« Une monnaie de qualité se caractérise par son aptitude à
remplir au quotidien, de façon fiable et sans dysfonctionnements majeurs, son
rôle de moyen de paiement et d'instrument de réserve. Elle est largement
acceptée et sa valeur est stable. Une monnaie de qualité contribue dans une
grande mesure à la paix sociale et à la prospérité. Elle constitue par
conséquent un pilier central de notre société. Il appartient à la politique
monétaire de veiller au maintien de la qualité de la monnaie. Partant, la
Banque nationale concentre son activité sur ce mandat. » Thomas
Jordan, président de l’administration de la BNS, le 23 novembre 2014,
juste avant le référendum sur l’or du 30 novembre 2014.
Je m’attendais à ce qu’un "Oui" au référendum sur l’or
en Suisse (nov. 2014) crée un tsunami sur les marchés de l’or et
des devises, mais je ne m’attendais pas au tsunami créé par le désarrimage (à
l’euro) du franc suisse (jan. 2015), surtout après les
garanties données par la Banque nationale suisse (BNS) durant la
campagne référendaire. Si le "Non" au référendum n’a
pas été surprenant, le désarrimage du franc suisse, seulement un mois plus
tard, l’a été. Comment expliquer un tel revirement, aussi peu de temps après
la campagne contre l’or de la BNS ? Rappelons-nous que, durant la
campagne référendaire, la BNS et son président ont fortement défendu
l’arrimage à l’euro et promis qu’il continuerait. Je m’attendais à ce que le
référendum secoue les banques centrales et le marché de l’or, mais
seulement s’il passait, et cela n'a pas été le cas. Cependant, les
conséquences de l’initiative, j’en suis certain, ont aidé à préparer la
« grande surprise » qui allait venir de la BNS, à peine un mois et
demi plus tard. L'engouement pour l’initiative a fait peur à l’industrie
bancaire et à la BNS et, même si l’initiative a été rejetée, je crois qu’elle
a atteint, d’une certaine manière, la banque centrale. C’était un message
envoyé par la population.
Le désarrimage était-il vraiment si inattendu, ou la surprise est-elle
venue du moment choisi ? Des analystes ont répété à plusieurs reprises
que l’arrimage à l’euro n’était pas soutenable et que sa fin n’était qu’une
question de temps. Mais encore, selon Minyanville,
« Le cours EUR/CHF a baissé d’environ 16% aujourd’hui (15 jan.
2015). Pour mettre les choses en perspective, selon la période historique, il
s’agit d’un écart-type d’au moins 35. En termes de probabilité d’un tel
événement, un écart-type de 25 arrive une fois tous les 100,000 ans. » Qu’est-ce
qui a poussé la BNS a changer d’idée en si peu de temps et à surprendre les
marchés des devises ? Personnellement, je ne trouve pas d’argument valable,
mais seulement des excuses. Selon moi, cela ne fait que prouver que les
dirigeants des banques centrales n’ont aucune idée de ce qu’ils font.
Certains l’admettent même, en privé, et d’autres y font allusion publiquement
avec des phrases comme « Nous sommes en territoire inconnu » et
« Nous apprenons sur le tas ». Souvenons-nous qu’avant de devenir
président de la BNS, Thomas Jordan avait écrit un essai en 1999 intitulé
« Pourquoi la Suisse ne devrait jamais arrimer le franc à l’euro »,
et il a fait le contraire une fois à la tête de la BNS, et puis,
surprise, il a retourné sa veste et causé un choc sur les marchés
mondiaux des devises. En plus de cela, ce geste a déclenché une réaction
en chaîne de dévaluations et de baisses de taux d’intérêt à travers le monde.
Pouvons-nous dire "guerre des devises" ? Je le crois. Si les
Suisses n’ont pas ébranlé les banques centrales mondiales avec
l’initiative sur l’or, ils l’ont certainement fait avec le désarrimage du
franc suisse.
Les Suisses nous réservent-ils d'autres surprises ? Je pense que oui.
On voit déjà que le gouvernement suisse est mécontent à l'égard de la Banque
centrale suisse et exige d'avantage de coopération entre le gouvernement
et les dirigeants de la BNS. Si M. Jordan a changer d'avis sur l’arrimage à
l’euro, il peut définitivement le faire à propos de l’or… s’il
ne démissionne pas avant (ou n’est pas licencié).
Longtemps avant le référendum d’avril 2014, j’ai écrit un article,
"Le rôle
de la Suisse dans le marché de l'or", dans lequel je soulignais
l’importance de l'or dans l’économie suisse et, donc, combien les
Suisses s’y connaissaient en or. Qu’il s’agisse des raffineurs dans le
canton de Ticino, des transactions d’or des banques centrales à la BIS,
à Bâle, du transport international d’or, des coffres à Zurich et à Genève, ou
de la joaillerie, aussi à Genève, les Suisses dominent toujours le marché
mondial de l’or. Par contre, ces dernières années, l’industrie bancaire
suisse et la BNS se sont américanisées et, donc, sont excessivement anti
or. Cela a été évident lors des débats télévisés qui ont eu lieu durant la
campagne référendaire. Dans les années ’60, les banquiers suisses suggéraient
d’allouer 10% de son portefeuille à l'or.
