|
Au cœur
des nombreuses questions environnementales discutées dans les billets
précédents (1,
2,
3,
4,
5)
se trouve la théorie des biens communs. Les biens environnementaux (l’air,
les océans, les fleuves, etc.) sont habituellement
considérés comme des biens communs, dans la mesure où certaines
de leurs caractéristiques semblent les distinguer des biens de
consommation (maisons, voitures, ordinateurs, nourriture, vêtements,
etc.). Ainsi, dans le cas des biens environnementaux dits communs qui sont épuisables
ou dégradables, on ne saurait aisément restreindre leur accès
et en exclure certains consommateurs, contrairement aux biens de consommation.
En outre, selon
les défenseurs de l’idée des biens communs, même s’il
était techniquement possible d’interdire l’accès
des consommateurs à certaines ressources naturelles (comme dans le cas
des forêts, des montagnes, des sous-sols ou des sources d’eau), on
ne devrait pas pour autant le faire car ces mêmes biens
environnementaux seraient essentiels à la survie de chacun
d’entre nous, ce qui devrait justifier la garantie d’un
égal accès. Nous voici donc devant un dilemme environnemental fondamental :
comment préserver des ressources épuisables et
dégradables, sachant que l’on ne peut (ou que l’on ne
devrait pas) restreindre l’accès des consommateurs à
ces ressources?
Ce paradoxe a
été relevé par Garrett Hardin dans un article
publié en 1968 par la revue Science
(n°162, pp.1243-1248), où
il indique que la compétition pour consommer des ressources
épuisables ou dégradables conduit à leur surexploitation
et, finalement, à leur épuisement ou destruction. Chaque
individu ayant un accès illimité à une ressource
naturelle, est incité à en tirer le plus de
bénéfice possible, le plus rapidement possible. Si chacun
agissait selon ses aspirations, la ressource commune en question serait donc rapidement
épuisée.
Plus
récemment, Elinor Ostrom
– lauréate du prix du Nobel d’économie en 2009 –
a insisté sur le fait que la tragédie des biens communs
révélée par Hardin n’est pas due au fait que les
biens soient détenus en commun, mais au fait qu’il soit possible
de les consommer librement. Elle a ainsi exposé l’idée
selon laquelle la solution à la tragédie des biens communs (et
implicitement au paradoxe environnemental décrit plus haut), serait de
restreindre la liberté d’accès aux ressources rares. Dans
son ouvrage le plus connu, Governing the commons (publié aux éditions du
Cambridge University Press
en 1990) elle a étudié différents types de normes
sociales et de rouages institutionnels limitant l’accès aux biens
communs au niveau des petites communautés.
Dans le
sillage de ces réflexions, il devient possible de mieux comprendre que
la libre consommation des ressources environnementales n’est pas soutenable
à long terme, et qu’il faut envisager de rationnaliser à
l’échelle planétaire l’accès aux ressources
naturelles (par exemple, l’air) qui restent en général
des sujets tabous ou, au mieux, font l’objet de décisions
politiques arbitraires (comme le protocole de Kyoto).
Les prochains
billets se pencheront sur cette question et s’attacheront à montrer
que même dans le cas de la vie sauvage, de l’air ou encore des
ressources halieutiques, un accès restreint est possible et
rationaliserait mieux la consommation de ces biens rares et essentiels à
notre survie. Quant aux critères à utiliser pour envisager
cette rationalisation, nous montrerons que la propriété
privée (individuelle ou collective) et les échanges volontaires
sont des critères à la fois moralement acceptables et efficaces
sur le long terme.
|
|