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La démonstration théorique des conséquences
respectives des droits de douane protecteurs et du libre-échange est
la clé de voûte de l'économie classique. Elle est
tellement claire, tellement évidente, tellement indiscutable, que
ses adversaires ont été incapables d'avancer le moindre
argument à son encontre qui ne puisse être
immédiatement réfuté comme totalement erroné et
absurde.
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De nos jours, pourtant, nous avons
encore des tarifs protecteurs – et même, en fait, des
interdictions directes à l'importation – dans le monde entier.
Même en Angleterre, la mère-patrie du libre
échange, le protectionnisme est aujourd'hui en pleine
ascension. Le principe d'autarcie nationale gagne chaque jour de nouveaux
partisans. Même des pays ne comptant que quelques millions d'habitants,
comme la Hongrie et la Tchécoslovaquie, essaient, par le biais d'une
politique de tarifs élevés et de restrictions à l'importation,
de se rendre indépendants du reste du monde. L'idée de base de
la politique étrangère commerciale des États-Unis est
d'imposer sur tous les biens produits à l'étranger à
coût plus faible des taxes à l'importation se montant à
la différence. Ce qui rend la situation globale absurde est que tous
les pays veulent diminuer leurs importations mais en même temps
augmenter leurs exportations. L'effet de ces politiques est
d'interférer avec la division internationale du travail et généralement
d'abaisser la productivité du travail. L'unique raison pour laquelle
ce résultat n'a pas été plus remarqué tient au
fait que le système capitaliste a toujours été jusqu'ici
suffisant pour le compenser.
Cependant, il n'y a pas de doute que
tout le monde serait de nos jours plus riche si les tarifs protecteurs ne
conduisaient pas artificiellement à déplacer la production de
lieux plus favorables vers des lieux moins favorables. Dans un système
de libre-échange intégral, capital et travail seraient
employés dans les conditions les plus favorables à la
production. D'autres lieux seraient utilisés tant qu'il serait
possible de produire ailleurs dans des conditions plus favorables. Dans la
mesure où, en raison du développement des transports, des
améliorations de la technique et d'une meilleure connaissance des pays
récemment ouverts au commerce, on découvre qu'il existe des
sites plus favorables à la production que ceux actuellement
utilisés, la production se déplace vers ces lieux. Capital et
travail tendent à partir des régions où les conditions
sont moins favorables à la production pour celles où elles sont
plus favorables.
Toutefois, la
migration du capital et du travail présuppose non seulement la
complète liberté du commerce, mais aussi l'absence totale d'entraves
à la liberté de circulation d'un pays vers un autre. Ceci
était loin d'être le cas au moment où la doctrine
classique du libre-échange fut initialement développée.
Toute une série d'obstacles entravait le libre mouvement du capital et
du travail. En raison d'une ignorance des conditions qui y régnaient,
d'une insécurité générale en ce qui concernait la
loi et l'ordre et d'une série de motifs similaires, les capitalistes
rechignaient à investir à l'étranger. Quant aux
travailleurs, il leur était impossible de quitter leur pays natal, non
seulement parce qu'ils ne parlaient pas les langues étrangères,
mais aussi à cause de difficultés légales, religieuses
et autres. Il est certain que le capital et le travail pouvaient en
général se déplacer plus librement au sein de chaque
pays au début du XIXe siècle, mais des obstacles
empêchaient leur circulation d'un pays vers un autre. La seule
justification pour distinguer en théorie économique le commerce
intérieur du commerce extérieur se trouve dans le fait que le
premier connaît la mobilité du capital et du travail alors qu'il
n'en est pas de même en ce qui concerne le commerce entre les nations.
Par conséquent, le problème que la théorie classique
avait à résoudre pouvait être énoncé comme
suit: Quels sont les effets du libre-échange des biens de consommation
entre plusieurs pays si la mobilité du capital et du travail de l'un
vers l'autre est restreinte? La doctrine de Ricardo fournit la réponse
à cette question.
