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La rue ou les urnes : la farce tragique du "dialogue" social

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Chroniques en liberté
Published : April 27th, 2015
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Il ne se passe pas un jour sans qu'une corporation en colère bloque la rue et qu'un ministre annonce qu'il soumettra toujours son projet de loi aux partenaires sociaux.

 

 Naïvement, je croyais que, dans une république digne de ce nom, les lois étaient soumises aux représentants du peuple (nos députés) non aux syndicalistes, ce qui est la marque des "démocraties" populaires des anciens pays de l'Est. L’économie traverse sans nul doute la crise la plus grave qu’elle ait connu depuis bien longtemps. Pendant ce temps, la gauche persiste dans son délire moralisateur et interventionniste tandis que la droite change pour la n-ième fois de nom sans revoir une once de son programme.

On hérite encore de la gauche la plus archaïque d'Europe et de la droite la plus stupide du monde. Inutile de s'interroger donc sur les causes de la montée irrépressible du Front National. Pour ma part, j’ai dû mal à adhérer à cette notion de « crise du capitalisme » car il ne saurait y avoir d’économie en dehors du capitalisme.

 

Si le capitalisme devait disparaître, il emporterait avec lui l’économie elle-même et sans économie, pas de civilisation humaine. Il y a bien une crise économique mais elle vient pour l’essentiel d’une crise morale plus profonde qui nous a fait perdre le sens des réalités. Pour reprendre les analyses de Schumpeter qui a proposé une théorie de l’évolution économique, nous vivons une phase de mutation, de « destruction créatrice », dans laquelle les nouvelles formes de développement économique sont en train de prendre forme. L’économiste Kondratieff a été envoyé dans les camps de travail soviétiques pour avoir proposé la première théorie des cycles longs, défiant du même coup l’idéologie officielle selon laquelle le capitalisme était condamné à sombrer dans une crise finale [1]. Pour Kondratieff, tel le phénix qui renaît de ses cendres, le capitalisme se nourrit des crises.

 

Plus exactement, l’économie est fondamentalement animée par un processus dynamique qui la conduit à des mutations qui nourrissent son développement incessant. Dans cette optique, l’analyse seulement quantitative en termes de croissance et de crise est trop réductrice. Depuis, on nous parle de crise depuis que je suis adolescent or, par définition, une crise ne saurait durer plus de trente ans. Mais pourquoi la gauche n’est-elle donc pas capable de profiter de ces périodes de crise qui engendrent une réelle détresse sociale ? Permettez-moi d’apporter ici deux tentatives d’explications. Premièrement, la gauche semble plutôt profiter des périodes de croissance. En effet, sauf à persister dans une démarche révolutionnaire suicidaire, la gauche qui ambitionne de gouverner s’appuie sur un programme qui peut se résumer sur un unique principe directeur : la redistribution des richesses. Mais pour redistribuer des richesses, encore faut-il en produire.

 

En période de crise, c’est la capacité à produire des richesses qui est remise en question, la redistribution risquant d’accroître les problèmes économiques plutôt que de les résoudre. Les gens qui vivent dans le monde réel en sont plus ou moins conscients, et c’est pourquoi ils se détournent à la fois des partis de gauche et des syndicats, comme l’a révélé le fort taux d’abstention aux dernières élections prud’homales. Deuxièmement, il y a sans doute une raison plus profonde. La gauche part du principe qu’il faut « changer le monde », qu’il faut proposer « autre chose » en trouvant une alternative à l’économie de marché. En son temps, Mitterrand a réalisé le tour de force de souder le PS, puis ensuite le PS et PC, en proposant carrément de « changer la vie ». La réalité économique est cependant un fait incontournable, voulu par personne mais sans cesse actualisé par chacun de nous, car l’économie émerge des interactions complexes issues de nos choix individuels. Aucun plan préalable n’a été nécessaire pour que fonctionne l’économie. A l’inverse, tous les plans qui prétendent enfermer l’économie dans des formats artificiels et rigides ont brisé l’économie, les crises résultant souvent d’erreur de réglementations ou de politiques économiques erronées ou dépassées. Mais changer le monde pour proposer quoi, dans quelle direction, selon quel principe miracle ? Et là, il y a quasiment autant de réponses qu’il y aura de militants. Mais ont-ils de vraies réponses ?

 

