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1. Les
frontières de l'État
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Pour le libéral, il n'y a pas d'opposition entre politique
intérieure et politique étrangère, et la question
souvent posée et longuement débattue de savoir si les
considérations de politique étrangère devraient avoir
la priorité sur celles de politique étrangère, ou vice
versa, est à ses yeux sans intérêt. Le
libéralisme est en effet, dès le début, un concept
s'appliquant au monde entier. Il considère que les idées
qu'il cherche à mettre en oeuvre dans une
région limitée sont tout aussi valables pour la politique
mondiale. Si le libéral établit une distinction entre
politique intérieure et politique étrangère, il ne le
fait que pour des raisons de classification et par commodité, afin
de diviser le vaste champ des problèmes politiques en types
principaux, et non parce qu'il pense que des principes différents
vaudraient dans chaque domaine.
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L'objectif
de la politique intérieure du libéralisme est le même que
celui de sa politique étrangère: la paix. Il vise à
établir une coopération pacifique aussi bien entre les nations
qu'au sein d'une même nation. Le point de départ de la
pensée libérale consiste à reconnaître la valeur
et l'importance de la coopération humaine. La politique et le
programme du libéralisme sont entièrement établis pour
aider à maintenir l'état existant de coopération
mutuelle entre les membres de l'espèce humaine et pour la pousser
encore plus loin. L'idéal ultime qu'envisage le libéralisme est
une coopération parfaite de toute l'humanité, se
déroulant dans la paix et sans friction. La pensée
libérale a toujours en vue l'humanité dans son ensemble et non
uniquement dans ses parties.
Elle ne se
limite pas à certains groupes et ne s'arrête pas aux
frontières du village, de la province, de la nation ou du continent.
Sa pensée est cosmopolite et oecuménique:
elle embrasse tous les hommes et la terre entière. Le
libéralisme est, en ce sens, un humanisme et le libéral est un
citoyen du monde, un cosmopolite. Aujourd'hui,
alors que le monde est dominé par les idées
antilibérales, le cosmopolitisme est suspect aux yeux des masses. Il y
a en Allemagne des patriotes qui font de l'excès de zèle et ne
peuvent pardonner aux grand poètes allemands, en particulier Goethe,
d'avoir une pensée et des sentiments d'orientation cosmopolite et non
strictement nationale. Ils pensent qu'il existe un conflit
irréconciliable entre les intérêts de la nation et ceux
de l'humanité et que, par conséquent, ceux qui guident leurs
aspirations et leur comportement en vue du bien-être de toute
l'humanité négligent les intérêts de leur propre
nation. Aucune croyance ne peut être plus fausse. L'Allemand qui
travaille pour le bien de l'ensemble de l'humanité ne nuit pas plus
aux intérêts particuliers de ses compatriotes –
c'est-à-dire de ceux de ses semblables avec lesquels il partage une
terre et une langue communes et avec lesquels il forme également
souvent une communauté ethnique et spirituelle – que celui qui
travaille pour le bien de toute la nation allemande ne nuit aux
intérêts de sa propre ville. L'individu a en effet autant
intérêt à la prospérité du monde entier
qu'il en a à l'épanouissement et à la bonne santé
de la communauté locale dans laquelle il vit.
Les
nationalistes chauvins, qui prétendent qu'il existe des conflits
irréconciliables entre les diverses nations et qui cherchent à
faire adopter une politique visant à garantir, au besoin par la force,
la suprématie de leur propre nation sur toutes les autres, insistent
généralement sur la nécessité et l'utilité
d'une unité nationale interne. Plus ils soulignent la
nécessité d'une guerre contre les nations
étrangères, plus ils en appellent à la paix et à
la concorde au sein de leur propre nation. Sur ce point, le libéral ne
s'oppose nullement à cette demande d'unité nationale. Au
contraire!
