|
Depuis quelque jours
sont parus en France et ailleurs quelques articles remettant en cause la
propriété immobilière comme élément de
prospérité des sociétés. De fait, la crise est
passée par là. Dans certains pays, les USA bien sûr, mais
aussi la Grande Bretagne où l'Irlande, des propriétaires sont
étranglés par des dettes supérieures à la valeur
résiduelle de biens en chute libre. Pire, une propriété
difficile à vendre lorsque l'on est au chômage réduit la
mobilité géographique, et la propriété se trouve
accusée de favoriser le chômage. Le magazine américain
"Time" s'est permis d'écrire qu'être
propriétaire d'une maison n'était plus sensé d'un point
de vue économique.
J'ai même lu, en France, sans retrouver le lien, que "les
bulles immobilières s'étaient produites dans les pays à
fort taux de propriété, mais que l'Allemagne et la Suisse,
où ce taux est faible, ont été épargnées
par la crise". Je reviendrai sur ce cas flagrant de confusion entre
corrélation et causalité, non sans avoir fait remarquer que
l'immobilier dans les grandes villes de Suisse Romande semble
particulièrement coûteux, même comparé au revenu
médian fort élevé de nos voisins helvêtes.
En contrepartie, les vendeurs d'immobilier continuent de nous dire
qu'investir dans l'immobilier est toujours un bon placement, ce qui est plus
que discutable pour qui sait lire les courbes de Friggit.
Aucun de ces points de vue n'est recevable tel quel.
Acheter ou louer, deux façons de consommer du
logement
La propriété immobilière ne devrait jamais être
vue comme un investissement mais comme un moyen de consommer du logement,
concurrent d'un autre moyen, la location. L'achat a pour avantage de vous
permettre de transformer comme bon vous semble (dans les limites de
l'urbanisme réglementaire) le bien dans lequel vous habitez. Louer est
moins coûteux en terme de trésorerie
mais peut, sous certaines conditions, se révéler moins rentable
à long terme.
La décision d'acheter ou de louer devrait d'abord toujours être
vue comme un choix personnel, et un problème de calcul
économique à court, moyen et long terme, en fonction de votre
situation : êtes vous amené à
déménager souvent ? Ou au contraire voulez vous vous fixer dans
une région que vous aimez ? Quels sont vos moyens ? Et surtout,
à quels niveaux se situent les marchés à l'achat et
à la location ?
Le gros problème est que ces derniers temps, les termes du calcul sont
totalement faussés par l'état.
La bulle rend l'achat non rentable
Comme le note Randal O'Toole, économiste au Cato Institute, dans sa réponse à Time
Magazine, les considérations générales sur la
pertinence de la propriété oublient totalement qu'aux USA
existent deux types de marché, les marchés bullaires et non
bullaires.
Dans ces derniers, comme Atlanta, Dallas, Houston, sur lesquels je me suis
déjà abondamment étendu, la demande a
été bien plus importante que dans les marchés bullaires
(le crédit y était aussi fou qu'à Los Angeles ou Miami),
et malgré un quasi doublement de la population entre 1980 et nos
jours, les prix ont peu ou prou suivi la croissance des revenus des
ménages, à +/-10% près. La bulle immobilière n'a
pas été universelle !
Dans un tel marché, un propriétaire est à peu
près assuré, sauf crise exceptionnelle, de revendre sa maison
au prix où il l'a achetée, inflation ajustée, à
condition qu'il l'ait correctement entretenue : on n'a rien sans effort. En
contrepartie, il n'a aucune chance de réaliser une plus-value de type
spéculatif. Le coût de consommation du logement est donc
à peu près celui des intérêts versés au
banquier qui a financé le prêt, plus celui de l'entretien
courant de la maison et des taxes spécifiques à la
propriété.
Dans un tel cas, sous la double réserve de rester suffisamment
longtemps dans un logement et que les taux d'intérêts ayant
servi à le financer ne soient pas trop élevés, acheter
est rentable sur le long terme : les intérêts diminuent avec le
capital restant dû et les mensualités sont constantes, alors que
la location augmente avec l'inflation. L'entretien de la maison exigé
au locataire est certes mois coûteux en apparence, mais nul doute que
le propriétaire inclut ses coûts personnels dans le loyer demandé...