Les branches de la production se
répartissent entre les pays de telle sorte que chacun consacre ses
ressources aux industries où il possède la plus grande
supériorité sur les autres. Les mercantilistes craignaient
qu'un pays connaissant des conditions défavorables à la
production importerait plus qu'il n'exporterait, de
sorte qu'il se retrouverait finalement sans aucune monnaie: ils
réclamaient donc que des tarifs protecteurs et des interdictions
à l'importation soient décrétés à temps
pour empêcher cette situation déplorable de survenir. La
doctrine classique a montré que ces craintes mercantilistes
étaient sans fondement. Car même un pays dans lequel les
conditions de production seraient moins favorables que celles des autres pays
dans toutes les branches industrielles n'a pas à craindre que ses exportations
soient inférieures à ses importations. La doctrine classique a
démontré, d'une façon brillante et irréfutable,
jamais contestée par personne, que même les pays connaissant des
conditions relativement favorables de production comprendront qu'il leur est
avantageux d'importer de pays connaissant des conditions comparativement
moins favorables de production des biens qu'ils auraient été
certes mieux à même de produire, mais pas dans la même
mesure que pour la production des biens dans lesquels ils se sont
spécialisés.
Ainsi, ce que la
doctrine classique du libre-échange dit à l'homme d'État
est: il existe des pays soumis à des conditions naturelles de
production relativement favorables et d'autres soumis à des conditions
de production relativement défavorables. En l'absence
d'interférence de la part des gouvernements, la division
internationale du travail devra, par elle-même, conduire à ce
que chaque pays trouve sa place dans l'économie mondiale, quelles que
soient ses conditions de production vis-à-vis de celles des autres
pays. Bien entendu, les pays comparativement favorisés seront plus
riches que les autres, mais c'est un fait qu'aucune mesure politique ne
pourra changer de toute façon. C'est simplement la conséquence
d'une différence entre les facteurs naturels de production.
Telle était la
situation à laquelle était confronté l'ancien
libéralisme. Et à cette situation répond la doctrine
classique du libre-échange. Mais depuis l'époque de Ricardo,
les conditions mondiales ont considérablement changé et le
problème auquel la doctrine du libre-échange eut à faire
face au cours des soixante dernières années
précédant le déclenchement de la [Première] Guerre
mondiale fut très différent de celui qu'elle devait traiter
à la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Car le
XIXe siècle avait partiellement éliminé les obstacles
qui, au début, entravaient la libre circulation du capital et du
travail. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, il était
bien plus facile pour un capitaliste d'investir son capital à
l'étranger qu'à l'époque de Ricardo. La loi et l'ordre
étaient établis sur une base bien plus solide, la connaissance
des pays étrangers, de leurs manières et coutumes, s'était
développée, et la création de compagnies par actions
permettait de diviser le risque encouru par des entreprises
étrangères entre plusieurs personnes, donc de le
réduire. Il serait bien entendu exagéré de dire que la
mobilité du capital était au début du XXe siècle
aussi grande entre les pays qu'au sein d'un
même pays. Certaines différences persistaient assurément;
il n'était pourtant plus question de faire l'hypothèse que le
capital devait rester dans les frontières de chaque pays. Ce
n'était pas non plus possible pour le travail: dans la seconde
moitié du XIXe siècle, des millions d'individus
quittèrent l'Europe pour chercher de meilleures occasions d'emploi
à l'étranger. Comme les conditions supposées par la
doctrine classique du libre-échange, à savoir immobilité
du capital et du travail, n'avaient plus cours, la distinction entre les
effets du libre-échange sur le commerce intérieur et sur le
commerce extérieur perdit en même temps sa validité.
