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La stratégie du bricolage

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Published : October 23rd, 2010
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Les trois piliers de la stratégie européenne de gestion de la crise se précisent. Ils ont pour nom austérité, discipline budgétaire et régulation financière. L’avantage est qu’ils vont finir par pouvoir être revendiqués, l’inconvénient est qu’ils présentent dès à présent des défauts de construction.


On n’a pas fini de gloser sur le compromis franco-allemand de Deauville. Non seulement en raison des multiples réactions qu’il suscite, étant ressenti comme un fait accompli par Bruxelles, le Parlement européen et de nombreux autres pays de l’Union européenne. Ainsi qu’une capitulation par les partisans de sanctions « automatiques » en cas de non respect par un pays des ratios de dette et d’endettement. Mais aussi en raison de ses grandes imprécisions. Rappelant de ce point de vue les discussions qui ont précédé la mise sur pied sur fonds de stabilité européen (EFSF).


Tonnant du haut de son magistère et outrepassant les termes de son mandat, Jean-Claude Trichet a signifié son désaccord avec une formule préconisant des sanctions prises à la majorité qualifiée des états membres de la zone euro. Y voyant le reniement de la stricte discipline budgétaire dont il s’est toujours fait l’apôtre. Le deuxième volet d’une politique dont la cohérence – et la limite tout à la fois – repose sur le sauvetage prioritaire des banques, quitte à donner un coup de pouce aux pays qui pourraient en causer la chute en sombrant dans la crise.


Un autre chapitre ayant moins retenu l’attention du compromis de Deauville dessine en creux une vision de l’avenir de l’Europe. Il s’agit de la suite qui pourrait être donnée à l’EFSF, dont la durée de vie est de trois ans. Les contours d’une sorte de Fonds monétaire européen se précisent, qui aurait comme mission moins de soutenir des États – une fois entrés dans la zone des tempêtes – que de leur permettre de faire défaut sur leur dette, voire de quitter la zone euro.


On reconnaît la ligne défendue par les autorités allemandes, qui, si elle était adoptée une fois clarifiée, représenterait un tournant à 180 degrés par rapport à la politique actuellement mise en œuvre. Il ne s’agirait plus de défendre coûte que coûte des pays en train de sombrer mais de les abandonner. Les termes du compromis de Deauville préfigureraient de ce point de vue un grand tournant, et moins une victoire de Nicolas Sarkozy et une défaite d’Angela Merkel, trop vite annoncée.


Reconfiguration en germe de la zone euro autour de l’Allemagne et souplesse budgétaire accordée à la France, on discerne en creux du dispositif proposé les intentions sous-tendues. Il ne reste qu’à les réaliser.


Quant au deuxième pilier, le plan d’austérité que vient de dévoiler le gouvernement britannique présente en avant-première le modèle à suivre en Europe. La presse est remplie de la description des « coups de hache » qu’il assène au budget de l’Etat. Les commentaires y voient, dans les colonnes de droite, la naissance d’une nouvelle Grande-Bretagne, et dans celles de gauche la « remise à zéro historique de l’Etat-providence » (The Guardian). Pour les uns « l’Etat replie ses tentacules » (Telegraph), pour les autres le pays s’inscrit dans un cadre qui va être généralisé aux pays développés, consistant à « essayer de faire plus avec moins » (The Independent).


Certes, ce modèle connaîtra selon les pays et leurs traditions des déclinaisons, mais il s’imposera comme conséquence à court terme des plans d’austérité qui sont peu à peu dévoilés et qui commenceront en 2011 à produire leurs effets conjoints. Mettant en cause à des degrés divers les programmes sociaux et accélérant les disparités de revenu, de traitement et de vie. Les pays européens seront davantage à deux vitesses et l’Europe risque de ne pas éviter une nouvelle récession.


Ce sera particulièrement le cas au sein de l’Union européenne. L’Irlande représente à titre un autre modèle, plus particulièrement destiné aux derniers de la classe. Des estimations des nouvelles économies qui vont devoir être réalisées, afin de tenir compte de la baisse des recettes fiscales de l’Etat, ont été publiées dans la presse irlandaise. Elles s’inscrivent dans une fourchette entre 10 et 15 milliards d’euros, soit le double de ce qui avait été déjà pris en compte dans le précédent projet de budget pour l’hypothèse haute.


Une cinquième version du budget de l’Etat est en préparation, encore plus draconienne que les précédentes, alors que l’éclatement de la bulle immobilière est loin d’avoir produit tous ses effets (comme en Espagne), et que d’importantes nouvelles dépréciations des actifs parqués dans la bad bank financée sur fonds publics sont inévitables.


