Pour redonner aux Français confiance dans leurs dirigeants suite
aux révélations sur l’affaire Cahuzac,
le gouvernement s’est engagé dans une opération
transparence en annonçant la publication des déclarations de
patrimoine de ses membres. Un grand déballage qui, nous l’avons
vu, ne contribue en rien à « moraliser » la vie
politique.
Pourquoi la transparence ?
Le choix de la
transparence est pourtant loin d’être absurde. Au vrai, du point
de vue de nos dirigeants, elle est même très avantageuse,
puisqu’elle modifie les critères d’évaluation de
l’action politique, faisant primer l’honnêteté
présumée sur l’efficacité des mesures
adoptées. Le grand déballage devient une course à la
popularité : les participants récupèrent en points
de pourcentages ce qu’ils y perdent en vie privée.
Prudence
toutefois ! Car en jouant à fond le jeu de la transparence, la classe
politique aggraverait la perversion du lien social par les relations de type
créancier-débiteur. En tout état de cause,
l’exigence de transparence est motivée moins par le souci de la
chose publique que par le besoin de demander des comptes et, dans certains
cas, de désigner des coupables.
En effet,
indemnité de fonction oblige, il est tentant pour le
citoyen-contribuable de considérer l’élu comme son
obligé, a fortiori quand le pays est en crise et que l’on
souhaite compenser le sentiment d’impuissance suscité par
l’incertitude de l’avenir. Choisir la transparence
aujourd’hui, c’est légitimer un mécanisme
potentiellement destructeur pour la société.
Une revendication légitime, mais
pervertie
Mais
gardons-nous de trop accabler le pouvoir socialiste! Jean-François
Copé a beau jeu de s’indigner, lui qui, en 2011,
réclamait des contreparties au versement du Revenu de
solidarité active (RSA). Une proposition en apparence frappée
au coin du bon sens, mais qui en vérité consacrait, non moins
que l’opération transparence du gouvernement actuel, la relation
créancier-débiteur évoquée plus haut.
Comme je
l’expliquais dans un article
précédent, la contrepartie exigée alors (entre 5 et
7 heures de service social par semaine rémunérées au
SMIC) était de toute évidence destinée non pas à
compenser les aides versées, mais à préserver cette
« culture
du travail » dont Nicolas Sarkozy avait fait son thème
de campagne en 2007. À travers ce projet, le gouvernement UMP
confortait le citoyen-contribuable dans l’idée qu’il
pouvait exiger quelque chose du chômeur assisté, au motif que
l’un paie des impôts et que l’autre reçoit des
aides. Naturellement, il est hors de question pour les chômeurs
assistés de contester un dispositif censé ne mécontenter
que les parasites.
Dans un cas
comme dans l’autre, une revendication légitime est
détournée de sa finalité. Le contrôle du
gouverné sur le gouvernant pourrait traduire le souci légitime
de surveiller l’utilisation de l’argent public afin de
prévenir fraudes, gabegies et autres dépenses hasardeuses. Or
l’opération transparence du gouvernement est utilisée
pour compenser le sentiment d’impuissance des Français en leur
livrant des informations jusque-là confidentielles. Des informations
dont la publication séduit le « Peuple » mais
n’empêchera pas de nouvelles « affaires » Cahuzac.
Dans le cas du
RSA, la lutte contre l’aléa moral pourrait résulter
d’une remise en cause de la politique sociale de l’État,
qui fait du chômage volontaire un optimum pour certaines personnes. Or,
en pratique, le projet de contrepartie au RSA n’aboutit
qu’à faire des uns les patrons des autres grâce aux heures
de « service social ». Des heures de travail qui
flattent l’amour-propre du contribuable mais ne règlent en rien
le problème du chômage et de l’assistanat.
Autant dire que
l’ancien ministre UMP Bruno Lemaire se trompe quand il reproche
à François Hollande de créer une
« République du soupçon ». Car le
soupçon imprégnait déjà la société
française. Il est pour ainsi dire inévitable dès lors
que la justice redistributive – qui fonde
l’État-providence – prend le pas sur la justice
commutative, qui repose sur l’échange. Tôt ou tard en
effet, ceux dont on utilise les richesses réclament le droit
d’obtenir quelque chose en échange.
En cela,
l’opération transparence de nos hommes politiques ne rompt pas
avec les habitudes des Français, bien au contraire : elle braque
le projecteur sur les effets secondaires du dogme redistributif,
qui sacrifie la vie privée au bien commun. Reste à en tirer les
bons enseignements.
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