Si le capital et le
travail peuvent se déplacer librement d'un pays à un autre
comme ils le font au sein d'un même pays, il n'est plus justifié
de distinguer entre commerce intérieur et commerce extérieur en
ce qui concerne les effets du libre-échange. Tout ce qui a
été dit pour le premier vaut dès lors aussi pour le
second: le libre-échange conduit à n'utiliser pour la
production que les lieux qui connaissent des conditions comparativement
favorables, alors que ceux dans lesquels les conditions sont relativement
défavorables restent inutilisés. Capital et travail partent des
pays aux conditions comparativement défavorables pour ceux où
les conditions de production sont plus favorables, ou plus exactement des
pays d'Europe, établis depuis longtemps et où la densité
de population est élevée, pour l'Amérique et
l'Australie, régions qui offrent de meilleures conditions de
production. Pour les nations européennes qui avaient à leur
disposition, en plus de leurs anciennes bases en Europe, des territoires
à l'étranger convenant à une colonisation
européenne, cela ne signifiait rien de plus que d'envoyer une partie
de leur population outre-mer. Dans le cas de l'Angleterre, par exemple,
certains de ses enfants vivent désormais au Canada, en Australie ou en
Afrique du Sud. Les émigrants qui ont quitté l'Angleterre
peuvent conserver leur citoyenneté et leur nationalité anglaises
dans leurs nouvelles demeures. Mais pour les Allemands, le cas est assez
différent: l'Allemand qui a émigré s'est retrouvé
dans un pays étranger et au milieu de membres d'une nation
étrangère. Il est devenu citoyen d'un État
étranger et il fallait s'attendre à ce qu'après une,
deux, au plus trois, générations, son attachement au peuple
allemand se dissolve et que le processus d'assimilation à la nation
étrangère soit terminé. L'Allemagne eut à faire
face au problème de savoir s'il fallait considérer ce fait avec
indifférence alors qu'une partie de son capital et de son peuple
partait émigrer à l'étranger.
Il ne faut pas faire
l'erreur de croire que les problèmes de politique commerciale de
l'Angleterre et de l'Allemagne au cours de la seconde moitié du XIXe
siècle étaient identiques. Pour l'Angleterre, la question
était de permettre ou non à plusieurs de ses sujets
d'émigrer vers ses colonies et aucune raison ne pouvait de toute
façon empêcher ce départ. Pour l'Allemagne, en revanche,
le problème était de ne rien faire alors que ses nationaux
partaient pour les colonies anglaises, pour l'Amérique du Sud ou pour
d'autres pays et qu'il fallait s'attendre à ce que ces
émigrants, au cours du temps, abandonnent leur citoyenneté et
leur nationalité comme l'avaient fait auparavant les centaines de
milliers, à vrai dire les millions, d'individus qui avaient
déjà émigré. Comme il ne voulait pas qu'une telle
chose se produise, l'Empire allemand, qui s'était lentement
rapproché d'une politique de libre-échange au cours des
années 1860 et 1870, opta à la fin des années 1870 pour
une politique protectionniste, en imposant des taxes à l'importation
destinées à protéger l'agriculture et l'industrie
allemandes de la concurrence étrangère. Sous la protection de
ces tarifs, l'agriculture allemande fut capable de soutenir dans une certaine
mesure la concurrence des exploitations de l'Europe de l'Est et des pays
d'outre-mer, dotées de meilleurs terrains, tandis que l'industrie
allemande pouvait former des cartels maintenant les prix intérieurs
au-dessus du prix du marché mondial, ce qui leur permettait d'utiliser
les profits ainsi réalisés pour vendre moins cher que leurs
concurrents à l'étranger.
Mais le but ultime
visé par le retour au protectionniste ne pouvait pas être
atteint. Plus les coûts de production et le coût de la vie
grimpaient en Allemagne, conséquence directe de ces tarifs
protecteurs, et plus difficile devenait sa situation commerciale. Il fut
certes possible à l'Allemagne de réaliser une croissance
industrielle notable au cours des trente premières années de
l'ère correspondant à cette nouvelle politique commerciale.