La demande
de paix au sein de chaque nation est un postulat né de la
pensée libérale et qui ne prit de l'importance que lorsque les
idées libérales du XVIIIe siècle en vinrent à
être plus largement acceptées. Avant que la philosophie
libérale, avec ses louanges inconditionnelles de la paix, n'eût
pris l'ascendance dans les esprits, les menées guerrières ne se
cantonnaient pas aux conflits entre pays. Les nations elles-mêmes
étaient continuellement détruites par des guerres civiles et
par de sanglantes luttes internes. Au XVIIIe siècle, des Britanniques
se battaient encore contre d'autres Britanniques à Culloden,
et au XIXe siècle, en Allemagne, alors que la Prusse était en
guerre contre l'Autriche, d'autres États allemands prirent part au
conflit, et ce des deux côtés. À cette époque, la
Prusse ne voyait rien de mal à se battre aux côtés de l'Italie
contre l'Autriche allemande et, en 1870, seule la progression rapide des
événements empêcha l'Autriche de s'allier à la
France dans sa guerre contre la Prusse et ses alliés. La plupart des
victoires dont l'armée prussienne est si fière furent
remportées par des troupes prussiennes sur celles d'États
allemands. Ce fut le libéralisme qui enseigna le premier aux nations
à préserver la paix dans leurs affaires intérieures,
paix qu'il souhaitait aussi les voir entretenir avec les autres pays.
C'est à partir du fait de la division internationale du travail que le
libéralisme déduit son argument décisif,
irréfutable, contre la guerre. La division du travail a depuis
longtemps dépassé les frontières de chaque nation.
Aucune nation civilisée ne satisfait aujourd'hui ses besoins à
partir de sa propre production, aucune ne constitue une communauté
autosuffisante. Toutes les nations sont obligées d'obtenir des biens
de l'étranger et de les payer en exportant des produits nationaux.
Tout ce qui aurait pour effet d'empêcher ou d'arrêter les
échanges internationaux de biens créerait d'immenses dommages
à la civilisation humaine et saperait le bien-être, à
vrai dire la base même de l'existence, de millions et de millions de
gens. À une époque où les nations entretiennent des
relations de dépendance mutuelle vis-à-vis des produits en
provenance de l'étranger, les guerres ne peuvent plus être
entreprises. Comme tout arrêt des importations pourrait avoir un effet
décisif sur le résultat d'une guerre menée par une
nation impliquée dans la division internationale du travail, une
politique cherchant à prendre en considération la
possibilité d'une guerre doit entreprendre de rendre son
économie autosuffisante, c'est-à-dire doit, même en temps
de paix, chercher à faire que la division internationale du travail
s'arrête à ses propres frontières. Si l'Allemagne voulait
se retirer de la division internationale du travail et essayait de satisfaire
directement tous ses besoins par la production nationale, la production
annuelle totale du travail allemand diminuerait et avec lui le bien-être,
le niveau de vie et le niveau culturel du peuple allemand, et ce d'une
manière considérable.
2. Le
droit à l'autodétermination
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Nous avons déjà signalé qu'un pays ne peut
bénéficier de la paix intérieure que si une constitution
démocratique lui donne la garantie que le gouvernement peut s'ajuster
sans heurts à la volonté des citoyens. Il n'est besoin de rien
d'autre que l'application logique de ce même principe pour assurer
également la paix internationale.
Les libéraux
des anciens temps pensaient que les peuples du monde étaient
pacifiques par nature et que seuls les monarques souhaitaient la guerre afin
d'accroître leur pouvoir et leur richesse par la conquête de
nouvelles provinces. Ils pensaient, par conséquent, qu'il était
suffisant de remplacer la succession dynastique des princes par des
gouvernements dépendant du peuple pour assurer une paix durable. Si,
ensuite, les frontières existantes d'une république
démocratique, telles qu'elles ont pu être tracées par le
cours de l'histoire avant la transition vers le libéralisme, ne
correspondent plus aux souhaits politiques du peuple, il convient de les
modifier pacifiquement pour les mettre en adéquation avec les
résultats d'un plébiscite populaire. Il doit toujours
être possible de déplacer les frontières de l'État
si les habitants d'une région expriment clairement leur volonté
de se rattacher à un autre État. Aux XVIIe et XVIIIe
siècles, les Tsars russes incorporèrent à leur empire de
vastes régions dont la population n'avait jamais ressenti le
désir d'appartenir à l'État russe. Même si
l'Empire russe avait adopté une constitution entièrement
démocratique, les souhaits des habitants de ces territoires n'auraient
pas été satisfaits, pour la simple raison qu'ils ne
désiraient pas participer de quelque façon que ce soit à
une union politique avec les Russes. Leur demande démocratique
était: se libérer de l'Empire russe, former une Pologne, une
Finlande, une Lettonie, une Lituanie, etc., indépendantes. Le fait que
ces demandes et des demandes similaires de la part d'autres peuples (par
exemple les Italiens, les Allemands du Schleswig-Holstein, les Slaves de
l'Empire des Habsbourg) ne pouvaient être satisfaites que par le
recours aux armes fut la cause principale de toutes les guerres qui eurent
lieu en Europe depuis le Congrès de Vienne.
