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Dans la sphère
économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n'engendrent pas seulement un effet, mais une série
d'effets. De ces effets, le premier seul est immédiat; il se manifeste
simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se
déroulent que successivement, on ne les voit pas; heureux si on les
prévoit.
Entre un mauvais et un bon Économiste, voici toute la différence:
l'un s'en tient à l'effet visible; l'autre tient compte et de l'effet
qu'on voit et de ceux qu'il faut prévoir.
Voici comment débute ce texte de l'économiste et journaliste
libéral français Frédéric Bastiat sur les effets
superficiellement positifs à court terme, mais profondément
néfastes à plus long terme, des interventions de l'État.
Même s'il a été écrit il y a 150 ans, ce long
article garde toute sa fraîcheur et sa pertinence et décrit
exactement la nature du débat telle qu'on le vit encore
aujourd'hui.
Bastiat y passe en revue les arguments fallacieux des illettrés
économiques – les mêmes qu'on entend encore constamment
– pour justifier que l'État se mêle de favoriser le
crédit, de créer des emplois, d'empêcher la
prolifération des machines, de restreindre l'épargne, ou de
subventionner les arts. Douze domaines d'intervention sont analysés et
chaque fois, Bastiat montre que les interventionnistes nous font toujours
miroiter ce qu'on voit, mais omettent de considérer ce
qu'on ne voit pas.
L'extrait qui suit démolit les arguments en faveur du cataclysme
créateur de richesses, arguments qu'on a entendus par exemple de la
bouche de l'illettré économique qui nous gouverne –
Bernard Landry – lors de la crise du verglas il y a trois ans. Ceux qui
voudraient lire le reste de cet article ou d'autres écrits du
même auteur peuvent se rendre sur la page Frédéric Bastiat, où
l'on trouve quelques textes de ce phare du libéralisme au 19e
siècle.
LA VITRE CASSÉE
Avez-vous jamais été
témoin de la fureur du bon bourgeois Jacques Bonhomme, quand son fils
terrible est parvenu à casser un carreau de vitre? Si vous avez
assisté à ce spectacle, à coup sûr vous aurez
aussi constaté que tous les assistants, fussent-ils trente, semblent
s'être donné le mot pour offrir au propriétaire
infortuné cette consolation uniforme: « À quelque chose malheur
est bon. De tels accidents font aller l'industrie. Il faut que tout le monde
vive. Que deviendraient les vitriers, si l'on ne cassait jamais de vitres? »
Or,
il y a dans cette formule de condoléance toute une théorie,
qu'il est bon de surprendre flagrante delicto, dans ce cas
très simple, attendu que c'est exactement la même que celle qui,
par malheur, régit la plupart de nos institutions
économiques.
À
supposer qu'il faille dépenser six francs pour réparer le
dommage, si l'on veut dire que l'accident fait arriver six francs à
l'industrie vitrière, qu'il encourage dans la mesure six francs la
susdite industrie, je l'accorde, je ne conteste en aucune façon, on
raisonne juste. Le vitrier va venir, il fera besogne, touchera six francs, se
frottera les mains et bénira de son coeur l'enfant terrible. C'est
ce qu'on voit.
Mais
si, par voie de déduction, on arrive à conclure, comme on le
fait trop souvent, qu'il est bon qu'on casse les vitres, que cela fait
circuler l'argent, qu'il en résulte un encouragement pour l'industrie
en général, je suis obligé de m'écrier:
halte-là! Votre théorie s'arrête à ce
qu'on voit, ne tient pas compte de ce qu'on ne voit pas. On
ne voit pas que, puisque
notre bourgeois a dépensé six francs à une chose, il ne
pourra plus les dépenser à une autre. On ne voit pas que s'il n'eût pas eu de vitre
à remplacer, il eût remplacé, par exemple, ses souliers
éculés ou mis un livre de plus dans sa bibliothèque.
Bref, il aurait fait de ces six francs un emploi quelconque qu'il ne fera
pas.
Faisons donc le compte de
l'industrie en
général.
La vitre étant cassée,
l'industrie vitrière est encouragée dans la mesure de six
francs; c'est ce qu'on voit.
Si la vitre n'eût pas été cassée, l'industrie
cordonnière (ou toute autre) eût été
encouragée dans la mesure de six francs; c'est ce qu'on ne voit pas.
Et si l'on prenait en
considération ce
qu'on ne voit pas parce que
c'est un fait négatif, aussi bien que ce que l'on voit, parce que c'est
un fait positif, on comprendrait qu'il n'y a aucun intérêt pour
l'industrie en
général, ou pour l'ensemble du travail national, à ce
que des vitres se cassent ou ne se cassent pas.
Faisons maintenant le compte de
Jacques Bonhomme.
Dans la première
hypothèse, celle de la vitre cassée, il
dépense six francs, et a, ni plus ni moins que devant, la
jouissance d'une vitre. Dans la seconde, celle où l'accident ne
fût pas arrivé, il aurait dépensé six francs en
chaussure et aurait eu tout à la fois la jouissance d'une paire de
souliers et celle d'une vitre.
Or, comme Jacques Bonhomme fait
partie de la société, il faut conclure de là que,
considérée dans son ensemble, et toute balance faite de ses
travaux et de ses jouissances, elle a perdu la valeur de la vitre
cassée.
Par où, en
généralisant, nous arrivons à cette conclusion
inattendue: « la société perd la valeur
des objets inutilement détruits,
» – et
à cet aphorisme qui fera dresser les cheveux sur la tête des
protectionnistes: «
Casser, briser, dissiper, ce n'est pas encourager le travail national, » ou plus brièvement: « destruction n'est pas profit. »
Que direz-vous, Moniteur industriel, que
direz-vous, adeptes de ce bon M.
de Saint-Chamans, qui a calculé avec tant de précision
ce que l'industrie gagnerait à l'incendie de Paris, à raison
des maisons qu'il faudrait reconstruire?
Je suis fâché de
déranger ses ingénieux calculs, d'autant qu'il en a fait passer
l'esprit dans notre législation. Mais je le prie de les recommencer,
en faisant entrer en ligne de compte ce qu'on ne voit pas à côté de ce qu'on
voit.
Il faut que le lecteur s'attache
à bien constater qu'il n'y a pas seulement deux personnages, mais
trois dans le petit drame que j'ai soumis à son attention. L'un,
Jacques Bonhomme, représente le Consommateur, réduit par la
destruction à une jouissance au lieu de deux. L'autre, sous la figure
du Vitrier, nous montre le Producteur dont l'accident encourage l'industrie.
Le troisième est le Cordonnier (ou tout autre industriel) dont le
travail est découragé d'autant par la même cause. C'est
ce troisième personnage qu'on tient toujours dans l'ombre et qui, personnifiant
ce qu'on ne voit pas, est un élément nécessaire du
problème. C'est lui qui bientôt nous enseignera qu'il n'est pas
moins absurde de voir un profit dans une restriction, laquelle n'est
après tout qu'une destruction partielle.
Aussi, allez au fond de tous les arguments qu'on fait valoir en sa faveur,
vous n'y trouverez que la paraphrase de ce dicton vulgaire: « Que deviendraient les vitriers,
si l'on ne cassait jamais de vitres? »
Article originellement
publié par le Québéquois Libre ici
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