Parasites,
assistés, fainéants, profiteurs – c’est en ces
termes que beaucoup se plaisent à designer les chômeurs. Leur
tort : ne pas saisir les occasions qui se présentent
d'alléger le poids qu'ils représentent pour la
collectivité en acceptant les offres d'emploi qui leur permettraient
de subvenir à leurs besoins. En d'autres termes, ceux que l'on appelle
les assistés se voient reprocher de ne pas faire tout leur possible
pour pérenniser notre modèle social. Mais sont-ils les
seuls ?
Les
assistés parlent aux assistés
Ce que les
chantres de la bonne volonté ne voient pas, c'est qu'ils sont
eux-mêmes plus « assistés » qu’ils
ne le croient. Le fonctionnement de l'économie française est
tel que, directement ou indirectement, consciemment ou non, nous
bénéficions tous du principe redistributif.
On parle souvent des effets pervers de l'assurance chômage, des minima
sociaux et de la couverture maladie universelle. On parle beaucoup moins de
l'effet d'aubaine que représentent, pour de nombreux ménages,
le remboursement des frais médicaux ou les allocations familiales
(pour ne prendre que ces deux exemples).
Fin avril 2013,
la branche maladie de la sécurité sociale remboursait 69,6% des
honoraires médicaux et 77% des frais de médicaments. Or la
France n'est pas un pays pauvre : l'internet à haut débit,
les ordinateurs portables, les smartphones, les
vêtements de marque, les séjours à l'étranger et
les produits culturels n'y sont pas l'apanage de quelques nantis. Que faut-il
en déduire, sinon que des millions de Français ne paient de
leur poche qu'une partie des frais qu'ils pourraient supporter ? Parmi
ces donneurs de leçons qui reprochent aux « assistés »
de toucher toutes les aides auxquelles ils ont droit, combien choisissent de
ne pas présenter leur carte vitale à leur médecin ou
à leur pharmacien ? Combien d'entre eux, ayant la
possibilité de ne pas creuser le trou de la sécurité
sociale, font ce geste « citoyen » qu'on exige de ceux
que la conjoncture rejette à la périphérie de
l'économie ?
L'hypocrisie du
discours sur les assistés est encore plus évidente quand on
voit les réactions suscitées par la fiscalisation de certaines
prestations familiales. À supposer que la résorption du trou de
la Sécurité sociale soit la priorité (comme le laissent
entendre les pères la morale de gauche et de droite), on peut
s'étonner que les associations familiales n'aient pas elles-mêmes
réclamé la fiscalisation des allocations ou l'abaissement du
quotient familial finalement décidé par le gouvernement Ayrault.
L'autre
aléa moral
Qui ne profite
pas directement de l'argent public en profite indirectement.
Interdépendance oblige, l'effet des subventions publiques et
crédits d'impôts octroyés à une entreprise
s'étend à ses clients, ses fournisseurs et ses salariés.
La question n'est donc pas de savoir où sont les
« assistés ». La question est de savoir dans
quelle mesure nous profitons les uns des autres à travers ce que
Frédéric Bastiat appelait la grande fiction de l'État.
Là
réside le vrai scandale de l'assistanat. Il n’est pas dans la
prétendue disparition de la « culture du
travail », mais dans la possible corrélation entre le
développement de l'État-providence et la tentation d'imputer
à certaines catégories de la population des effets pervers
pourtant présents dans toutes les couches de la société.
C’est l'autre aléa moral de notre modèle social :
ceux qui, pris globalement, « reviennent le plus cher »
peuvent aisément montrer du doigt les parasites du haut (qui paient
moins d'impôts qu'ils ne le pourraient) et les parasites du bas (qui
touchent plus d'aides qu'ils ne le méritent).
Derrière
le scandale, le danger : celui de ne réfléchir à
notre politique sociale qu'en termes de bénéfices et/ou de
coûts, jamais de manque à gagner. Il est certes difficile de
critiquer les modalités d'indemnisation du chômage quand
celui-ci atteint 10,2% et que l'on fait soi-même partie des gens les
plus exposés à ce type de risque. Cependant, on ne voit pas les
centaines de milliers d'emplois que libèreraient
un allègement des charges, une simplification du droit du travail et
un relâchement de la pression fiscale tant sur les ménages que
sur les entreprises.
En
résumé, le débat tourne plus souvent autour du
modèle social et de son indispensable sauvetage qu'autour de la
société et des moyens d'en libérer le potentiel. Venant
des partisans du modèle en question – et ils sont nombreux
–, cela n'a rien de surprenant. Venant du camp libéral en
revanche, pareil conservatisme laisse songeur, comme je l'expliquerai
prochainement.
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