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La politique de la patate brulante

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Published : December 22nd, 2011
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La grande nouvelle du jour est le montant de la demande de 523 banques afin de bénéficier du premier prêt à trois ans et à 1% de la BCE : 489 milliards d’euros, tout en haut de la fourchette des prévisions. Atteindre un tel niveau a été rendu possible grâce à l’assouplissement des règles de la banque centrale quant à la qualité du collatéral apporté par les banques en garantie de leur emprunt.


Cette opération de sauvetage vise non seulement à permettre le refinancement des banques – placées sans cette aide devant un mur – mais tente aussi par ricochet de détendre le marché de la dette souveraine, au cas où elles engageraient massivement des achats obligataires comme elles y sont incitées. C’est un peu le va-tout de la BCE et des Etats, qui a déjà donné lieu à de nombreux commentaires sceptiques sur sa portée effective. Il est en effet à prendre en considération que les banques doivent rembourser leurs propres échéances, ce qui représente 230 milliards d’euros rien que pour le premier trimestre 2012 et 600 milliards d’euros pour l’année à venir.


Les premières réactions enregistrées sur le marché obligataire ne sont pas encourageantes, la plupart des taux étant à la hausse après l’annonce des résultats de l’opération de la BCE. Il est considéré que seules les banques des pays déjà en difficulté pourraient acheter de la dette de leur pays, les autres ne tenant pas à devoir inscrire dans leur bilan des titres risquant vite de devoir être dépréciés.


Quoiqu’il en soit, le système bancaire européen est désormais clairement sous assistance de la BCE pour au moins les trois années à venir, en attendant que le second prêt de même durée soit prochainement lancé, car ce n’est pas fini.


Ce sauvetage in extremis n’a d’ailleurs pas empêché que souffle à nouveau un vent mauvais sur les banques européennes. L’agence Fitch en est à l’origine, qui a hier et sans même en attendre d’en connaître l’ampleur, placé sous surveillance négative de nombreuses banques, espagnoles, belges, italiennes et françaises. Une même logique est à l’oeuvre, qui fait suivre pour les banques ce qui a été engagé pour les Etats. Constatant la fragilité des unes et des autres et contribuant à l’accroître par la même occasion.


Les expédients utilisés pour financer leur sauvetage ou le renforcement de leurs capitaux se sont dernièrement multipliés, car ce dernier aspect propre aux banques est en dehors du champ d’action de la BCE. Pour les premiers, un nouveau montage peu orthodoxe faisant intervenir le FMI est en cours de construction, aux résultats insuffisants au regard des objectifs qui lui sont assignés. D’autres plans ont été également improvisés pour renforcer les banques, afin d’éviter d’entrer à leur capital. Le Wall Street Journal a enquêté, et en voici le résultat, qui mérite d’être un peu détaillé.


Le gouvernement italien a mis au point un montage à double détente qui repose sur l’achat par les banques nationales de biens immobiliers publics, payés en obligations d’Etat. Ce qui diminue l’endettement du pays et réduit le portefeuille obligataire des banques, leur permettant de créer des ABS (Asset-Backed Securities) sur lesquelles leurs nouvelles acquisitions sont adossées, pour être ensuite déposées en garantie à la BCE afin de se procurer des liquidités…


En Allemagne, l’Etat déjà présent à son capital à hauteur de 25%, Commerzbank s’efforce par tous les moyens de se renforcer sans faire appel aux capitaux publics, sans parvenir à réunir les 5,3 milliards d’euros exigés par l’EBA, le régulateur européen. La banque essaye donc de se délester de partie ou de la totalité d’Eurohypo, sa filière de prêts hypothécaires, dans une bad bank capitalisée sur fonds publics. Afin d’éviter que cela ne prenne l’aspect d’un sauvetage en bonne et due forme, des formes de compensation des pertes financières potentielles de l’Etat sont en discussion.


Ce sont les fonds de retraite des salariés des banques qui ont été mis à contribution au Portugal. La valeur de 6 milliards d’euros d’obligations, d’action et de dépôts en numéraire ont été transférés au budget de l’Etat, à charge pour lui de payer dorénavant les pensions. En contrepartie, les entreprises publiques très lourdement endettées auprès des banques vont les rembourser à hauteur de 2 milliards d’euros, soulageant d’autant le bilan des banques, le solde contribuant au désendettement de l’Etat. C’est cette opération non renouvelable qui permet aujourd’hui au gouvernement portugais d’être dans les marques de son plan de sauvetage.


Le gouvernement espagnol a quant à lui trouvé une formule de financement de son renflouement de deux banques, Sabadell et Caja de Ahorros del Mediterraneo, en utilisant 5,2 milliards d’euros du fonds de garantie des dépôts bancaires, qu’il est prévu de renflouer l’année prochaine sur le budget de l’Etat, qui ainsi n’a pas été touché cette année, afin de respecter les objectifs de diminution du déficit.


Dans leur diversité, ces expédients ont en commun de ne pas être à la hauteur des besoins; ils mettent au contraire en évidence l’état de disette financière généralisée qui sévit en Europe, à laquelle la BCE tente de répondre avec ses nouveaux programmes de prêt à trois ans pour se substituer au marché interbancaire et aux investisseurs.


La mécanique qui a été mise en marche est susceptible d’aboutir dans l’immédiat à un court répit, mais elle recèle à terme un nouveau danger : l’étroite imbrication de la dette publique et du système bancaire européen pourrait s’en trouver accrue, fragilisant à nouveau ce dernier au cas où le marché de la dette souveraine se détériorait à nouveau, renouant le noeud qui avait commencé à être défait. La patate est toujours brûlante.

 

 



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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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