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L'une des lois de
l'économie la plus universellement vérifiée, et la moins
comprise des politiciens, est la loi des conséquences inattendues, le
terme devant ici être compris comme "non anticipées",
"law of unintended consequences", qui postule que toute
action sur un système complexe entraîne toujours des effets
secondaires non anticipés par celui qui entreprend l'action, effets
qui souvent tendent à contrecarrer, voire réduire à
néant ses résultats escomptés. Et le moins que l'on
puisse dire est que cette loi se manifeste empiriquement de façon
omniprésente dans le champ de l'interventionnisme public sur
l'économie.
Exemple : conséquences inattendues des lois urbaines
Mes lecteurs réguliers sont familiers des manifestations de cette loi,
que l'immense économiste Frédéric Bastiat a sans doute
le mieux décrite dans sa métaphore intitulée "ce
qu'on voit et ce qu'on ne voit pas". Ainsi, exemple parmi des
centaines, les promoteurs des lois anti-étalement urbain,
censées limiter l'extension périphérique des grandes
métropoles, n'avaient pas anticipé que ces lois provoqueraient
un grand effet de rareté, et donc de hausse des prix, dans ces villes
centrales et leurs banlieues proches, forçant les ménages
à rechercher du foncier accessible dans des villages
éloignés : au lieu de restreindre l'étalement
urbain, ces lois l'ont déplacé à la
périphérie des petites et moyennes cités rurales.
De même, ces lois de zonage, en provoquant une hausse artificielle des
prix pendant les années bulle, ont provoqué un transfert de richesse des acheteurs de logement vers
les vendeurs
de plusieurs dizaines de milliards d'Euros (environ 45 milliards en France en
2006, selon mes calculs), transfert non justifié par la valeur de long
terme des biens vendus. Les acheteurs constituant un groupe globalement moins
fortuné que celui des vendeurs, du fait de la présence de
nombreux primo-accédants, ce transfert peut être qualifié
d'anti-social, dans l'acception la plus "à gauche" du terme.
Il est à noter que le législateur tend à ne pas tenir
compte des enseignements du passé et, malgré les
conséquences avérées de ses décisions
antérieures, il peut ne pas hésiter à persister dans la
même voie : les lois dites du "Grenelle de l'Environnement" vont renforcer
les biais décrits ci dessus.
Au delà de l'urbanisme, mon ouvrage sur le logement, "crise publique, remèdes privés", est une
anthologie de la loi des conséquences inattendues : un blocage des loyers justifié
politiquement par une guerre mais jamais aboli par la suite a entrainé
une pénurie de logement et une dégénérescence du
parc, conduisant, 40 ans après, l'état à nationaliser la
politique de l'urbanisme et du logement social... Le fonctionnement des organismes
de logement social, combiné à de nombreuses erreurs de la
politique d'immigration, a conduit à créer aujourd'hui des
centaines de ghettos de non droit gangrénés par la
délinquance et l'activisme intégriste religieux, qui
créent autant de situations potentiellement explosives... Et personne
ne sait encore quelles seront les "conséquences inattendues"
futures de cet empilement de bêtises historiques dont il semble bien
que nous soyons définitivement prisonniers.
Exemple : la crise financière, une gigantesque
conséquence inattendue
Autre exemple particulièrement significatif, toute la crise
financière que nous vivons est le produit dérivé (le
terme est à la mode) de dizaines de législations, certaines
votées depuis plus de cinquante années, dont la combinaison a
encouragé la formation d'une bulle de crédit totalement
insoutenable car non remboursable : Créations d'organismes de
titrisations de créances sous parapluie public, obligations pour ces
organismes de racheter une masse croissante de créances de faible
qualité, débasement du dollar de son ancrage à l'or,
vote de lois obligeant les banques affaiblir leurs critères
prudentiels d'acceptation de prêts, impositions de standards de gestion
bancaire incitant les banques à préférer garnir leurs
bilans de produits opaques au niveau de risque mal estimé, lois
d'usage des sols favorisant l'émergence de bulles foncières...
