4) 8 Janvier 1952.
5) Avril 1952, p. 346.
En effet, il rejette les théories marxistes et reconnaît que les doctrines
de concentration capitaliste et de paupérisation croissante des masses sont
fallacieuses.
Il est conscient du fait que le sort de la classe ouvrière s'améliore et
que le travail et la direction collaborent parfois à l'exploitation des
consommateurs.
Ainsi il abandonne ouvertement Marx et trouve un autre maître à Keynes -
affinité inattendue mais compréhensible, car cet éminent économiste
britannique s'est déclaré un défenseur du capitalisme, mais a exposé la
théorie du plein emploi.
André Philip met peu l'accent sur la doctrine, soutenant que les pays
socialistes qui ne recourent pas à une doctrine particulière sont mieux lotis
que ceux qui le font, parce qu'il n'y a pas de principes rigides qui
pourraient entraver l'adaptation aux conditions changeantes.
Selon Philip, le socialisme doit se conformer à certains développements,
c'est-à-dire à l'évolution de la classe ouvrière.
C'est la clé de nombreuses notions socialistes en France: la préséance du
travailleur. Tout doit dépendre de lui. Il doit être assuré du maximum de
bien-être.
Nous trouvons les mêmes idées chez A. Spire.
L'intérêt général est délibérément sacrifié à un intérêt collectif, celui
de la classe ouvrière.
Ainsi, après avoir renoncé à Marx, André Philip réaffirme une de ses
doctrines principales et en fait le noyau même de son système: la guerre des
classes.
Mais dans toute sa présentation il n'y a pas une seule attaque contre la
propriété privée, ni le capital, ni le profit.
Le socialisme est devenu flou et insaisissable, existant simplement sur sa
reconnaissance de la servitude à un segment de la population.
Avec M. Moch, nous obtenons une perspective entièrement différente.
La dernière partie de son grand volume intitulé Confrontations 6)
présente de façon intéressante le plan de l'état futur.
6) Paris, 1952.
Une autorité centrale réglemente l'économie à l'aide de statistiques,
distribue les facteurs de production, gère les investissements et redistribue
les produits selon les besoins.
En cas de pénurie, la consommation est limitée par le rationnement pour la
production.
À d'autres moments, les fonctionnaires fixent les prix afin de modifier la
demande. On tremble à la pensée que les planificateurs dévoués, avec tant de
pouvoir, soient des êtres humains qui puissent être conduits par leurs
sentiments et leurs émotions.
Naturellement, l'intérêt du capital est supprimé.
Il est difficile de comprendre pourquoi l'auteur se pose d'abord comme le
défenseur de la petite épargne, sans définir davantage ces économies, alors
qu'il les condamne plus tard sévèrement.
Selon M. Moch, les petites économies doivent disparaître, mais les victimes
de cette expropriation seront indemnisées avec une rente viagère égale au
revenu moyen des titres expropriés 7).
7) En 1945, dans un
manifeste commun, les communistes et les socialistes réclamaient que les
titres des entreprises dont la nationalisation était recommandée se
transforment en rentes viagères. Les conditions de cette transformation sont
celles citées par M. Moch dans son texte
On peut voir que cette terre promise ressemble étroitement au paradis
communiste.
En outre, l'auteur ravive la doctrine marxiste par son approbation tacite.
Mais il ne cesse jamais de chanter un hymne dans la louange de la liberté,
malgré le caractère autoritaire du système qu'il recommande.
Après avoir lu ces textes de base, nous ne sommes pas en mesure de définir
correctement le socialisme français.
La marge de manœuvre entre les deux auteurs dont nous venons d'examiner
les travaux est telle que nous pourrions insérer entre eux toutes les
doctrines qui vont du communisme au libéralisme.
Ainsi le socialisme n'est rien de plus qu'une étiquette apposée sur une
fiole dont le contenu varie selon le caprice du boutiquier.
Comment alors expliquer l'existence d'un tel socialisme en France?
Tout d'abord, sa plus grande force est son vague: tout le monde croit ce
qu'il veut, en y ajoutant quelques-uns de ses idéaux.
Sur le plan politique, cette adaptabilité doctrinale se prête à des
combinaisons très intelligentes.
Le problème consiste à distribuer des promesses et des avantages parmi les
groupes qui composent l'Assemblée nationale de telle manière que suffisamment
sont satisfaits pour assurer une majorité.