Mais cette croissance aurait eu lieu même en l'absence des tarifs
douaniers, car elle était principalement le résultat de l'introduction
de nouvelles méthodes au sein des industries allemandes de la chimie
et de l'acier, ce qui leur a permis de faire un meilleur usage des abondantes
ressources naturelles du pays.
La politique
antilibérale, en abolissant la libre mobilité du travail dans
le commerce international et en restreignant considérablement aussi la
mobilité du capital, a dans une certaine mesure gommé la
différence qui existait en ce qui concerne les conditions du commerce international
entre le début et la fin du XIXe siècle et nous a
ramenés aux conditions en vigueur à l'époque où
fut formulée pour la première fois la doctrine du
libre-échange. À nouveau, le capital et surtout le travail
sont entravés dans leurs déplacements. Dans les conditions
actuelles, le commerce sans entraves des biens de consommation ne peut pas
conduire à des mouvements migratoires. À nouveau, la
conséquence en est que les peuples du monde vont chacun se
spécialiser dans les branches de production pour lesquelles il existe
des conditions relativement meilleures dans leur pays.
Mais quelles que
soient les conditions préalables au développement du commerce
international, la politique de tarifs protecteurs ne peut accomplir qu'une
seule chose: empêcher la production d'être entreprise dans les
conditions sociales et naturelles les plus favorables et la contraindre
à s'effectuer dans de moins bonnes conditions. Le résultat du
protectionnisme est par conséquent toujours une réduction de la
productivité du travail humain. Le libre-échangiste est loin de
nier que le mal que les nations du monde cherchent à combattre au
moyen du protectionnisme est bel et bien un mal. Ce qu'il affirme, c'est
uniquement que les moyens préconisés par les
impérialistes et les protectionnistes ne peuvent pas éliminer
ce mal. Il recommande donc une autre méthode. Afin de créer les
conditions indispensables à une paix durable, l'une des
caractéristiques de la situation internationale actuelle que le
libéral voudrait voir changer est le fait que les émigrants de
nations comme l'Allemagne et l'Italie, qui ont été
traités comme les parents pauvres de la division internationale du
travail, doivent vivre dans des régions où, en raison de
politiques antilibérales, ils sont condamnés à perdre
leur nationalité.
8. La
liberté de circulation
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On reproche parfois au libéralisme d'avoir un programme à
prédominance négative. Ce serait la conséquence
nécessaire, dit-on, de la nature même de la liberté, qui
ne peut être que liberté vis-à-vis de quelque
chose, la demande de liberté consistant essentiellement à
rejeter un autre type de revendication. À l'inverse, on pense souvent
que le programme des partis à tendance autoritaire est de nature
positive. Comme un jugement de valeur bien établi est
généralement associé aux termes
« positif » et
« négatif », cette manière de parler
implique déjà une tentative subreptice de discréditer le
programme politique du libéralisme.
Il n'est pas
nécessaire de répéter ici encore que le programme
libéral – une société fondée sur la
propriété privée des moyens de production – est
aussi positif que tout autre programme politique imaginable. Ce qui est
négatif dans le programme libéral, c'est le refus, le rejet de
tout ce qui s'oppose à ce programme positif. Dans cette posture
défensive, le programme libéral – et, d'ailleurs, de tout
mouvement – dépend de la position que ses adversaires adoptent
à son égard. Lorsque l'opposition est forte, l'assaut du
libéralisme doit lui aussi être plus fort; quand cette
opposition est relativement faible, voire inexistante, quelques mots
suffisent. Et comme la situation que le libéralisme a eu à
affronter a évolué au cours de l'histoire, l'aspect
défensif du programme libéral a lui aussi connu plusieurs
changements.