En contrepartie, dans un marché bullaire, si vous achetez en haut de
bulle, votre coût total de possession est gravement grevé par la
perte que vous devrez supporter en cas de revente au mauvais moment. Il est
alors clair que l'achat n'est pas rentable, même avec des taux
d'intérêts bancaires bas. Ceux qui s'en tiennent à des
raisonnements simplistes du type "au moins, vous ne jetez pas en l'air
l'argent des loyers" pour vous convaincre qu'il vaut mieux acheter
à tout prix sont soit des imbéciles, ou des agents immobiliers.
Faites joujou avec les calculettes
On trouve des calculettes en ligne permettant de comparer achat et location.
Je ne suis pas sûr qu'elles intègrent correctement tous les
paramètres (taxes, etc...) mais en tout
état de cause, il convient de faire le test pour forger son opinion.
Si vous jouez avec les calculettes, vous constaterez que votre plus ou moins
value dépend très fortement du rapport entre le loyer
demandé et le prix du logement d'une part, et des perspectives d'appréciation
ou de dépréciation du logement à échéance
d'autre part . Si le marché est
"bullaire", il y a de forte chances pour
que le ratio prix du logement/loyer annuel soit élevé.
En prenant pour hypothèses un ratio prix/loyer de 20, correspondant
à une rentabilité locative brute de 5%, un taux
d'intérêt d'emprunt fixe autour de 3.4/3.6% comme actuellement,
et des taxes foncières égales à environ une
mensualité de prêt, vous équilibrez à peu
près le bilan achat/location sur 10 ans. Au delà, l'achat prend
l'avantage. En dessous, la location est gagnante. Si la rentabilité
locative passe au dessus de 6% (cela ne s'est pas vu depuis... un bail !),
l'achat peut devenir franchement désirable.
Faisons évoluer quelques paramètres. Si les taxes
foncières étaient deux fois moins élevées pour
l'acheteur, l'achat serait rentable bien plus tôt. A contrario, si les
taxes foncières augmentent plus vite que l'inflation, ce qui est le
cas en ce moment, la rentabilité retourne du côté de la
location.
Enfin et surtout, dès que vous introduisez dans le système une
hypothèse non pas d'appréciation, mais de
dépréciation du bien, du fait de la prise en compte de
l'éclatement de la bulle immobilière, alors l'achat est presque
systématiquement perdant.
Bref, la concurrence entre location et achat n'est pas aussi favorable
à la propriété qu'on le dit souvent, et dépend de
nombreux facteurs.
Pondération
Mais la propriété a bien d'autres
avantages : avoir une maison nette de crédit en arrivant à la
retraite, dont on sait qu'elle correspond à une perte de revenus
parfois importante, est une sécurité qui peut valoir une
certaine perte de rentabilité. De même, si un gouvernement
s'amuse à faire tourner la planche à billets, il vaudra mieux
posséder quelques actifs tangibles... Enfin et surtout, vous pouvez
transformer votre maison selon vos désirs en abattant des cloisons,
modifiant les équipements... Une fois votre maison libre de
crédit, elle peut en outre servir de garantie à un prêt
hypothécaire - à utiliser avec précaution, comme la
crise le montre - visant, par exemple, à financer une entreprise.
Enfin, les maisons occupées par leurs propriétaires sont en
général mieux tenues que celles occupées par des
locataires, sauf toutefois lorsque la fiscalité locale tend à
taxer les signes extérieurs de richesse...
En revanche, si vous devez être mobile professionnellement, l'achat
peut se révéler désastreux. En cause, ici, deux facteurs
: le risque bullaire, déjà vu, et les frais et taxes
inhérentes à la mutation d'un bien immobilier : 6.92% de droits
de mutation dans l'ancien, plus des frais de transaction grandement
liés aux exigences croissantes de l'état : diagnostic
énergétique, géomètre carrez, amiante, etc... Il n'est pas rare de cumuler 12% de frais sur une
vente en passant par une agence ! Cumulés avec une bulle
immobilière, ces taxes peuvent transformer un achat en désastre
financier intégral.
Par contre, si ces frais étaient ramenés à une
proportion raisonnable (3 à 7% pour la somme des actes notariés
et de frais d'agence, comme dans la plupart des autres pays), le bilan de
l'achat serait nettement amélioré.
De même, le troc de logements, qui serait tellement facile avec
internet, se heurte-t-il aux mêmes difficultés fiscales.
