L’économie turque est partie en vrille en raison de l’inflation de sa
devise, mais Ankara utilise une technique peu employée pour se stabiliser :
l’or.
À la fin de l’année 2011, la Turquie a commencé à permettre aux banques
commerciales d’utiliser l’or au lieu de la lire turque pour satisfaire
l’obligation d’avoir des réserves à la banque centrale. Ces réserves
obligatoires, pour employer le terme technique dédié, garantissent la
capitalisation adéquate des banques.
Durant ces 6 dernières années environ, la Banque centrale turque a
accumulé 400 tonnes d’or. Il s’agit d’une grande quantité de métal, plus
importante que les réserves britanniques par exemple. Ces réserves
substantielles pourraient aider la Turquie à sortir de la crise.
Pour remettre tout ceci en perspective, la banque d’Angleterre possède
environ 10 millions d’onces d’or, soit plus ou moins 311 tonnes.
Cette augmentation rapide des réserves d’or turques est le fruit d’une
modification des règles bancaires adoptées au début de cette décennie.
« Je pense que les Turcs ont réalisé un coup de génie », a déclaré
Jeff Christian, fondateur du CPM Group. « La Turquie a utilisé l’or de la
façon dont il faut. »
Pour faire simple, cette modification des règles permet aux banques
d’utiliser le métal jaune en tant qu’actif de réserve. De plus, la nouvelle
loi a permis de mettre la main sur de l’or qui était détenu par le privé.
« Ce changement a permis au gouvernement de récupérer l’or caché ‘sous
le matelas’ pour contribuer à la stabilisation des banques et de l’économie
sous-jacente », a déclaré Ivo Pezzuto, professeur d’économie à
l’International School of Management de Paris.
Le résultat de cette politique ? Un énorme bond apparent des réserves d’or
de la Banque centrale de Turquie.
Elle possède désormais dans ses coffres plus de 18 millions d’onces d’or.
Avant la modification des règles en 2011, elle en possédait moins de 4
millions, d’après les statistiques du CPM Group.
De l’or privé dans les coffres de la Banque centrale de Turquie
Quasiment la majorité de l’augmentation des réserves d’or de la Banque
centrale de Turquie provient des dépôts des banques commerciales. Ce n’est
donc pas l’État turc qui a acheté tout ce métal sur le marché.
L’or turc, au lieu de dormir dans des coffres privés ou caché au domicile
de citoyens, sert aujourd’hui à atteindre un objectif économique car il
permet aux banques d’accorder davantage de crédits en lires turques. Cette
mesure a également aidé les banques durant les pics d’inflation de la devise
locale.
Avec une inflation annualisée de 40 %, la valeur de l’or augmente alors
que celle de la lire turque baisse. Simplement dit, les actifs des banques
augmentent alors que l’inflation fait rage et que la valeur de la devise
papier s’effondre. (…) Par exemple, il y a un mois, un dollar permettait
d’acheter 4,1 lires turques. Aujourd’hui, on reçoit en échange 4,53 lires.
Tandis que le cours de l’or est plus ou moins stable par rapport à celui du
dollar.
Que cela signifie-t-il ? Les gestionnaires des banques commerciales n’ont
pas à constamment augmenter leurs réserves auprès de la banque centrale pour
maintenir leur ratio de réserves obligatoires.
La valeur de l’or s’apprécie naturellement, ce qui signifie que la banque
peut continuer d’accorder des crédits en lires sans devoir augmenter ses
réserves obligatoires à la banque centrale. Cela stabilise automatiquement
les finances de la banque, au moins en théorie.
Il est tout de même bon de noter que ce métal n’appartient pas au
gouvernement. Il appartient aux banques et aux investisseurs privés qui ont
confié leur or à l’institution financière. Ce qui signifie qu’ils peuvent
décider de récupérer leur métal, tout comme on peut faire un retrait de
liquide de son compte en banque. Un bank run sur l’or, similaire à ceux
auxquels on est habitué sur le cash, pourrait donc avoir lieu. (NDLR : et
un gel des mouvements des capitaux, en l’occurrence de l’or, aussi. C’est
même une certitude.) Ce qui ferait chuter lourdement la lire turque.
Les problèmes économiques de la Turquie
Cependant, cette mesure concernant les dépôts en or pourrait ne pas régler
les problèmes économiques à long terme de la Turquie.
Ce pays dispose d’un problème de crédit, que nous avons mis en exergue en
septembre dernier. La croissance trop rapide a débouché sur la perte de
contrôle de l’inflation. Ce phénomène a provoqué la chute de la valeur de la
lire turque. Le 1er juin 2017, un dollar ne permettait d’acheter « que » 3,52
lires turques, d’après les statistiques de Bloomberg.
Si en avril l’inflation annualisée officielle s’élevait à 10,85 %, cela
pourrait être en dessous de la réalité. D’après les estimations de Steve
Hanke, professeur d’économie appliquée à la Johns Hopkins University et
expert de l’inflation, 40 % est un taux plus réaliste. Il utilise une
technique connue par les économies sous le nom de parité du pouvoir d’achat,
qui prend comme référence le prix réel des biens et des services en Turquie.
(…)
Article de MiddleEastEye.net, publié le 31 mai 2018