Ceci apparaît le
plus clairement en ce qui concerne sa position vis-à-vis de la
question de la liberté de circulation. Le libéral demande que
toute personne ait le droit de vivre où bon
lui semble. Il ne s'agit pas d'une demande
« négative ». C'est l'essence même d'une
société fondée sur la propriété
privée des moyens de production que de permettre à chaque homme
de travailler et de disposer de ses revenus où il l'estime
préférable. Ce principe ne prend un caractère
négatif que lorsqu'il s'oppose à des forces cherchant à
restreindre la liberté de circulation. Sous cet aspect négatif,
le droit à la liberté de circulation a, au cours du temps,
connu un changement total. Lorsque le libéralisme fit son apparition
aux XVIIIe et XIXe siècles, il dut combattre en faveur de la liberté
d'émigration. Aujourd'hui, la lutte est en faveur de la liberté
d'immigration. Autrefois, il s'opposait à des lois qui
empêchaient les habitants de la campagne de partir pour la ville et qui
menaçaient de punition sévère celui qui voulait quitter
son pays natal afin de mener une vie meilleure à l'étranger.
L'immigration était cependant relativement libre et sans entraves
à cette époque. Aujourd'hui, comme tout le monde le sait, les
choses sont assez différentes. La nouvelle tendance a commencé
il y a quelques décennies par des lois contre l'immigration des
coolies chinois. De nos jours, dans chaque pays du monde qui peut sembler
attirant pour les immigrants, des lois plus ou moins strictes empêchent
l'immigration, soit totalement soit en partie. Cette politique doit
être considérée de deux points de vue: tout d'abord comme
une politique syndicale, puis comme une politique de protectionnisme
national.
En dehors de mesures
coercitives comme l'acceptation des seuls travailleurs syndiqués, les
grèves obligatoires et les menaces violentes à l'encontre de
ceux qui souhaitent travailler, la seule manière par laquelle les
syndicats peuvent exercer une influence sur le marché du travail est
de restreindre l'offre de travail. Mais comme il n'est pas en leur pouvoir de
réduite le nombre des travailleurs vivant dans le monde, la seule
possibilité qu'il leur reste est de leur bloquer l'accès
à l'emploi, diminuant ainsi le nombre des travailleurs dans une
branche de l'industrie ou dans un pays, et ce aux dépens des
travailleurs employés dans les autres branches ou dans les autres
pays. Pour des raisons pratiques, il n'est possible que dans une mesure
limitée d'interdire l'entrée d'une branche industrielle
donnée aux autres travailleurs du pays. Au contraire, il n'y a aucune
difficulté particulière à imposer de telles restrictions
à l'entrée du travail étranger. Les conditions
naturelles de production et, de façon concomitante, la
productivité du travail sont plus favorables, et donc les salaires
plus élevés, aux États-Unis que dans de nombreuses
régions d'Europe. Sans barrières à l'immigration, les
travailleurs européens émigreraient en grand nombre aux
États-Unis pour y trouver du travail. Les lois américaines sur
l'immigration rendent cette tentative extrêmement difficile. Par
conséquent, les salaires des travailleurs des États-Unis
atteignent un niveau plus élevé qu'ils ne l'auraient fait avec
une liberté totale d'immigration, alors qu'ils restent sous ce niveau
en Europe. D'un côté le travailleur américain y gagne, de
l'autre le travailleur européen y perd.
Ce serait cependant
une erreur de ne considérer les conséquences des
barrières à l'immigration que sous l'angle de leur effet
immédiat sur les salaires. Ces conséquences vont plus loin. En
raison de l'offre relativement surabondante de travail dans les
régions connaissant des conditions de production comparativement moins
bonnes, et de la pénurie relative de travail dans les régions
où ces conditions sont relativement plus favorables, la production est
plus développée dans les premières et plus
réduite dans les secondes que ce ne serait le cas dans un
régime de liberté d'immigration. Par conséquent, les
effets des restrictions sont les mêmes qu'avec un tarif protecteur.
Dans une partie du monde on n'utilise pas les occasions relativement plus
favorables à la production, alors que dans une autre partie on
travaille dans des conditions relativement moins favorables.
Considéré du point de vue de l'humanité dans son ensemble,
le résultat est un abaissement de la productivité du travail
humain, une réduction de l'offre de biens à la disposition de
l'humanité.