Le droit à
l'autodétermination en ce qui concerne la question de l'appartenance
à un État veut donc dire: si les habitants d'un territoire
donné, qu'il s'agisse d'un simple village, d'une région
entière ou d'une série de régions adjacentes, font
savoir, par un plébiscite librement organisé, qu'ils ne veulent
plus rester unis à l'État dont ils sont membres au moment de ce
choix, mais préfèrent former un État indépendant
ou se rattacher à un autre État, alors il faut respecter leurs
désirs et leur donner satisfaction. C'est la seule manière
efficace d'empêcher les révolutions ainsi que les guerres
civiles et internationales.
Appeler ce droit
à l'autodétermination « droit à l'autodétermination
des nations » constitue une erreur. Il ne s'agit pas du droit à
l'autodétermination d'une unité nationale définie, mais
du droit des habitants d'un territoire quelconque à décider de
l'État dont ils veulent être membres. L'erreur
d'interprétation est encore plus grave quand on veut dire par «
droit à l'autodétermination des nations » qu'un
État national a le droit de détacher, pour se les incorporer et
contre l'avis des habitants, des parties de la nation se situant sur le
territoire d'un autre État. C'est dans cette acception du droit
à l'autodétermination des nations que les fascistes italiens
cherchent à justifier leur demande de séparer de la Suisse le
canton du Tessin ainsi que certaines parties d'autres cantons afin de les
unir à l'Italie, alors que les habitants de ces cantons n'en n'ont nul
désir. Certains avocats du pangermanisme prennent une position
analogue en ce qui concerne la Suisse alémanique et les Pays-Bas.
Cependant, le droit
à l'autodétermination dont nous parlons n'est pas le droit
à l'autodétermination des nations, mais plutôt le droit
à l'autodétermination des habitants de tout territoire assez
grand pour pouvoir former une unité administrative
indépendante. S'il était possible de donner ce droit à
l'autodétermination à chaque individu, il faudrait le faire. Si
cela n'est pas praticable, c'est uniquement en raison de contraintes
techniques, qui rendent nécessaire le fait de diriger une
région en tant qu'unité administrative unique et qui obligent
à restreindre le droit à l'autodétermination à la
volonté de la majorité des habitants de régions assez
grandes pour pouvoir être considérées comme des
unités territoriales dans l'administration du pays.
Tant que le droit
à l'autodétermination fut appliqué et à chaque
fois qu'il aurait pu être appliqué, au XIXe et XXe
siècles, il a conduit ou aurait conduit à la formation
d'États constitués d'une seule nationalité
(c'est-à-dire d'individus parlant la même langue) et à la
disparition des États composés de plusieurs nationalités,
mais ceci uniquement comme conséquence du libre choix de ceux qui
avaient le droit de participer au plébiscite. La formation
d'États comprenant tous les membres d'un groupe national fut le
résultat de l'exercice de ce droit à l'autodétermination,
non son objectif. Si certains membres d'une nation se sentent plus heureux
d'être politiquement indépendants que d'appartenir à un
État constitué de tous les membres du même groupe
linguistique, on peut, bien entendu, essayer de modifier leurs idées
politiques par la persuasion, afin de les gagner à la cause du
principe des nationalités, qui veut que tous les membres d'un
même groupe linguistique devraient former un État
indépendant unique. Si, toutefois, on cherche à leur imposer
contre leur volonté un destin politique en en appelant à un
prétendu droit plus élevé de la nation, alors on viole
tout autant le droit à l'autodétermination qu'en pratiquant une
autre forme d'oppression. Une partition de la Suisse, la rattachant à
l'Allemagne, à la France et à l'Italie, même si elle
était faite conformément aux frontières linguistiques,
serait une aussi grande violation du droit à
l'autodétermination qu'une partition de la Pologne.
Suite
Article
originellement publié par le Québéquois
Libre ici
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