Par exemple, M. Pineau, invité à devenir président du Conseil des
ministres mais vaincu en février 1955, a présenté un programme économique et
social qui, sur bien des points, n'était pas en accord avec les idéaux
socialistes, sur, par exemple, l'organisation des marchés agricoles.
Il n'a même pas proposé toutes les réformes demandées par le parti
socialiste au Congrès de Suresnes en 1954, notamment en matière fiscale.
En outre, le socialisme en France bénéficie de deux caractéristiques non
économiques majeures: son goût sentimental et sa nature mystique.
Le socialisme est le défenseur des faibles et des pauvres.
Ses porte-parole ne manquent jamais de réitérer les tristes conditions des
travailleurs et surtout des femmes et des enfants au début du XIXe siècle,
pour lesquelles ils blâment le capitalisme actuel.
Ce genre d'anachronisme impressionne les rangs qui sont toujours
facilement déplacés.
«Les hommes de cœur sont des socialistes", dit M. Moch.
Il ne fait aucun doute que le capitalisme, qui sert de fouet, est présenté
comme monopoliste, malthusien, instigateur du chômage, de la guerre, etc.
En effet, on se demande comment les lecteurs ou les auditeurs peuvent
prendre au sérieux une image aussi douteuse, sinon ridicule.
En réalité, c'est un sentimentalisme unidirectionnel.
Un grand nombre de socialistes croient que seuls les travailleurs sont
pauvres, ce qui contredit le fait réel.
En France, les «économiquement faibles», les petits investisseurs, les
retraités, les vieillards et les malades sont beaucoup plus démunis que les
ouvriers.
André Philip, Jules Moch et d'autres croient en la prédiction de Jaurès
que «le socialisme viendra à lui-même avec la croissance du prolétariat».
Ainsi, les socialistes sont motivés par les intérêts d'une seule classe et
non par l'intérêt général.
Ils reconnaissent franchement que les mesures gouvernementales sont
acceptées ou rejetées selon les avantages qu'elles promettent aux
travailleurs. Tout le reste est sacrifié.
C'est pourquoi les socialistes s'opposent à toute réforme des entreprises
nationalisées et de la sécurité sociale, malgré les abus dénoncés par les
commissions d'enquête.
C'est aussi la raison pour laquelle ils ne fléchissent pas devant le
déficit budgétaire, l'inflation 8) ou les dévaluations de la monnaie, comme
nous l'avons vu en 1936 et 1937.
8) Le congrès
socialiste de Suresnes exigeait une augmentation générale du salaire minimum
garanti, sans son équivalent en productivité, et se rendant compte qu'ils
courtoient le danger d'une inflation redoutable.
Afin d'amener rapidement les améliorations espérées, les socialistes
tentent d'augmenter les salaires et les coûts sociaux au lieu de chercher des
moyens de baisser les prix, même au risque de ruiner d'autres classes
sociales.
En d'autres termes, les socialistes sont des apôtres de la «redistribution
du revenu» par des moyens fiscaux.
En somme, on peut dire qu'ils se proposent de combattre la misère, quand
ils ne la créent pas!
Cette caractéristique sentimentale de classe a une forte attraction pour
les écrivains religieux.
Dans les cercles catholiques, une campagne est menée en faveur d'une
«économie des besoins».
Leur raisonnement est le suivant: la demande actuelle ne correspond qu'à
des besoins effectifs et non à des désirs authentiques.
Le mécanisme des prix économiques est inhumain.
La société doit donc renoncer au jeu de la loi de l'offre et de la demande
et substituer un système fondé sur la satisfaction des besoins.
Selon ces écrivains, ces besoins doivent correspondre non seulement aux
nécessités vitales, mais aussi aux commodités de l'existence et aux «valeurs
supérieures de la civilisation» qu'elles appellent «besoins de confort» et
«d'élévation». 9)
9) Economie et humanisme,
Mars-Avril 1954, p. 1.
Cette école de pensée bénéficie du prestige inhérent au mot «humanisme»
dont ils font usage.
Leurs adversaires sont jetés dans le rôle de ceux privés de tout sentiment
humain.
Mais c'est fallacieux et confus.
Tout d'abord, nous pouvons conclure des remarques de ces imprudents
réformateurs que le pouvoir d'achat que tout le monde possède et qui
détermine sa demande est attribuable au hasard.