En Irlande comme en Grèce – en attendant que le même scénario se précise au Portugal et en Espagne – le pari qui est tenu est à terme impossible. En Grèce, de nouvelles restrictions budgétaires ont déjà été réclamées par Bruxelles, tandis que l’idée de rallonger le calendrier de remboursement des prêts de l’Union européenne et du FMI faisait long feu, accentuant un effet tenaille. Un plan « B » est nécessaire pour ces pays, ce qui nous renvoie aux termes du compromis de Deauville. De son côté, le FMI est en embuscade, sachant qu’il sera indispensable de faire appel à lui lorsqu’il faudra le financer.


Le dernier pilier de la stratégie européenne en gestation a pour nom la régulation financière. Sous les auspices de la Commission et la supervision du Parlement européen, il s’ébauche petit à petit un ensemble de mesures qui feront pendant à celles que les multiples régulateurs américains sont en train d’apporter à la loi Dodd-Frank et aux dispositions prises par le Comité de Bâle, ainsi que par le Conseil de stabilité financière (dont l’acronyme anglais est FSB). Il y a foule, si l’on y ajoute les régulateurs européens nationaux, qui ont également leur mot à dire.


Autant s’interroger, dès maintenant, sur la cohérence finale de la régulation financière. L’objectif est par ailleurs de définir des règles communes applicables dans un monde resté très hétérogène, le cas des règles comptables est là pour le démontrer. Mais, avant d’aborder cette dernière ligne droite, les régulateurs affrontent un problème dont ils ne connaissent pas la solution, tout en demandant des délais. Ce qui n’est pas pour déplaire aux mégabanques qui gagnent ainsi du temps.


Il s’agit, non plus de renforcer les banques prises une par une, mais de solidifier l’ensemble. En d’autres termes de s’attaquer enfin au risque systémique grâce à des mesures de surveillance étroite des banques et des ratios de fonds propres plus élevés. C’est ce que propose le FSB, sans être en mesure d’entrer dans les détails, et pour cause. Nous y reviendrons pour nous en tenir dans l’immédiat à la vision européenne qui se dégage à ce propos.


Michel Barnier, le Commissaire en charge à Bruxelles, s’efforce de promouvoir un plan dont l’idée de base est de prendre les devants et d’imposer des mesures préventives aux banques, en cas de détection de danger. Ce qui témoigne d’un certain optimisme sur la capacité à le faire. Ainsi que de disposer d’une « boîte à outils », afin de faire respecter le principe « pollueur-payeur » (pour ne pas impliquer des finances publiques), allant jusqu’à les démanteler en s’appuyant sur un « testament » le prévoyant.


Mais ce plan nécessitera des financements, alors que le produit des taxes sur les établissements bancaires allemandes et britanniques – si elles devaient être généralisées en Europe – ne répondra pas à l’ampleur présumée des besoins. La créativité financière n’a pas réponse à tout. Supprimer l’aléa moral, comme entend le faire Michel Barnier, a un coût. Qui va le supporter ?


Autre grand volet de la régulation (avant le gros morceaux des produits dérivés), celui des hedge funds, ces fers de lance de la shadow economy. Les ministres des finances de l’Union européenne sont finalement parvenus hier mercredi à un accord entre eux, à l’unanimité a-t-il été même précisé. Celui-ci est malheureusement à ce stade aussi opaque que ce qu’il prétend réglementer. Le compromis qui a été trouvé après des mois d’intenses discussions, sous la forte pression des Américains qui ne voulaient pas se voir interdire le marché européen, et des Britanniques qui souhaitaient en garder le contrôle, est en réalité une reculade déguisée et inavouable. Les conditions de délivrance aux hedge funds du « passeport européen » sont imprécises et leur obtention pourra bénéficier d’une grande tolérance.


Si l’on résume, des trois piliers qui sont dressés, celui de la régulation ne tiendra pas la charge et celui de la discipline budgétaire est trop flexible. Reste celui de l’austérité, qui est le plus renforcé mais va devoir résister aux épreuves qui l’attendent. Il ne faut pas chercher celui de la relance, qui a été abandonné corps et âme. Comment tout cela va-t-il bien pouvoir tenir debout ?


Cette stratégie sera-t-elle tenable  ? Résultant d’une série d’improvisations, elle va en appeler d’autres. Nos stratèges à courtes vues se défendent à reculons.




Billet invité : François Leclerc


 


Paul Jorion

pauljorion.com



(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.



Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).


 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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