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La Valse des Milliards

IMG Auteur
 
Published : January 03rd, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Faut-il s’atteler à l’écriture du scénario de la crise européenne en 2011 ? C’est bien entendu illusoire, car on ne sait jamais à l’avance comment un château de cartes va s’écrouler. Par contre, mettre en place pour 2013 un échafaudage permanent, afin de remplacer le provisoire, c’est faire un calcul qui a toutes les chances de se révéler faux.


Si l’expression n’était pas usée, on dirait que 2011 va être une nouvelle année de tous les dangers.


Car d’autres calculs plus prévisibles risquent en effet d’imposer leurs effets, une fois considéré dans son ensemble le marché obligataire, sur lequel viennent se financer à la fois les Etats, les banques et les grandes entreprises. L’addition cumulée des besoins de tous est chargée et l’on va se bousculer au portillon.


Dans les prévisions d’émissions 2011 des pays les plus sensibles, aujourd’hui le Portugal et l’Espagne, les milliards d’euros valsent déjà : environ 20 pour les premiers et presque 95 rien que pour les seconds, mais c‘est l’Italie qui devrait ouvrir le bal dès le premier trimestre, en émettant de la dette à concurrence dans un premier temps de près de 50 milliards d’euros. On sait aussi que les émissions européennes vont se concentrer dans les six premiers mois de l’année et que les risques de contagion d’un pays à l’autre vont rester très élevés. Selon la mégabanque JP Morgan, la zone euro devrait au total lever 760 milliards d’euros en 2011, un montant à rapprocher des besoins de ses banques.


Dans son dernier rapport semestriel, publié début décembre dernier, la BCE les chiffrait à plus de 1.000 milliards d’euros tout confondu, une enveloppe équivalent à celle des banques américaines. Voilà qui situe le problème du financement de la dette souveraine dans son contexte.


Il est temps de se rappeler ce que la BCE écrivait à cette occasion : « La principale source d’inquiétude vient de l’interférence entre les problèmes de dette souveraine et la vulnérabilité de certains segments du secteur bancaire de la zone euro ». Une phrase que son vice-président, Vitor Constancio, commentait en évoquant le risque que cela aboutisse à « une concurrence pour l’épargne sur le marché des capitaux » entre les Etats et les banques.


Un autre aspect des difficultés que pourraient rencontrer les banques a été souligné par l’agence Standard & Poor’s. On sait qu’on attend beaucoup du capital contingent – les obligations nommées CoCos – qui permettent de lever des fonds éligibles au rang de fonds propres sans avoir besoin d’augmenter le capital. Or ce marché est balbutiant et la réaction des investisseurs face à l’énorme demande qui se profile est une inconnue, en particulier en ce qui concerne les taux qui devront être proposés pour que l’offre soit suffisante. Seules les banques les plus solides et importantes pourraient être servies dans ces conditions, mettant les autres dans l’obligation d’augmenter leur capital ou de revoir leur modèle économique. Deux nouveaux ferments se précisent du processus de concentration bancaire qui se prépare.


Pour que ce panorama soit complet, les grandes entreprises doivent être également prises en compte. Car elles ont accès à ce même marché, contrairement aux plus petites qui se financent auprès des banques. Une certaine inquiétude se fait jour de leur côté, vu la tendance à la hausse générale des taux. Tous les analystes recommandent d’ailleurs aux investisseurs de déserter le marché obligataire – quand les taux montent, la valeur des obligations baisse – un avis dont l’on constate déjà les effets.


Pour les grandes entreprises, qui ne peuvent emprunter à 20 et 30 ans que sur le marché, une fenêtre est en train de se refermer. Les banques en ont tiré profit en bénéficiant de leur position d’intermédiaires, sans avoir besoin de mobiliser des fonds propres devenus précieux dans la perspective de l’accroissement obligatoire de ceux-ci. Mais ces opportunités vont pour les uns et les autres se restreindre. Quant aux moyennes entreprises, qui n’ont que les banques comme source de financement, l’avenir s’annonce tendu, car ces dernières ont déjà annoncé qu’elles vont devoir limiter leurs prêts.


Signe annonciateur des tensions qui se profilent, plusieurs projets de création de banques par les soins de grandes entreprises ont vu le jour ces derniers mois. Le dernier en date est intitulé Corporate Funding Association et regroupe une vingtaine de grands noms. L’idée étant de ne pas avoir à dépendre des banques et de pouvoir se présenter directement sur le marché, offrant aussi au passage une alternative intéressante aux moyennes entreprises.


Si le marché obligataire va globalement se tendre – on ne sait jusqu’à quel point – les bourses vont se retrouver par contre toutes ragaillardies, alimentées par les liquidités fournies par les banques centrales, quand elles ne créent pas de la monnaie par wagons entiers. Pour le plus grand bonheur des banques qui vont pouvoir renforcer leur réserves avec les bénéfices qu’elles en attendent, afin de renforcer leurs fonds propres.


Les jeux en cours sur les marchés des capitaux visent à renforcer le système financier, mais vont se faire au détriment des Etats et des entreprises, pesant dans les deux cas sur la croissance et accentuant les tendances récessionnistes. Cette spirale là n’est pas contrôlée et ne peut que s’accentuer.


