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La propriété immobilière est elle une bonne chose ?

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Published : October 23rd, 2010
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Category : Editorials

 

Depuis quelque jours sont parus en France et ailleurs quelques articles remettant en cause la propriété immobilière comme élément de prospérité des sociétés. De fait, la crise est passée par là. Dans certains pays, les USA bien sûr, mais aussi la Grande Bretagne où l'Irlande, des propriétaires sont étranglés par des dettes supérieures à la valeur résiduelle de biens en chute libre. Pire, une propriété difficile à vendre lorsque l'on est au chômage réduit la mobilité géographique, et la propriété se trouve accusée de favoriser le chômage. Le magazine américain "Time" s'est permis d'écrire qu'être propriétaire d'une maison n'était plus sensé d'un point de vue économique.

J'ai même lu, en France, sans retrouver le lien, que "les bulles immobilières s'étaient produites dans les pays à fort taux de propriété, mais que l'Allemagne et la Suisse, où ce taux est faible, ont été épargnées par la crise". Je reviendrai sur ce cas flagrant de confusion entre corrélation et causalité, non sans avoir fait remarquer que l'immobilier dans les grandes villes de Suisse Romande semble particulièrement coûteux, même comparé au revenu médian fort élevé de nos voisins helvêtes.

En contrepartie, les vendeurs d'immobilier continuent de nous dire qu'investir dans l'immobilier est toujours un bon placement, ce qui est plus que discutable pour qui sait lire les courbes de Friggit.

Aucun de ces points de vue n'est recevable tel quel.

Acheter ou louer, deux façons de consommer du logement

La propriété immobilière ne devrait jamais être vue comme un investissement mais comme un moyen de consommer du logement, concurrent d'un autre moyen, la location. L'achat a pour avantage de vous permettre de transformer comme bon vous semble (dans les limites de l'urbanisme réglementaire) le bien dans lequel vous habitez. Louer est moins coûteux en terme de trésorerie mais peut, sous certaines conditions, se révéler moins rentable à long terme.

La décision d'acheter ou de louer devrait d'abord toujours être vue comme un choix personnel, et un problème de calcul économique à court, moyen et long terme, en fonction de votre situation : êtes vous amené à déménager souvent ? Ou au contraire voulez vous vous fixer dans une région que vous aimez ? Quels sont vos moyens ? Et surtout, à quels niveaux se situent les marchés à l'achat et à la location ?

Le gros problème est que ces derniers temps, les termes du calcul sont totalement faussés par l'état.

La bulle rend l'achat non rentable

Comme le note Randal O'Toole, économiste au Cato Institute, dans sa réponse à Time Magazine, les considérations générales sur la pertinence de la propriété oublient totalement qu'aux USA existent deux types de marché, les marchés bullaires et non bullaires.

Dans ces derniers, comme Atlanta, Dallas, Houston, sur lesquels je me suis déjà abondamment étendu, la demande a été bien plus importante que dans les marchés bullaires (le crédit y était aussi fou qu'à Los Angeles ou Miami), et malgré un quasi doublement de la population entre 1980 et nos jours, les prix ont peu ou prou suivi la croissance des revenus des ménages, à +/-10% près. La bulle immobilière n'a pas été universelle !

Dans un tel marché, un propriétaire est à peu près assuré, sauf crise exceptionnelle, de revendre sa maison au prix où il l'a achetée, inflation ajustée, à condition qu'il l'ait correctement entretenue : on n'a rien sans effort. En contrepartie, il n'a aucune chance de réaliser une plus-value de type spéculatif. Le coût de consommation du logement est donc à peu près celui des intérêts versés au banquier qui a financé le prêt, plus celui de l'entretien courant de la maison et des taxes spécifiques à la propriété.

Dans un tel cas, sous la double réserve de rester suffisamment longtemps dans un logement et que les taux d'intérêts ayant servi à le financer ne soient pas trop élevés, acheter est rentable sur le long terme : les intérêts diminuent avec le capital restant dû et les mensualités sont constantes, alors que la location augmente avec l'inflation. L'entretien de la maison exigé au locataire est certes mois coûteux en apparence, mais nul doute que le propriétaire inclut ses coûts personnels dans le loyer demandé...