Ces militants animeront des courants innombrables dans une multiplicité de partis concurrents. Les Verts, le PS, le PCF, le NPA, tous ces partis tiennent finalement le même discours fondé sur le rejet de la réalité économique : il faut changer l’économie. La seule chose qui les unit, c’est d’être contre ce qui existe ! Tous les leaders de la gauche nous proposent donc de donner au monde un visage humain, mais ils se gardent bien de nous dire qu’ils verraient bien leur propre visage en guise de modèle. Comment changer l’économie qui fait tourner le monde dans lequel nous vivons ? Personne n’a la même réponse de sorte qu’il est structurellement impossible aux hommes et femmes politiques de gauche de travailler ensemble. C’est la raison pour laquelle les pays qui ont voulu sortir de l’économie de marché ont dû le faire de manière autoritaire, en se donnant des régimes dictatoriaux. Tous les pays qui rejettent l’économie de marché sont des dictatures. C’est aussi pourquoi les partis de gauche ont dû mal avec l’idée de concurrence voire avec le principe même des élections, des primaires, de multiplicité de candidats ; et les épisodes tragicomiques d’élections truquées au PS sont révélateurs d’une pratique inhérente aux partis qui restent imbibés par cet esprit révolutionnaire : au sein de mon parti, j’ai perdu aux élections alors je remets en cause le principe même des élections ; dans le cadre des élections nationales, mon parti perd les élections alors j’organise d’incessants « troisième tour sociaux » pour bloquer le pays et empêcher un gouvernement légitimement élu d’appliquer son programme. Tant que la gauche sera inspirée par ces pratiques contestataires, elle loupera l’occasion de se reconstruire. Faut-il néanmoins se réjouir de cette situation ?

 

Non car malgré ce désastre, la droite aux affaires ne parvient jamais à gouverner, se trouvant dans la nécessité de reporter la moindre de ses réformes devant la fronde de la rue [2]. Quand le pouvoir est dans la rue, c’est que la démocratie a déserté la cité. C’est à croire que les français préfèrent la révolution à la réforme puisqu’en bloquant systématiquement toute possibilité d’évolution en douceur de ses institutions – notamment l’intouchable éducation nationale – ils installent les conditions de la faillite.

 

Notre pays, qui ne manque pas une occasion de donner des leçons de démocratie au monde entier, n’est jamais parvenu à vivre complètement ce pacte démocratique. De fait, le gouvernement ne peut pas gouverner en appliquant le programme sur lequel il s’est fait élire tandis que l’opposition n’est pas en état d’offrir une alternative crédible. [1] Nikolai Kondratieff (1892-1938) est mort fusillé au goulag où il a été déporté à la fin d’un procès initié par Staline dans le cadre de l’épuration idéologique. [2] A nouveau, le ministre de l’éducation reporte sa réforme devant les blocages par crainte de l’amplification des mouvements lycéens. Mais les lycéens n’ont pas l’intention de s’arrêter. Depuis quelques années, et justement parce que les différents ministres ont toujours reculé devant la pression de la rue, les mouvements de lycéens sont devenus un rituel programmé de plus en plus violent, instrumentalisé par des syndicats qui ont l’art de manipuler la désinformation à outrance et relayé par des médias bien complaisants. Pendant que notre système éducatif produit des graines de contestataires dont les probabilités d’insertion professionnelle sont grandement compromises, notre économie se trouve dans l’obligation « d’importer » les cerveaux qui lui font défaut.

 

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Docteur en sciences économiques de l'université de la Méditerranée et Maître de conférences – HDR - à l'IAE de l'université de Perpignan. Médaille du Bibliographical Institute of Cambridge (London, 2012), il est spécialiste de croissance économique ainsi que chercheur en tourisme international et consultant pour l’Organisation Mondiale du Tourisme (Nations-Unies). Il signe des chroniques économiques dans la presse nationale (Les Echos, Le Monde, le Figaro, Economie-Matin) et internationale (l’AGEFI le quotidien suisse des finances, le Boston de Providence aux USA, le Québécois Libre à Montréal). Il anime enfin, depuis plus de 15 ans, un blog à vocation pédagogique, Chroniques en liberté, à l'attention de ses étudiants et du grand public. Ouvrages [1] Les défis économiques de l'information, la numérisation, L'Harmattan, Paris 1996. [2] L’innovation dans l’industrie du tourisme - Enjeux et stratégies. En co-écriture avec B. Solonandrasana, L’Harmattan, Paris, 2001 [3] L’épopée de l’innovation – Innovation technologique et évolution économique, L’Harmattan, Paris, 2005. [4] L’innovation dans l’industrie du tourisme. Enjeux et stratégie, avec B. Solonandrasana, L’Harmattan, Paris 2006. [5] Fondements d’économie du tourisme. Acteurs, marchés, stratégies. De Boeck Université, Bruxelles 2007. [6] Le modèle français dans l’impasse, Tatamis Editions, Paris 2013. [7] Histoire thématique et contemporaine des faits économiques, Ellipses, Paris 2015. [8] Analyse de la finance internationale : le grand naufrage, en co-écriture avec Faouzzi Souissi (Trader),The Book Edition, Paris 2019.
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"De fait, le gouvernement ne peut pas gouverner en appliquant le programme sur lequel il s’est fait élire "

Dans un système électif à deux tours, on ne vote pas "pour" mais "contre". Pas par adhésion à un homme ou un programme, mais pour éliminer " le pire des deux" aux yeux de l'électeur.
Fatalement celui qui se fait introniser ne jouit pas de l'adhésion populaire, pas même les premiers mois.
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"De fait, le gouvernement ne peut pas gouverner en appliquant le programme sur lequel il s’est fait élire " Dans un système électif à deux tours, on ne vote pas "pour" mais "contre". Pas par adhésion à un homme ou un programme, mais pour éliminer " le p  Read more
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