Comme je l'ai dit dans un article plus récent, où je faisais une revue du
référendum suisse sur l’or, "L’or et la
Suisse après le référendum", ce n'est pas la fin de
l’histoire : il y aura d’autres initiatives populaires en faveur de
l’or. Qu’est-ce qui fait que les Suisses sont si attirés par l’or ? Les
Suisses ont toujours eu une préférence pour les gouvernements restreints,
stables et efficaces ainsi que pour une devise stable et, souvent, par
référendum, ils refusent des initiatives gouvernementales coûteuses et des
dépenses qu’ils voient comme du gaspillage. La monnaie saine est le pilier
central de la société suisse. C’est pourquoi les gens et les gouvernements étrangers
aiment placer leurs actifs en Suisse, ce qui a pour effet de faire grimper le
franc suisse. Déjà, dans les années ’70, lors de la crise du dollar qui força
le président Nixon à mettre fin à la convertibilité du dollar en or, une ruée
vers le franc suisse força le gouvernement à introduire une taxe sur les
dépôts bancaires en francs suisses des étrangers. À cette époque, le franc
suisse était adossé à l’or, en accord la constitution qui
exigeait d'avoir 40% des réserves du pays en or. La Suisse est encore
cinquième parmi les vingt plus grands détenteurs officiels (excluant le FMI)
de réserves d’or, avec ses 1,040 tonnes. Cependant, pour pouvoir maintenir
l’arrimage à l’euro, la BNS a dû acheter d’énormes quantités de devises
étrangères (surtout des euros), ce qui a fait baisser, en pourcentage, la
portion en or des réserves étrangères à seulement 7,7%.
Réserves d’or de la Suisse
Selon Ferdinand Lips, dans son fameux livre Gold Wars, « En 1968, les Suisses s’étaient
approprié environ 80% du marché mondial de l’or physique ». Depuis
la fin des années ’90, sous la pression des États-Unis et du FMI, la tendance
s’est inversée.
Réserves mondiales d’or – les 20 plus grands détenteurs (en tonnes)
Réserves mondiales d’or – les 20 plus grands détenteurs (en pourcentage)
La BNS a menti aux Suisses au sujet de l’arrimage à l’euro durant la
campagne référendaire, de la même façon que le président des
États-Unis Franklin D. Roosevelt a menti au sujet de l’or arrimé à $20,
lorsqu’il a confisqué l’or des américains en 1933. S’ils ont surpris le
monde financier une fois, ils peuvent le refaire. Mais cette fois, cela
pourrait être en faveur de l’or. Il est maintenant démontré que l’impression
monétaire massive n’a pas aidé l’économie mondiale, qu’elle l’a à
peine gardée en vie et a repoussé à plus tard l’inévitable. Étant donné
l’approche conservatrice des Suisses envers la monnaie, je ne serai pas
surpris qu’il y ait un changement soudain d’attitude des citoyens, du
gouvernement et de la banque centrale envers l’or. L’affinité avec le marché
de l’or est déjà ancrée profondément dans la tradition suisse. Il n'y
aurait même pas besoin d'un référendum si la Banque nationale
suisse changeait d'attitude; elle ressent certainement la pression
politique et de l’opinion publique.
Dans son plus récent CPM Gold Yearbook 2015, CPM Group indique
que plus d’or entre en Suisse qu’il n’en sort. Il font justement
remarquer que la plupart des analystes se concentrent sur l’or envoyé
vers la Chine et l’Inde, tout en ignorant l’augmentation étonnante des
avoirs en or de la Suisse. La Suisse est un endroit majeur
d’entreposage et de transaction d’or depuis des siècles, et elle continue de
l’être. Cette semaine, le Thomson Reuters’Gold Survey 2015 a
dédie un paragraphe aux importations/exportations d’or de la Suisse. Les
périodes de grandes augmentations des importations d’or en Suisse (voir
le graphique ci-dessous) correspondent aux périodes de crise monétaire, comme
en 1973 (effondrement des accords de Bretton Woods) et en 2008 (crise
financière mondiale). Et, comme le marché de l’or est très opaque, il est
très difficile de savoir ou même d’estimer la quantité d’or qui reste en
Suisse, surtout sous forme physique, qui se retrouve dans des
entrepôts de sociétés suisses ou dans des coffres privés. Et, aussi, de
plus en plus de gens évitent de déposer de l’or dans le système bancaire.
Importations/exportations d’or en Suisse
En conclusion, la Suisse ne devrait pas être ignorée au moment
d'analyser le marché de l’or. Comme nous l’avons vu, même si la Suisse est un
très petit pays, elle joue un rôle majeur dans les marchés de l’or et des
devises étrangères, et elle peut avoir un impact important… ce que certains
appellent un « cygne noir » (black swan). Depuis l'introduction des
taux d’intérêt négatifs en Suisse, de plus en plus de gens, mais aussi des
fonds de retraite, cherchent (très discrètement, pour l’heure) à déposer leur
cash et leur or dans des coffres hors du système bancaire afin
d’économiser les frais. Un manager de fonds de retraite a estimé, récemment,
avoir sauvé 25,000 francs sur un dépôt de 10,000,000 francs.
Je m’attends à un nouvel événement surprise, cette année, que cela vienne
de la Suisse, de la Chine ou des deux, qui ébranlera et affectera le marché
de l’or.
Prix de l'once d'or en francs suisses
Prix de l'or en francs suisses depuis l'introduction du cours plancher
EUR/CHF jusqu'à la fin du plancher
Prix de l'or en francs suisses à la fin du plancher