Les tentatives de
justifier sur des bases économiques la politique de restriction de
l'immigration étaient donc dès le départ vouées
à l'échec. Il ne peut y avoir le moindre doute que les
barrières à l'immigration diminuent la productivité du
travail humain. Quand les syndicats des États-Unis et d'Australie
empêchent l'immigration, ils luttent non seulement contre les
intérêts des travailleurs des autres pays du monde mais aussi
contre les intérêts de tous les autres afin de s'assurer un
privilège particulier. De plus, on ne sait pas du tout si
l'accroissement de la productivité générale du travail
humain qui pourrait surgir de la liberté totale d'immigration, ne
serait pas suffisante pour compenser
entièrement les membres des syndicats américains et australiens
pour les pertes qu'ils auraient à subir de l'ouverture des
frontières aux travailleurs étrangers. Les travailleurs des
États-Unis et d'Australie ne pourraient réussir à
imposer de telles restrictions à l'immigration s'ils n'avaient aucun
autre argument sur lequel se rabattre pour soutenir leur politique.
Après tout, même aujourd'hui, le pouvoir de certaines
idées et de certains principes libéraux est suffisant pour
qu'on ne puisse les combattre sans égard pour des
considérations prétendument plus élevées et plus
importantes que l'obtention de la productivité maximale. Nous avons déjà
vu comment « l'intérêt national » est
utilisé pour justifier les tarifs protecteurs. Des
considérations analogues sont également invoquées en
faveur des restrictions à l'immigration.
En l'absence de toute
barrière à l'immigration, des hordes d'immigrants en provenance
des régions relativement surpeuplées d'Europe inonderaient
l'Australie et l'Amérique, nous dit-on. Ils viendraient en si grand
nombre qu'il ne serait plus possible de compter sur leur assimilation. Si,
par le passé, les immigrants ont rapidement adopté la langue
anglaise en Amérique, ainsi que les traditions et coutumes
américaines, c'était dû au fait qu'ils n'étaient
pas venus en si grand nombre du même coup. Les petits nombres
d'immigrants qui se sont dispersés dans un vaste pays se sont rapidement
intégrés au grand corps du peuple américain. L'immigrant
individuel était déjà à moitié
assimilé quand les immigrants suivants arrivaient sur le sol
américain. Une des raisons les plus importantes de cette assimilation
rapide à la nation fut que les immigrants des pays étrangers
n'étaient pas venus en trop grand nombre. Ceci, croit-on, changerait
et il existerait un réel danger que la suprématie – ou
plus exactement la domination exclusive – des Anglo-Saxons aux
États-Unis soit détruite. Ceci serait particulièrement
à craindre dans le cas d'une immigration massive de la part des
peuples mongols d'Asie.
Ces peurs sont
peut-être exagérées en ce qui concerne les
États-Unis. En ce qui concerne l'Australie, elles ne le sont
certainement pas. L'Australie possède à peu près le
même nombre d'habitants que l'Autriche, sa superficie étant
toutefois des centaines de fois plus grande et ses ressources naturelles
incomparablement plus riches. Si l'Australie s'ouvrait à
l'immigration, on peut supposer avec une grande probabilité que sa
population serait en quelques années constituée en
majorité de Japonais, de Chinois et de Malais.
L'aversion que la
plupart des gens ressentent envers les membres d'autres nationalités
et particulièrement envers les autres races est évidemment trop
forte pour espérer une issue pacifique à de tels antagonismes.
