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C’est l’histoire stupéfiante de deux jeunes génies de la
contrefaçon monétaire : Baldwin Bredell et Arthur Taylor, imprimeurs de titres
et d’actions à Philadelphie en 1897. Le plus surprenant est qu’ils n’ont pas
fait d’études en raison de leur origine modeste mais ils ont
incontestablement un don très vite reconnu : Baldwin est un surdoué de la
mécanique tandis que Arthur est un dessinateur hors du commun. Leur
réputation parvint inévitablement à l’oreille de personnes douteuses,
motivées par l’appât du gain facile, notamment William Jacobs, un fabricant
de cigares, connu aussi par les services de police pour ses activités plus lucratives
mais moins légitimes.
Un jour ce dernier provoqua une rencontre pour proposer un
marché aux deux « artistes » : fabriquer de faux billets « parfaits ». Dans
un premier temps, Baldwin et Arthur se réfugièrent derrière leur honnêteté
mais le fabricant sut flatter leur égo, et le défi était si excitant pour
des génies qui adorent la compétition. Ils décidèrent donc de s’attaquer au
billet de cent dollars, ce qui était pour l’époque une véritable gageure
technique car le papier, de par sa composition chimique tenue au secret,
était inimitable et infalsifiable. Alors, dans un éclair de génie, après
maintes tentatives infructueuses, Baldwin eut une idée impensable : il
fallait utiliser les billets eux-mêmes !
Arthur, incrédule mais intrigué, lui demanda comment il
comptait procéder : « Si on coupe le billet de un dollar en deux dans le
sens de l’épaisseur, on pourra ensuite le décolorer et redessiner un billet
de cent dollars ». Son ami répondit aussitôt : « Tu es fou ! Dans le
sens de l’épaisseur ?? Mais c’est impossible ». Alors Baldwin répondit :
« C’est pourtant évident… ». Et nos deux compères tapissèrent la
ville. Quelques mois plus tard, le trésor américain reçut un billet de cent
dollars envoyé pour vérification par une banque de Philadelphie car le sceau
rouge semblait trop pâle. Mais, il s’agissait sans doute d’une simple erreur
d’impression car, à part cet infime détail, le reste était parfait.
Ce sera la première conclusion des experts de
l’administration. Mais, un expert plus méticuleux fit tremper le billet dans
de l’eau chaude et, horrifié, il eut la surprise de sa vie : le billet se
sépara en deux dans le sens de l’épaisseur… Aussitôt, il alerte le chef des
services secrets, William P. Hazen, chargé, avec la brigade financière du
F.B.I de traquer les faux monnayeurs qui mettent ainsi en péril le monopole
le plus sensible qui soit : la création de monnaie. Ce dernier alerte à son
tour le secrétaire américain au trésor : nous sommes en présence d’un
faussaire comme on n’en a jamais vu, s’exclame-t-il dans l’affolement
général. De fait, il apparait rapidement qu’il s’avère impossible de savoir
combien de faux billets sont déjà en circulation. Alors le secrétaire au
trésor prend une décision extraordinaire : il fait retirer de la circulation tous
les billets de cent dollars, soit vingt-six millions de dollars, au risque de
provoquer une panique générale.
Cette décision va mettre la puce à l’oreille du fabricant
de cigares. Pendant ce temps, le chef des services secrets est destitué et
son remplaçant, John Wilkie, est chargé de trouver le faussaire. Il
consacrera toute son énergie à ce but, finissant par mettre la main sur les
deux faussaires, à leur grande surprise. Baldwin et Arthur sont emprisonnés
et avouent tout. Pourtant, nouvel exploit, ils vont parvenir à imprimer, de
leur cellule, des coupures de vingt dollars pour effrayer les autorités et
négocier une remise de peine, notamment en faisant croire qu’il existait à
l’extérieur une « planche à billet ». Car la police était bien décidée à découvrir
le fameux procédé de fabrication des deux arnaqueurs, qui n’avaient pas dit
un mot à ce sujet. Finalement, en échange de leur secret, la justice fut
clémente surtout que l’opinion publique adorait leurs exploits audacieux qui
embarrassaient tant le gouvernement.
Les experts eux-mêmes, sincèrement impressionnés, ont
admis qu’ils avaient face à eux les plus grands faux-monnayeurs de tous les
temps. Les experts n’ont jamais divulgué le secret au public et, après avoir
purgé leur peine, les deux génies se sont rangés, mais n’ont jamais parlé du
procédé. Vers la fin de sa fin, Baldwin s’est contenté de dire : « C’est
pourtant simple… ». Et ils sont morts de leur belle mort dans les oubliettes
de l’histoire. Ils furent cependant surveillés par la police toute leur vie,
au cas où…
A leur mort, les autorités poussèrent un soupir de
soulagement : le secret resterait à tout jamais ignoré… envolé avec ses
inventeurs de génie eux-mêmes oubliés.
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