En réalité, dans une société libérale sans entraves, le pouvoir d'achat
est le résultat d'une application du travail ou du sacrifice de l'épargne.
Le système des prix est juste parce qu'il correspond au mérite.
Ensuite, les «humanitaires» veulent distribuer les produits selon leurs
besoins.
Ils détruiraient ainsi le lien entre production et consommation.
Une erreur encore plus grave est leur confusion des besoins et des désirs,
attribuant ainsi à ceux-ci l'importance qui devrait être réservée aux
premiers.
En un mot, ils arrivent à la solution communiste sans même s'en rendre
compte!
Quant à la nature mystique du socialisme, les gens en France l'appellent
«gauchiste», qui est un mot sans signification précise mais avec un appel
populaire. M. Moch souligne expressément que le socialisme «est presque une
religion séculaire».
Sur ce terrain, la logique est sans force. L'homme de la rue «vote à
gauche» parce que son chef le veut.
Cela nous rappelle un candidat parlementaire de penchant libéral qui, à
l'époque où existait un système d'élection de district, demandait à un bon
ami de se comporter comme un conservateur, bien sûr, sans chance de succès.
Maintenant, il pourrait dire à des rassemblements publics:
«Je
suis à la gauche de ce monsieur; il est réactionnaire! »
Les mots « droite » et « gauche» sont parmi les plus efficaces de tous les
gadgets irrationnels de la politique française.
Ce glissement vers l'empirisme et cette désintégration doctrinale du
socialisme ont-ils apporté au moins des résultats plus heureux dans la
pratique?
Un sondage de l'Institut français d'opinion publique 10) a répondu à cette
question:
10) Publié dans la
revue, Sondages,
numéro 3 de 1952.
en moins de six ans, le «Parti socialiste uni» (S.F.I.O.) a perdu un tiers
de ses sympathisants qui se sont avérés communistes ou modérés.
Ils sont devenus remarquablement vieux, car environ 34 pour cent de ses
électeurs ont dépassé la cinquantaine et, parmi leurs partisans loyaux, les
hommes dépassent de loin les femmes en nombre.
Il est caractéristique que ce parti ouvrier soit soutenu aux urnes par un
grand nombre de fonctionnaires, mais par relativement peu de travailleurs qui
votent pour la plupart pour les communistes.
Les électeurs socialistes manquent d'esprit militant. C'est-à-dire qu'ils
sont peu enclins à travailler pour leur parti, tentent à peine de convaincre
leurs amis, et n'aiment pas discuter de politique ni contribuer à de
l'argent.
Pire encore, ils manquent de confiance totale dans les chefs de parti.
"Un électeur sur cinq a confiance en M. Guy Mollet, un sur dix dans
M. Moch."
Le sondage conclut que le S.F.I.O. est un lieu de rencontre commun pour
"des aspirations souvent contradictoires, des doutes et des
incertitudes.
Ce n'est même pas un socialisme qui unit, mais presque un groupe de
socialismes différents qui se réunissent sans une seule direction désignant
le chemin que tous peuvent suivre."
Des événements récents confirment ces observations.
En 1954-55, nous avons été témoins de la révolte des socialistes
parlementaires contre le comité central du Parti.
Les rebelles sont allés jusqu'à parler de leurs réserves mentales
individuelles pour justifier leur insubordination lors des débats sur la
Communauté européenne de défense et les Accords de Paris.
C'est un parti sans un seul dirigeant capable de s'imposer.
Les socialistes eux-mêmes, dans leurs journaux et dans leurs magazines, ne
manquent pas de déplorer le «déclin», la «défaite» et la «dissipation» de
leur parti et de leur doctrine 11).
11) Pour de
nombreuses références, voir l'ouvrage de cet auteur L'aube d'un nouveau libéralisme,
Paris, 1953, p. 125
Un observateur perspicace, sympathisant envers le socialisme, écrivait
déjà en 1946:
"L'idée socialiste a fondu et c'est un fait. "12).
12) François Mauriac:
"Le crépuscule du socialisme", Le
Figaro, 28 août 1946.
Certains socialistes trouvent une consolation dans le fait que leur parti
maintient une position forte partout où les questions personnelles conservent
leur importance, dans les affaires régionales et locales, dans les conseils
généraux et dans les municipalités.