Si vous me lisez depuis quelques temps, vous connaissez tout cela par coeur,
sinon, je vous invite à découvrir mon recueil
d'articles sur la crise et ses suites.
Ce dernier exemple illustre de façon parfaite l'aspect cumulatif du
désordre législatif : les conséquences inattendues
ne sont pas uniquement liées à une loi par elle même,
mais aussi à la combinaison d'une loi votée aujourd'hui avec
une loi qui sera votée demain sans que l'autre ne soit abrogée,
phénomène que j'ai baptisé "incohérence déstabilisatrice".
Exemple récent : les primes à la casse
L'actualité américaine nous fournit un autre
"superbe" (sauf pour ceux qui en seront victimes) exemple de
manifestation de la loi : le programme de primes à la casse
"Cash For Clunkers", dont j'ai déjà abordé les
coûts réels il y a près d'un an, non seulement, se
révèle avoir constitué un pur effet d'aubaine (7
mois après la fin du programme, les ventes d'automobiles neuves
cumulées sur 12 mois ne sont pas différentes d'une année
normale) d'après une étude récente, mais en plus,
la dernière livraison de statistiques sur l'inflation
américaine nous montre qu'il a provoqué une hausse de 15,5% sur 12 mois des
véhicules d'occasion (alors que la hausse n'a été que de
2% pour les voitures neuves), alors que l'indice global sur 12 mois est
de 1,1% !
Or qui achète les véhicules d'occasion les plus anciens mais
encore capable de rouler ? Les plus pauvres et les jeunes faiblement
fortunés ou qualifiés, qui accèdent ainsi à la
mobilité tellement indispensable pour retrouver un emploi. La
politique "Cash for clunkers" va donc considérablement
renchérir le coût du déplacement pour ces
catégories, lesquelles, comme par hasard, sont les plus touchées
par la hausse brutale du chômage et ont donc cruellement besoin de
mobilité pour pouvoir s'en sortir. C'est une constante de l'action
politique : les effets secondaires indésirables touchent en
priorité les populations les plus faibles, quand bien même les
bénéfices supposés de l'action sont censés leur
revenir.
L'analyse de Merton
Le sociologue Robert K. Merton (à ne pas
confondre avec l'économiste charlatan nobélisé Robert C. Merton, l'homme qui a
provoqué la faillite de LTCM...) a publié pour la
première fois en 1936 une analyse des causes profondes de la loi des
conséquences inattendues, "The Unanticipated Consequences
of Social Action". Il isole 5 facteurs
clé :
- L' ignorance :
certains effets secondaires se manifestent pour la première fois,
où la mémoire de ses manifestations
précédentes n'a pas été conservée.
Cette cause isolée par Merton me parait réellement mineure
dans l'action politique. Ce que l'on appelle "ignorance", chez
le politicien et ses courtisans experts, est le plus souvent volontaire.
Les
quatre causes suivantes me paraissent autrement plus
intéressantes.
- L'erreur :
Mauvaise analyse, ou reproduction de recettes ayant marché par le
passé, mais appliquées à des conditions initiales
différentes. Les effets pervers des premières lois
anti-étalement urbain en sont une manifestation
typique. J'ajouterai pour ma part que le manque
d'interdisciplinarité des technocrates joue un grand rôle
dans l'erreur : par exemple, les économistes du logement
sont en général nuls en urbanisme, et l'inverse est
également vrai, à quelques rares exceptions près.
De même, la connaissance de quelques lois sociologiques basiques
aiderait nombre d'économistes, et notamment interventionnistes,
à anticiper mieux les conséquences inattendues...
- Les intérêts
immédiats, qui s'opposent à d'autres
intérêts à plus long terme : les lois
votées en fonction de l'élection suivante sans
considération pour de possibles conséquences adverses de
long terme sont la règle. De même, des lois votées
dans l'urgence pour résoudre un problème immédiat
sont porteuses de dérèglements à long terme. A ce
titre, la fin de la convertibilité Or-Dollar en 1971 peut servir
d'exemple parfait.
- Les valeurs, les
principes, qui peuvent interdire ou prôner certains
modes opératoires quand bien même le résultat,
même prévisible, en serait défavorable. La
prohibition de substances nocives - Alcool entre 1919 et 1933 aux USA,
drogues diverses- entre clairement dans ce champ.