En contrepartie, dans un marché bullaire, si vous achetez en haut de bulle, votre coût total de possession est gravement grevé par la perte que vous devrez supporter en cas de revente au mauvais moment. Il est alors clair que l'achat n'est pas rentable, même avec des taux d'intérêts bancaires bas. Ceux qui s'en tiennent à des raisonnements simplistes du type "au moins, vous ne jetez pas en l'air l'argent des loyers" pour vous convaincre qu'il vaut mieux acheter à tout prix sont soit des imbéciles, ou des agents immobiliers.

Faites joujou avec les calculettes

On trouve des calculettes en ligne permettant de comparer achat et location. Je ne suis pas sûr qu'elles intègrent correctement tous les paramètres (taxes, etc...) mais en tout état de cause, il convient de faire le test pour forger son opinion.

Si vous jouez avec les calculettes, vous constaterez que votre plus ou moins value dépend très fortement du rapport entre le loyer demandé et le prix du logement d'une part, et des perspectives d'appréciation ou de dépréciation du logement à échéance d'autre part . Si le marché est "bullaire", il y a de forte chances pour que le ratio prix du logement/loyer annuel soit élevé.

En prenant pour hypothèses un ratio prix/loyer de 20, correspondant à une rentabilité locative brute de 5%, un taux d'intérêt d'emprunt fixe autour de 3.4/3.6% comme actuellement, et des taxes foncières égales à environ une mensualité de prêt, vous équilibrez à peu près le bilan achat/location sur 10 ans. Au delà, l'achat prend l'avantage. En dessous, la location est gagnante. Si la rentabilité locative passe au dessus de 6% (cela ne s'est pas vu depuis... un bail !), l'achat peut devenir franchement désirable.

Faisons évoluer quelques paramètres. Si les taxes foncières étaient deux fois moins élevées pour l'acheteur, l'achat serait rentable bien plus tôt. A contrario, si les taxes foncières augmentent plus vite que l'inflation, ce qui est le cas en ce moment, la rentabilité retourne du côté de la location.

Enfin et surtout, dès que vous introduisez dans le système une hypothèse non pas d'appréciation, mais de dépréciation du bien, du fait de la prise en compte de l'éclatement de la bulle immobilière, alors l'achat est presque systématiquement perdant.

Bref, la concurrence entre location et achat n'est pas aussi favorable à la propriété qu'on le dit souvent, et dépend de nombreux facteurs.

Pondération

Mais la propriété a bien d'autres avantages : avoir une maison nette de crédit en arrivant à la retraite, dont on sait qu'elle correspond à une perte de revenus parfois importante, est une sécurité qui peut valoir une certaine perte de rentabilité. De même, si un gouvernement s'amuse à faire tourner la planche à billets, il vaudra mieux posséder quelques actifs tangibles... Enfin et surtout, vous pouvez transformer votre maison selon vos désirs en abattant des cloisons, modifiant les équipements... Une fois votre maison libre de crédit, elle peut en outre servir de garantie à un prêt hypothécaire - à utiliser avec précaution, comme la crise le montre - visant, par exemple, à financer une entreprise. Enfin, les maisons occupées par leurs propriétaires sont en général mieux tenues que celles occupées par des locataires, sauf toutefois lorsque la fiscalité locale tend à taxer les signes extérieurs de richesse...

En revanche, si vous devez être mobile professionnellement, l'achat peut se révéler désastreux. En cause, ici, deux facteurs : le risque bullaire, déjà vu, et les frais et taxes inhérentes à la mutation d'un bien immobilier : 6.92% de droits de mutation dans l'ancien, plus des frais de transaction grandement liés aux exigences croissantes de l'état : diagnostic énergétique, géomètre carrez, amiante, etc... Il n'est pas rare de cumuler 12% de frais sur une vente en passant par une agence ! Cumulés avec une bulle immobilière, ces taxes peuvent transformer un achat en désastre financier intégral.

Par contre, si ces frais étaient ramenés à une proportion raisonnable (3 à 7% pour la somme des actes notariés et de frais d'agence, comme dans la plupart des autres pays), le bilan de l'achat serait nettement amélioré.

