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La
semaine dernière, les producteurs de lait organisaient une nouvelle
manifestation à Bruxelles. L’occasion d’un débat
radiophonique quelque peu surréaliste, où
les intervenants comme les journalistes ont montré leur profonde
méconnaissance du dossier et leur absence totale de perspective
historique. Dommage, car la Politique agricole commune est l’exemple
parfait des effets pervers de l’interventionnisme étatique. Voici
donc un petit résumé pédagogique.
Pauvres
agriculteurs ! Leur métier est aujourd’hui bel et bien en
danger. Du moins, celui des petits agriculteurs. L’invité du
débat, Erwin Schöpges, président
d’une coopérative de producteurs de lait, a bien raison de se
plaindre. Mais là où il se trompe, c’est qu’il
continue de croire que l’Union européenne peut sauver son
métier d’une industrialisation massive. Pourquoi ? Parce
que cette situation est le résultat d’un demi-siècle
d’aveuglement idéologique piloté par les politiciens
européens. Sans surprise, cette politique désastreuse a
été initiée par le pays qui, aujourd’hui, monte le
plus hypocritement au créneau pour défendre les
« petits paysans » : la France.
Un
marché de dupes
Revenons dans
les années 50. À l’époque, le spectre de la guerre
est encore très présent. Le projet d’une
communauté économique d’États semble aux hommes
politiques de l’époque une excellente manière de
rassembler les pays pour éviter toute nouvelle guerre. Dès sa
création, l’embryon d’Union européenne
décide de soutenir une politique industrielle expansionniste,
profitant en particulier à l’Allemagne. En échange de son
soutien à ce volet industriel, la France obtient un soutien au
développement de l’agriculture : la Politique agricole
commune (PAC). En 1958, le premier commissaire européen à
l’agriculture, chargé de concevoir et de mettre en oeuvre la première mouture de la PAC, sera un socialiste néerlandais du
nom de Sicco Mansholt. L’objectif de la PAC
est clair dès le départ : favoriser la mécanisation
et l’industrialisation de l’agriculture. Pour y parvenir, les
gouvernements européens fixeront un prix minimum pour une série
de produits agricoles – dont le lait.
L’offre
et la demande
Le
raisonnement derrière la PAC dénote une méconnaissance
complète du fonctionnement d’une économie de
marché. Le prix minimum est instauré, aux dires des
politiciens, afin de favoriser une industrialisation de l’agriculture,
mais aussi de « garantir un revenu décent aux
agriculteurs ». Ce prix minimum est supérieur au niveau
d’équilibre du marché. Or, la loi de l’offre et de
la demande veut que le prix d’équilibre soit celui auquel les
consommateurs sont prêts à acheter l’ensemble des
quantités produites. Augmentez ce prix, et que se passe-t-il ?
Non seulement les consommateurs achètent moins, mais en plus, les producteurs
produisent plus (pour simplifier, ils continuent à produire tant que
le prix de vente est supérieur à leur coût de
production). Résultat : des surplus agricoles. Ils seront
rachetés par la Communauté européenne et stockés
dans de grands entrepôts. Très vite, Manholt
et d’autres réalisent qu’ils ont créé un
monstre. Plutôt que de le démanteler, ils décident de
poursuivre dans la voie du contrôle du marché et instaurent des
quotas de production : au-delà de ces quotas, les prix ne sont
plus garantis. Seulement, ces quotas sont encore trop élevés
par rapport à la demande réelle, et coûtent horriblement
cher à l’Europe. C’est à cette époque que le
budget de la PAC se met à enfler de plus en plus. Au sommet de sa
« gloire », la PAC engloutira plus de la moitié
du budget de l’Union européenne.
La
mort du petit agriculteur
Comme le
prévoyait Manholt, le secteur agricole
s’industrialise pour profiter de l’aubaine. Les petits
agriculteurs sont évidemment les premières victimes de cette
industrialisation forcée. Et les grandes exploitations deviennent
d’ailleurs celles qui profitent le plus du système de quotas.
Pour l’anecdote, la Couronne anglaise – la famille royale est un
très gros propriétaire terrien – figurera durant des
années parmi les récipiendaires des largesses
européennes, bénéficiaires qui resteront longtemps
inconnus. Il faudra attendre 2009 pour que les pays membres soient
forcés de publier l’identité des
bénéficiaires de la PAC et les montants qui leur sont
octroyés. Un excellent site internet, www.farmsubsidy.org, vous permettra de
prendre connaissance des organisations qui, dans votre pays, touchent la
manne européenne. Vous y apprendrez par exemple qu’une banque
française, le Crédit agricole, a reçu en 2007 un subside
agricole de plus de 91 millions d’euros. En Belgique, toujours
d’après le même site, la banque KBC a raflé
près de 57 millions d’euros depuis 2002. Mais les principaux
récipiendaires, en France comme en Belgique, sont les raffineries de
sucre. Pas vraiment de petits producteurs…
Une
catastrophe sociale causée par l’Europe
Forcément,
ce genre de largesse n’a qu’un temps. Il faudra cependant
près de 30 ans à l’Europe pour commencer à
comprendre qu’elle s’est fourvoyée. Mais le mal est fait.
Le démantèlement du système de quotas illustre les
effets pervers du système. Pour parler le langage des entrepreneurs,
le « business model » des agriculteurs n’est
aujourd’hui viable que grâce aux subsides massifs de
l’Europe. Enlevez ces subsides et vous obtenez une industrie en
surcapacité. Or, la loi de l’offre et de la demande ne peut
être ignorée : si vous avez trop de marchandises à
écouler par rapport à la demande, la seule manière de
les faire absorber par le marché est de baisser votre prix.
Aujourd’hui, cette baisse pousse les prix en dessous du seuil de rentabilité
de la majorité des exploitations agricoles. Les fermiers sont
aujourd’hui victime d’une catastrophe sociale à grande
échelle causée par des politiciens qui sont depuis longtemps
dans la tombe.
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