Voici l’un de mes prospectus favoris distribués par Die Weiße Rose. J’aime
particulièrement cette observation : « les intellectuels allemands
se sont réfugiés dans leur cave où, tels des plantes plongées dans le noir,
loin de toute source de lumière et de soleil, ils étouffent peu à peu jusqu’à
leur dernier souffle ».
Et nous ne pouvons pas leur en vouloir, puisque dès le
tout début, les Nazis ont pour soutenir leurs propos employé de violents
bandits de rue vêtus de chemises brunes. Tant d’hommes, parmi les plus
fortunés et les plus éduqués du pays, se sont jetés dans les bras des
puissants tels des hypocrites et des prostituées.
Mais même si nous condamnons, à juste titre, l’échec de
ceux dont l’obligation était de faire entendre leur voix, combien de fois une
situation similaire s’est-elle présentée dans notre monde
d’aujourd’hui ?
Quand l’économie avançait indéniablement vers une crise
financière en 2008, combien d’économistes ont ignoré les bulles et préféré
garder le nez dans les statistiques – un comportement que j’appelle cécité
volontaire. Combien d’avocats ont été témoins d’erreurs judiciaires sans pour
autant avoir dit quoi que ce soit ? Combien de ceux qui ont été bénis
par les circonstances se sont assis pour attribuer leur bonne fortune à leur
supériorité naturelle en tant que nouveaux übermensch?
Il n’est pas sans danger d’en voir trop, et plus dangereux
encore de se prononcer à l’encontre des actions des puissants qui contrôlent
l’enrichissement et les avantages de la classe privilégiée.
Est-il plus judicieux de se plonger jusqu'au cou dans des
statistiques et d’ignorer la réalité pour se reposer plutôt sur une cécité
volontaire face aux données et aux idéologies que sur ce qui se passe
vraiment ?
Il est plus facile de dire « je ne savais rien de
tout ça », ou encore « qui aurait pu voir un tel diable
s’approcher ? ».
Et puis de recommencer.
La
Rose Blanche
Deuxième prospectus
Munich, 1942
Nous ne nous tairons pas.
Il est impossible de s’engager dans un discours
intellectuel avec la philosophie Nazie, puisque si une telle entité existait,
il faudrait par moyen d’analyse et de discussion prouver sa validité ou la
réfuter. Nous faisons en réalité face à une situation bien différente.
Les origines de ce mouvement dépendaient de la trahison
d’un prochain. Même au début, la corruption lui était inhérente, et il ne
pouvait se défendre que par des mensonges constants. Après tout, Hitler
mentionne dans la première édition de « son » livre (un livre écrit
dans le pire allemand que j’aie jamais lu, bien qu’il ait été élevé au rang
de la Bible dans sa nation de poètes et de penseurs) : « N’est-il
pas incroyable qu’il soit nécessaire de tromper un peuple pour pouvoir le
gouverner ? ».
Si cette
excroissance cancéreuse n’était au départ que très peu identifiable au sein
de la nation, ce n’est que parce qu’il existait encore suffisamment de forces
au service du bien pour garder la tumeur sous contrôle. A mesure qu’elle
s’est élargie et que l’une de ses métastases a atteint les échelons du
pouvoir, le cancer est parvenu à infecter le corps de la société tout entier.
Une grande majorité de ses
opposants de longue date a pris la fuite. Les intellectuels allemands ont
cherché refuge dans leur cave où, tels des plantes plongées dans le noir,
loin de toute source de lumière et de soleil, ils étouffent peu à peu jusqu’à
leur dernier souffle.
Mais aujourd’hui, la fin est
proche. Il est temps de nous unir de nouveau, de répandre l’information d’une
bouche à l’autre, et de ne nous autoriser aucun répit jusqu’à ce que le
dernier de tous les Hommes soit persuadé du besoin urgent de sa participation
à la lutte contre ce système. Et lorsqu’une vague d’émeutes se propagera au
travers des terres, quand un vent de révolution sera dans l’air, quand
beaucoup joindront sa cause, alors dans un dernier effort, ce système pourra
être anéanti.
Après tout, une fin dans la
terreur est préférable à une terreur sans fin.
Nous ne sommes pas en mesure
de prononcer un jugement définitif quant au sens de notre Histoire. Mais si
cette catastrophe peut être utilisée pour améliorer le bien public, ce ne
sera que par vertu du fait que nous nous serons purifiés par la souffrance,
que nous aurons cherché la lumière au plus profond des ténèbres, que nous
aurons joint nos forces pour enfin nous débarrasser du joug qui pèse sur
notre monde.
Je ne souhaite pas ici
discuter de la question des Juifs, et je ne cherche pas ici à établir une
défense ou une apologie. Ce n’est qu’en tant qu’exemple que j’aimerais
mentionner le fait que depuis la conquête de la Pologne, trois-cent-mille
Juifs ont été assassinés dans ce pays de la manière la plus bestiale qui
soit.
Il s’agit là du crime le plus
atroce jamais commis contre la dignité humaine, un crime qui n’a pas de
précédent dans l’Histoire de l’humanité. Les Juifs sont aussi des êtres
humains – peu importe quelle opinion tout un chacun est susceptible de se
faire de la question juive – et un affreux crime a été commis contre des
êtres humains.
Certains peuvent penser que
les Juifs ont mérité ce qui leur est arrivé. Être d’accord avec de tels
propos ne représente rien de moins qu’une impertinence monstrueuse, mais
imaginons que ce soit l’avis de l’un d’entre nous – quel rôle aura-t-il alors
joué dans le fait que la jeunesse aristocrate polonaise se soit retrouvée
annihilée ?
Tous les nobles mâles âgés de
quinze à vingt ans ont été transportés vers des camps de concentration en
Allemagne et condamnés au travail forcé. Toutes les filles du même âge ont
été envoyées en Norvège pour peupler les bordels des SS !
Mais pourquoi vous dis-je tout
cela, puisque vous le savez déjà – ou avez conscience d’autres crimes tout aussi
horrifiants commis par cette sous-humanité effrayée ? Parce que je
touche ici un problème qui nous implique profondément et nous force tous à
réfléchir.
Pourquoi tant d’Allemands se
sont-ils comportés avec tant d’apathie face à ces abominables crimes, ces
crimes si indignes de la race humaine ? Personne ne pense jamais à ce
genre de choses.
C’est un fait que nous nous
contentons d’accepter puis d’oublier. Le peuple allemand se morfond dans son
sommeil sans rêves et encourage ces criminels fascistes, il leur offre
l’opportunité de mener à bien leurs déprédations.
Est-ce une preuve que le
peuple allemand a été brutalisé jusque dans ses sentiments humains les plus
simples, que rien en son sein n’est plus capable de pleurer face à de telles
atrocités, qu’il a sombré dans une inconscience fatale de laquelle il ne se
réveillera jamais ?
Il semblerait que ce puisse
être le cas si les Allemands ne se décident pas bientôt à sortir de leur stupeur,
s’ils ne se soulèvent pas face à cette clique de criminels, s’ils ne
ressentent aucune sympathie pour ces centaines de milliers de victimes. Le
peuple allemand doit faire preuve non pas de sympathie mais, plus encore,
d’un sens de culpabilité complice.
Par son apathie, il donne à
ces hommes diaboliques l’opportunité d’agir comme ils le font. Il tolère ce
« gouvernement » qui porte sur ses épaules une telle culpabilité
que le peuple est lui-même à blâmer pour ce qui a pu arriver…