Ou bien ils trouvent un réconfort dans leur position centrale au Parlement
entre les communistes et les modérés, ce qui les rend arbitres des
opportunités pour changer l'équilibre du pouvoir.
Certains bons auteurs tentent de «rajeunir la doctrine», comme ils
l'appellent.
Mais ils sont assez intelligents pour contourner le socialisme classique.
Tel est le cas du professeur Robert Mosse qui écrit:
«La planification centrale n'exige pas la collectivisation de tous les
moyens de production, elle est compatible avec l'existence de la propriété
privée dans certains domaines importants».
Il rejette la planification centrale autoritaire.
Il veut qu'elle soit flexible ou une «supervision stratégique de
l'ensemble». 13).
13) «L'évolution
doctrinale du socialisme», Revue
de l'Institut de sociologie de Bruxelles, 1952, page 373
Afin d'éviter la tyrannie bureaucratique, il se replie sur le mécanisme
des prix comme critère de mesure, permettant aux consommateurs et aux
travailleurs de choisir librement.
Et il explique que le prix seul permet la comparaison entre les coûts et
les services publics et permet le calcul économique.14).
14) Aux Ecoutes de la Finance, 27
août 1953.
Oscar Lange a suggéré que les socialistes dressent une statue à Ludwig von
Mises en reconnaissance de leur avoir permis d'élaborer leur doctrine.
Une telle élaboration semble être une transformation.
L'inscription correcte de la base du monument devrait annoncer la
destruction du socialisme plutôt que sa perfection, car cette prétendue
élaboration de la doctrine n'est rien de plus que sa substitution par une
planification vague.
Les espoirs de ces défenseurs du contrôle sont variés.
Certains d'entre eux s'accrochent aux conceptions de l'abondance, de la
technocratie ou du contrôle des prix marginaux.
Leur panacée est la nationalisation et la redistribution du revenu par la
fiscalité.
D'autres adhèrent aux idées d'amélioration du sort des travailleurs et de
la démocratie économique par l'action politique ou syndicaliste.
Certains retardataires sont inspirés par les utopistes et les moralistes
du siècle dernier, mais ils sont rares dans cet âge où la morale n'est pas
tenu en haute estime.
Quelques-uns
croient en la vertu du mouvement pour lui-même sans vouloir connaître la rive
vers laquelle le courant les porte.
Dans toutes ces tendances et aspirations, nous ne voyons pas une seule
contribution socialiste.
La littérature et particulièrement la Revue socialiste sont
curieusement vides 15).
15) La revue Reconstruction, organe de la
Confédération française des ouvriers chrétiens, fait un véritable effort pour
entrer dans la sphère de la doctrine
Nous ne savons pas si notre socialisme actuel sera encore en vogue en l'an
2000, comme l'a prédit un réformateur.
Nous croyons qu'il restera démocratique, bien que cette expression soit
devenue assez ambiguë depuis la naissance des «démocraties populaires»16).
16) Le mot
«démocratie» oppose le mot «socialisme» à la première place dans le domaine
de l'ambiguïté. (J. Monnerot: "Sur le déclin du socialisme", Liberte de l'esprit, novembre
1950.)
M. Moch considère saint Thomas comme un socialiste démocratique! Il peut
être utile à cet égard de rappeler que dans l'encyclique Quadragesimo
Anno (par 44 à 50), le socialisme clairement distingué du communisme est
condamné.
Source : Contrepoints.
Mais nous refusons qu'il s'agisse d'un «vrai» socialisme.
Le
socialisme français est aujourd'hui un «socialisme sans doctrine».
6. A l'opposé du livre de 1942, cet article de 1957 est excellent.
Rétrospectivement, il permet de se rendre compte que des permanents du
socialisme se sont succédés, en France, au gouvernement ou ailleurs,
sans modifier leur ... absence de doctrine.
Et, jusqu'à présent, nous en avons supporté les conséquences
désastreuses.
7. Nous sommes aujourd'hui en 2017, soixante ans après l'article de
Baudin, et rien de nouveau en France.
Exemplaires sont les propos actuels des concurrents pour l'élection
présidentielle prochaine, ceux des Macron, Hamon, et autre Mélenchon ... (cf.
ci-dessous de gauche à droite)
qui ne font que cautionner les propos dont avertissait Baudin en 1957.
Jamais l'absence de doctrine n'a été plus évidente.
Hollande, oh désespoir, oh socialisme ennemi...