De même, le troc de logements, qui serait tellement facile avec internet, se heurte-t-il aux mêmes difficultés fiscales. Supprimer les droits de mutation et permettre aux propriétaires mobiles de procéder à des échanges de logement de gré à gré détaxés (ou au pire taxés sur la différence de valeur entre les logements et non sur l'intégralité du prix), réduirait fortement les freins à la mobilité imputés faussement à la propriété en elle même.

Non, la propriété n'a pas causé la bulle

Avant le déclenchement de la bulle à la fin des années 90, le taux de propriétaires aux USA était de 63%, ce qui se situait peu ou prou dans la moyenne mondiale (En 2003 : Suisse 36%, Allemagne 42, France et Pays Bas 55, Suède 60, USA 66, luxembourg 70, UK 71, Belgique 75, Irlande 81, Espagne 85). Au plus haut de la bulle, le taux est monté à 69%. Les différences entre pays Européens s'expliquent largement par des différences réglementaires et fiscales. Par exemple, en Suisse, les propriétaires occupants libres de crédit doivent rajouter à leur revenu imposable le "loyer équivalent" de leur logement, ce qui rend l'occupation de sa propriété extrêmement onéreuse. En Espagne, la persistence d'un contrôle des loyers doublé d'abattements fiscaux très importants pour l'accession à la propriété rend inexistant le marché locatif et pousse les candidats aux logement à préférer coûte que coûte la propriété.

On ne trouve aucune corrélation entre caractère bullaire des marchés et taux de propriétaires aux USA. En 2007, le taux de propriétaires occupants ausx USA était par exemple de :

70 à 72 % en Arizona et en Floride (très bullaires)
66 à 69% au Texas, Kansas, Arkansas, Nebraska (états non bullaires)
65% et 67% en Oregon et Washington-Seattle (assez bullaires)
63% au Nevada (très bullaire)
58% en Californie (bulle cosmique) et 56% dans l'état de New York (bullaire près de la Grosse pomme, nettement moins près de la frontière canadienne).

Dans ces conditions, prendre pour prétexte l'absence de bulle en Allemagne et l'Hyper-bulle en Espagne pour incriminer le taux de propriété comme facteur de crise relève de la faute grave. Corrélation n'est pas causalité. Cela ne veut pas dire que les facteurs qui affectent le taux de propriété ne puissent pas être liés à ceux qui distordent les prix. Mais l'exemple américain (et canadien, qui présente les mêmes disparités) montre que la relation ne peut être directe.

Conclusion : que l'état ne se mêle pas de nos choix personnels !

Il est indéniable que plus un marché est en cours d'envolée bullaire, moins il est rentable d'acheter. Mais il est tout aussi stupide d'incriminer le désir d'accès à la propriété comme cause de la crise.

Je le répète pour la centième fois, pour qu'une bulle immobilière se forme, il faut ET un crédit abondant et bon marché, ET des lois foncières organisant la rareté. Des économistes idéologiquement aussi divers que Glaeser, Krugman, Cox, Evans, Barker, Fischel, Lecat, Bertaud, et sans doute bien d'autres, ont abondamment démontré la relation entre pratiques foncières malthusiennes et volatilité des prix du logement. Ce n'est pas la propriété qui crée la bulle, mais la violation du droit de propriété des possédants fonciers par l'état, combinée à la distorsion du crédit opéré de diverses façons par ces mêmes états.

Entre location et propriété, tout est affaire de choix personnel, et en aucune façon, l'état ne peut décréter qu'une de ces deux formes de consommation d'habitat doit être supérieure à l'autre. Chaque mode de consommation a ses avantages et inconvénients, et il est tout aussi stupide d'affirmer que "la propriété est un non sens", ou au contraire que "la location jette l'argent par les fenêtres". Aussi l'état ne devrait ni chercher à "favoriser" l'accession à la propriété, ni la contrarier.

D'ailleurs, lorsque l'état cherche à favoriser quoi que ce soit, il tend à introduire systématiquement des effets pervers. L'exemple de la crise immobilière américaine est typique de cette loi des conséquences indésirables : en prétendant favoriser l'accession à la propriété des ménages américains, l'état a transformé cette propriété en cauchemar financier pour un grand nombre d'entre eux. Mais ce n'est pas la propriété qui est coupable. C'est l'état.
 

 

 


 

Vincent Bénard


 

  Article originellement publié sur abcbourse.com

 

 

 

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Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org).
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