Supprimer les droits de mutation et permettre aux propriétaires
mobiles de procéder à des échanges de logement de
gré à gré détaxés (ou au pire taxés
sur la différence de valeur entre les logements et non sur
l'intégralité du prix), réduirait fortement les freins
à la mobilité imputés faussement à la propriété
en elle même.
Non, la propriété n'a pas causé la bulle
Avant le déclenchement de la bulle à la fin des années
90, le taux de propriétaires aux USA était de 63%, ce qui se
situait peu ou prou dans la moyenne mondiale (En 2003 : Suisse 36%, Allemagne
42, France et Pays Bas 55, Suède 60, USA 66, luxembourg
70, UK 71, Belgique 75, Irlande 81, Espagne 85). Au plus haut de la
bulle, le taux est monté à 69%. Les différences entre
pays Européens s'expliquent largement par des différences
réglementaires et fiscales. Par exemple, en Suisse, les
propriétaires occupants libres de crédit doivent rajouter
à leur revenu imposable le "loyer équivalent" de leur
logement, ce qui rend l'occupation de sa propriété
extrêmement onéreuse. En Espagne, la persistence
d'un contrôle des loyers doublé d'abattements fiscaux
très importants pour l'accession à la propriété
rend inexistant le marché locatif et pousse les candidats aux logement à préférer coûte
que coûte la propriété.
On ne trouve aucune corrélation entre caractère bullaire des
marchés et taux de propriétaires aux USA. En 2007, le taux de
propriétaires occupants ausx USA
était par exemple de :
70 à 72 % en Arizona et en Floride (très bullaires)
66 à 69% au Texas, Kansas, Arkansas, Nebraska (états non
bullaires)
65% et 67% en Oregon et Washington-Seattle (assez bullaires)
63% au Nevada (très bullaire)
58% en Californie (bulle cosmique) et 56% dans l'état de New York
(bullaire près de la Grosse pomme, nettement moins près de la
frontière canadienne).
Dans ces conditions, prendre pour prétexte l'absence de bulle en
Allemagne et l'Hyper-bulle en Espagne pour incriminer le taux de
propriété comme facteur de crise relève de la faute
grave. Corrélation n'est pas causalité. Cela ne veut pas dire
que les facteurs qui affectent le taux de propriété ne puissent
pas être liés à ceux qui distordent les prix. Mais
l'exemple américain (et canadien, qui présente les mêmes
disparités) montre que la relation ne peut être directe.
Conclusion : que l'état ne se mêle pas de nos choix
personnels !
Il est indéniable que plus un marché est en cours
d'envolée bullaire, moins il est rentable d'acheter. Mais il est tout
aussi stupide d'incriminer le désir d'accès à la
propriété comme cause de la crise.
Je le répète pour la centième fois, pour qu'une bulle
immobilière se forme, il faut ET un crédit abondant et bon
marché, ET des lois foncières organisant la rareté. Des
économistes idéologiquement aussi divers que Glaeser, Krugman,
Cox, Evans, Barker, Fischel, Lecat, Bertaud,
et sans doute bien d'autres, ont abondamment démontré la
relation entre pratiques foncières malthusiennes et volatilité
des prix du logement. Ce n'est pas la propriété qui crée
la bulle, mais la violation du droit de propriété des
possédants fonciers par l'état, combinée à la
distorsion du crédit opéré de diverses façons
par ces mêmes états.
Entre location et propriété, tout est affaire de choix
personnel, et en aucune façon, l'état ne peut
décréter qu'une de ces deux formes de consommation d'habitat
doit être supérieure à l'autre. Chaque mode de
consommation a ses avantages et inconvénients, et il est tout aussi
stupide d'affirmer que "la propriété est un non sens",
ou au contraire que "la location jette l'argent par les
fenêtres". Aussi l'état ne devrait ni chercher à
"favoriser" l'accession à la propriété, ni la
contrarier.
D'ailleurs, lorsque l'état cherche à favoriser quoi que ce
soit, il tend à introduire systématiquement des effets pervers.
L'exemple de la crise immobilière américaine est typique de
cette loi des conséquences indésirables : en prétendant
favoriser l'accession à la propriété des ménages
américains, l'état a transformé cette
propriété en cauchemar financier pour un grand nombre d'entre
eux. Mais ce n'est pas la propriété qui est coupable. C'est
l'état.
|
|