Mais là n’est sans doute pas l’inconnue la plus forte. 2011 s’annonce comme l’année de la montée en puissance de la crise sociale en Europe. Car si les plans de rigueur se sont succédés, ils ne sont encore entrés en application que dans un nombre réduit de pays : la Grèce, l’Irlande et l’Espagne en premier lieu. De nouvelles mesures sont attendues dans ces pays, car il en faut toujours plus pour tenter d’équilibrer des comptes qui ne pourront jamais l’être. Elles vont par contre entrer en vigueur avec leur plein effet en Grande-Bretagne et au Portugal.


Les autres pays, dont la France, tentant de reculer le moment où il faudra faire de même, si possible après les élections. Seuls des signes avant-coureurs de cette crise pour l’instant rampante se sont encore manifestés dans cette partie de l’Europe qui apparaissait comme privilégiée, mais où l’on pressent que l’on ne perd rien pour attendre.


La liste des mesures d’austérité, pays par pays, met en évidence leur ampleur et la charge qui va peser sur les classes moyennes et ceux d’en-bas. La presse britannique a, tous titres confondus, dressé en guise de Nouvel An un tableau apocalyptique de ce qui les attend les uns et les autres. Le Telegraph estimait que la perte de revenu pour une famille de la classe moyenne allait être de 3.000 livres en moyenne en 2011, si l’on additionne hausse de la TVA, inflation et gel des allocations familiales et des salaires, hausse du prix des transports, de la nourriture et de l’énergie, ainsi que la hausse des taux d’intérêt. Dans le Times, le représentant des associations caritatives se contente de prédire pour les ONG et les plus pauvres qui en dépendent un « tsunami ».


Il faut un invraisemblable génie créatif à Richard Lambert, le président de la Confederation of British Industry, pour trouver à l’économie une « élasticité naturelle » lui permettant donc de rebondir ; même s’il ne se fait pas trop d’illusion sur la hauteur de ce rebond, pronostiquant sur la BBC des mois à venir « agités et cahoteux « .


A un autre bout de l’Europe, la même liste peut être dressée : augmentations de deux points de la TVA, du prix des transports, de l’électricité et de l’essence, baisse des salaires et des retraites des fonctionnaires, hausse des impôts et des cotisations, diminution des prestations sociales et des remboursements de santé… C’est au Portugal, dont la mémoire des années de misère est ravivée après avoir été enfouie grâce à son entrée dans l’Europe. Une misère qui revient et dont on tente autant que possible de dissimuler les premières manifestations, pour en avoir honte.


D’autres rêves sont brisés en Espagne, chez le cousin à qui on a longtemps tourné le dos. Un million et demi d’émigrés latino-américains, attirés par l’envol économique espagnol et l’embauche dans le secteur du bâtiment se retrouve sur le carreau. Sans compter tous les saisonniers venant du Maghreb et d’Europe de l’Est, qui assuraient les récoltes (5,7 millions d’émigrés officiels en tout). Un programme de retour volontaire a été mis sur pied pour les premiers par le gouvernement, mais les Latinos s’accrochent comme ils peuvent, car ils savent ce qui les attend dans leurs pays, où les bienfaits de la croissance ne sont pas pour eux.


C’est bête à dire, mais derrière les chiffres, il y a des gens.


Deux signaux viennent d’être donnés, qui ne devraient pas être davantage ignorés. Selon un quotidien grec, l’ex vice-Président de la BCE, Lucas Papademos, devenu conseiller du premier ministre, négocierait avec les banques détentrices de la dette souveraine grecque un rééchelonnement de remboursement, parallèlement aux discussions déjà en cours avec l’Union européenne et le FMI pour en faire autant avec les 110 milliards d’euros de leurs prêts.


D’importants reports de remboursement des obligations venant à échéance de 2013 à 2015 seraient recherchés, en sortie du plan de sauvetage européen. L’idée serait non seulement de soulager en l’étalant la charge de remboursement mais surtout d’écarter l’idée qu’un défaut de remboursement est inévitable et de contribuer ainsi à une baisse des taux obligataires, qui continuent de monter.


Ewald Nowotny, membre du conseil des gouverneurs de la BCE, vient par ailleurs de déclarer que « la réforme du fonctionnement de la zone euro doit aboutir aussi vite que possible, en particulier afin de rendre effectif le pacte de stabilité et de croissance, et le Mécanisme Européen de Stabilité doit se concrétiser avant 2013, si possible ». Il dit tout haut ce que tout le monde ou presque pense tout bas.


Le compromis politique franco-allemand qui a abouti à la mise sur pied du fonds de stabilité européen (EFSF), ainsi qu’à un assouplissement des sanctions pour les pays ne respectant pas à l’avenir le pacte de stabilité, est un vilain petit canard boiteux. Ces négociations grecques d’un côté – qui demandent à être confirmés – la déclaration du gouverneur de la BCE de l’autre, concourent pour le confirmer.


Dans le secret des antichambres, des discussions se poursuivent entre les Allemands et les Français, afin d’essayer de crédibiliser une volonté commune. Mais faute de se traduire par la définition d’une stratégie économique européenne et de prendre en compte l’insolvabilité publique et privée qui affecte l’Europe, le nouveau compromis politique qui se prépare ne résoudra toujours rien.


Les tensions accrues sur le marché obligataire et la crise sociale montante vont exacerber la situation, et les seuils de rupture, pour n’être pas prévisibles, n’en sont pas moins vraisemblables.


 

Paul Jorion

pauljorion.com

 

 

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

  

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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