Il ne faut pas s'attendre à ce que les Australiens acceptent
volontairement l'immigration d'Européens de nationalité autre
qu'anglaise et il est totalement hors de question qu'ils permettent à
des Asiatiques de chercher du travail et une demeure sur leur continent. Des
Australiens d'origine anglaise insistent pour dire que le fait que ce soient
des Anglais qui aient les premiers établi des colonies dans ce pays,
leur a donné un droit spécial à la possession exclusive
de tout le continent pour tous les temps à venir. Les membres des
autres nationalités ne cherchent pas le moins du monde à
contester le droit des Australiens à occuper les territoires sur
lesquels ils se trouvent déjà en Australie. Ils estiment
seulement qu'il est injuste que les Australiens n'autorisent pas
l'utilisation des conditions les plus favorables à la production,
actuellement en jachère, et les forcent à continuer de produire
dans les conditions moins bonnes qui prévalent de leur propre pays.
Cette question est de
la plus haute importance pour l'avenir du monde. En fait, le destin de la
civilisation dépend d'une solution satisfaisante. D'un
côté se trouvent des centaines de millions d'Européens et
d'Asiatiques qui sont obligés de travailler dans des conditions de
production moins favorables qu'ils ne le pourraient sur les territoires qui
leur sont interdits. Ils demandent qu'on leur ouvre les portes du paradis
interdit afin qu'ils puissent augmenter la productivité de leur
travail et donc connaître un niveau de vie plus élevé. De
l'autre côté se trouvent ceux qui ont déjà la
chance de considérer comme leur les terres offrant les meilleures
conditions de production. Ils désirent – tant qu'il s'agit de
travailleurs et non de propriétaires de moyens de production –
ne pas abandonner les salaires élevés que cette situation leur
garantit. Toute la nation, cependant, est unanime pour craindre un flot
massif d'étrangers. Les habitants actuels de ces terres
favorisées craignent d'être réduit un jour à
l'état de minorité dans leur propre pays et de devoir subir
toutes les horreurs des persécutions nationales auxquelles, par
exemple, les Allemands sont de nos jours exposés en Tchécoslovaquie,
en Italie et en Pologne. On ne peut nier que ces craintes soient
justifiées. En raison de l'énorme pouvoir détenu par
ceux qui sont aujourd'hui à la tête de l'État, une
minorité nationale doit s'attendre au pire de la part de la
majorité, quand elle est d'une autre nationalité. Tant que
l'État possèdera les énormes pouvoirs qu'il
détient aujourd'hui et que l'opinion publique les considèrera
comme justifiés, l'idée de devoir vivre dans un État
dont le gouvernement serait aux mains des membres d'une nationalité
étrangère sera proprement terrifiante. Il est
épouvantable de vivre dans un État dans lequel on est
exposé à tout moment à la persécution –
prenant les apparences de la justice – de la part de la majorité
dominante. Il est horrible d'être handicapé, déjà
comme élève à l'école, en raison de sa
nationalité et d'avoir tort devant toute autorité judiciaire ou
administrative parce qu'on appartient à une minorité nationale.
Si l'on considère le conflit sous cet angle, il semble ne pas offrir
d'autre solution que la guerre. Dans ce cas, il faut s'attendre à ce
que la nation moins nombreuse soit vaincue et que, par exemple, les nations
d'Asie, qui comptent des centaines de millions d'individus,
réussissent à pousser la descendance de race blanche hors de
l'Australie. Nous ne voulons cependant pas nous permettre une telle
conjecture. Car il est certain que de telles guerres – et il nous faut
admettre qu'un problème mondial d'une telle portée ne pourra
pas être résolu une fois pour toute par une seule guerre –
conduiraient à la plus horrible catastrophe pour la civilisation.
Il est clair qu'il n'y
a pas de solution au problème de l'immigration si l'on adhère
à l'idéal de l'État interventionniste, qui s'occupe de
tous les domaines de l'activité humaine, ou à celui de
l'État socialiste. Seule l'adoption du programme libéral
pourrait permettre de faire disparaître complètement le
problème de l'immigration, qui semble aujourd'hui insoluble. Dans une
Australie dirigée suivant les principes libéraux, quelles difficultés
pourraient-elles surgir de ce que les Japonais soient majoritaires dans
certaines parties du continent et les Anglais dans d'autres?
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Article
originellement publié par le Québéquois
Libre ici
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