- Les comportements
échappatoires, la crainte des conséquences d'une
évolution prévue (législative ou autre) induit des comportements
d'évitement anticipés de la population, qui conduisent le
problème anticipé par la loi à ne pas se
présenter. Toute l'histoire du progrès technologique
ressort d'une logique échappatoire
généralisée : par exemple, la peur d'une
pénurie de pétrole pousse nombre d'agents
économiques soit à rechercher des substituts, soit
à réduire leur consommation.
L'analyse de Merton, déjà ancienne, parait devoir être
complétée. La propension naturelle -montrée par nombre
de sociologues d'après guerre- des individus à vouloir
détourner tout système à leur profit, soit dans les
limites de la loi, soit dans la transgression, joue à mon sens un
rôle central dans l'apparition de conséquences inattendues. Les
points 3 et 5 de Merton ne font qu'effleurer cette cause.
En outre, l'erreur d'analyse est le plus souvent dissimulée par l'arrogance
et l'orgueil des experts, qui n'aiment pas voir leur autorité
contestée, et dont beaucoup détestent plus que tout perdre la
face. Si quelqu'un ose démontrer à sa majesté
nobélisée Paul Krugman - celui qui, dès 2001,
pressait la FED de tout faire pour alimenter la bulle immobilière, car elle nourrissait
la consommation...- que
ses vues sur la politique de relance sont erronées, celui ci tendra
à puiser dans toutes les ressources de sa mauvaise foi pour justifier
à tout prix ses arguments. Le politique, nécessairement
généraliste, n'ayant d'autre choix que de s'en remettre
à des experts pour prendre des décisions, il est à la
merci des erreurs d'appréciation alimentées par l'orgueil des
sommités qu'il côtoie.
Conséquences inattendues et positives de l'action privée
libre
Notons enfin que les conséquences inattendues ne sont pas propres
à l'action publique. De l'effet "papillon" aux
conséquences du 11 septembre, nombre d'actions à
caractère privé génèrent des conséquences
inattendues, positives ou négatives. La manifestation positive la plus
célèbre des conséquences inattendues est la
célébrissime "main invisible" d'Adam Smith,
que Bastiat développera sous le nom d'harmonies économiques
ou que Hayek théorisera par la notion d'ordres spontanés :
lorsqu'un monde est majoritairement dominé par des échanges
entrepris librement par l'ensemble des acteurs, donc perçus comme
gagnants par chacune des parties, alors le résultat global tend
à être le plus harmonieux possible, car chaque échange
tente d'intégrer au mieux toutes les informations perceptibles sur le
résultat des échanges précédents ou voisins.
Mais ce "plus harmonieux possible" ne peut en aucun cas être
"optimal", car l'erreur d'appréciation est la
caractéristique la plus certainement prévisible de l'action
humaine. D'où l'envie de tous les interventionnistes du monde de
tenter, jusqu'ici sans le moindre succès, de construire un monde
encadrant plus fermement l'action humaine, d'où l'erreur serait
absente, ou du moins ses conséquences minimisées. Ce qui
entraine des décisions à leur tour aux conséquences
inattendues, et le plus souvent négatives !
Conclusion : des conséquences parfaitement prévisibles,
mais sciemment ignorées
Toutes les conséquences indésirables des décisions
politiques sont de moins en moins "inattendues" de ceux
qui prennent ces décisions, mais sont désormais souvent
anticipées par un nombre croissant d'analystes et de commentateurs,
l'expérience aidant. Cependant, les politiciens s'empressent souvent
de ne pas écouter les voix qui leur déplaisent, troisième
cause de Merton oblige !
Les conséquences indésirables sont donc de plus en plus souvent
bien connues des décideurs mais ceux ci tendent à laisser
prédominer l'intérêt à court terme. L'important
est qu'ils aient satisfait un lobby ou donné l'illusion d'agir. La loi
ne devrait-elle donc pas être rebaptisée "la loi des
conséquences adverses ignorées" ?
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France,
"Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
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