La fin d’année approche à grands pas et les esprits sont de plus en plus occupés. La hausse continue du chômage ? Les perspectives économiques catastrophiques ? Les industries qui ferment partout dans le pays ? Non : c’est bien une histoire de quenelle qui mobilise à présent tous les fiévreux esprits de la République.
Pour résumer l’affaire, on pourra lire à profit le récent édito de Baptiste Créteur sur Contrepoints : en substance, l’humoriste Dieudonné s’est fendu d’une tirade douteuse à l’égard d’un journaliste de radio, Patrick Cohen. Le ministre de l’Intérieur en a alors profité pour expliquer qu’il étudiait « toutes les voies juridiques » pour interdire ses « réunions publiques », qui, selon notre nouvel arbitre républicain des bonnes convenances de l’humour, « n’appartiennent plus à la dimension créative, mais contribuent (…) à accroître les risques de troubles à l’ordre public » dont on voit mal exactement comment ils se traduisent pour le moment.
En somme, le ministre, taxant Dieudonné d’antisémite, entend le traîner en justice et censurer purement et simplement son expression. En réalité, peu importe qu’il soit ou non antisémite. D’une part, là n’est pas la question : on comprend que les manœuvres de Valls, en voulant museler l’artiste, sont insupportables indépendamment de ce qui peut bien se passer réellement dans la tête de Dieudonné.
D’autre part, il est bien plus probable que l’humoriste, en bon homme-sandwich de sa propre marque, donne à son public exactement ce qu’il attend de lui et qu’il se place à dessein sur tout terrain glissant qui pourra faire parler de lui, car oui, dans ce monde médiatique, dire des choses choquantes rapporte finalement plus que d’étaler la soupe clairette qu’on trouve partout ailleurs. Si l’anti-écologie était plus choquante (et donc plus médiatique) que ses actuelles pitreries équivoques, vous pouvez parier que Dieudonné se convertirait immédiatement à la cause anti-réchauffiste, choisirait ses déplacements en maximisant son empreinte carbone, et distribuerait de la quenelle devant des incinérateurs et des centrales nucléaires.
Il ne faut pas perdre de vue que ce dernier est, au sens premier, un bouffon, c’est-à-dire un amuseur qui cherche à provoquer (et pas seulement la réflexion), et c’est ce pour quoi il est d’ailleurs rémunéré par son public. On peut trouver ça agaçant, irritant, choquant (puisque c’est fait pour), mais liberté d’expression aidant, il est difficile d’y trouver à redire sauf à verser dans le contrôle de la pensée que seuls les socialistes entendent effectivement mettre en place avec cette décontraction que seul de parfaits imbéciles savent convoquer pour soutenir leurs lubies destructrices.
À ce titre de bouffon, un ministre de l’intérieur qui s’occupe des affaires d’un tel individu est bien moins anodin qu’il n’y paraît. En faisant cela, Valls abaisse largement la fonction de ministre, et il accroît d’autant la valeur du bouffon. On peut se demander : depuis quand l’un des personnages les plus puissants de l’État doit-il s’abaisser à analyser puis à contrecarrer les pitreries d’un individu dont la subversivité de la parole se traduit concrètement par un geste spécifique et quelques vidéos sur internet ? Sérieusement ?
Pire, en lançant une cabale contre lui, il accrédite la thèse de l’humoriste qui veut qu’on cherche à le museler ; jusqu’à présent, les médias traditionnels s’étaient tenus à bonne distance de ses agitations, mais cette distance pouvait encore passer pour un choix rédactionnel. En cherchant à faire interdire ses spectacles, le ministre transforme les choix calculés et commerciaux de différentes chaînes médiatiques en doctrine d’état et remplace l’hypothétique complot contre Dieudonné contre un ban bien authentique. C’est parfaitement con.
C’est si parfaitement crétin qu’on peut, qu’on doit se demander pourquoi Valls a réagi ainsi.
Bien évidemment, si l’on doit s’en tenir au discours — consternant, il faut bien le dire — de l’intéressé pour se justifier ainsi du besoin pressant de faire interdire les spectacles de Dieudonné, on en déduit que notre ministre veut ici combattre une nouvelle tête de l’Hydre, de la beuhête immonheudeu dont le ventre fécond a encore réussi à pondre un nouvel exemplaire de méchanceté brute ; en requalifiant les spectacles de « réunions publiques » afin de faire rentrer l’artiste dans le champ plus balisé de la politique, le ministre tente de faire appliquer les lois interdisant les propos incitant à la haine raciale et autres méchanceté que la libre expression permettrait normalement.
Je peux admettre que Valls, sentant le besoin de faire du zèle, se soit subitement réveillé pour tomber sur Dieudonné à la faveur d’une saillie de trop de l’humoriste. À la limite, on peut aussi imaginer que, les provocations s’empilant, les coups de téléphones de personnes outrées se soient suffisamment accumulées pour que le ministre se charge enfin de faire taire l’enquiquinant satiriste.
Admettons. Mais on ne m’ôtera cependant pas de l’idée que Valls n’est pas aussi stupide que sa tentative ouverte de censure pourrait le laisser penser. Pour ma part, je vois plusieurs raisons qui peuvent animer le ministre de l’intérieur et le faire ainsi plonger dans les basses remugles des petites affaires du peuple.
Politiquement, l’opération s’apparente d’abord à une occupation des médias de la part du ministre, ce qui est très bon dans l’hypothèse pas trop improbable d’un remaniement. C’est l’aspect purement pragmatique qui ne gâche rien.
D’autre part, comment ne pas voir la concomitance plus que pratique du réveil des pulsions morales de Valls avec l’enfoncement boueux du reste du gouvernement dans des chiffres du chômage catastrophiques, et l’absolue nécessité de camoufler les pirouettes statistiques grotesques mises en place pour faire oublier une promesse hollandiste intenable ? Comment ne pas comprendre que, justement dans l’hypothèse d’un remaniement ministériel délicat, la fébrilité de Valls à marquer son obéissance au chef de l’État se traduise pile au bon moment par une saillie ridicule qui fait instantanément s’enflammer les médias traditionnels et les réseaux sociaux ? La coïncidence ne troublera ici que les naïfs et les imbéciles.
Ensuite, plus paradoxalement peut-être, on assiste véritablement à une campagne de publicité en faveur de Dieudonné de la part du gars Manuel ; or, si Valls est à l’Intérieur, il n’en reste pas moins socialiste, et la prochaine tenue d’élections doit plus que certainement occuper un peu du temps de cerveau disponible chez le premier flic de France. Et quoi de mieux dans ce pays qu’une bonne polémique avec un fond de racisme pour embarrasser l’UMP ? Les membres du parti de droite, devant les déclarations de Valls, doivent en effet marcher sur la corde extrêmement raide de l’opposition aux socialistes tout en conservant à l’esprit que le moindre écart de langage offrira un boulevard (au moins rhétorique) à leurs adversaires qui pourront les taxer de racistes ou de fascistes, technique stalinienne éprouvée depuis quarante ans en France et qui aura réussi à tétaniser la droite pour la transformer définitivement en sous-parti socialiste honteux.
On voit donc bien que Valls peut, en jouant finement, récolter quelques bénéfices de cette censure a priori parfaitement contre-productive et particulièrement idiote au premier abord.
Mais sur un plan plus personnel, je suis intimement convaincu que Valls est, comme tout homme politique, parfaitement imbu de sa personne et dispose d’un égo surdimensionné vendu avec le package traditionnel du politicien d’État. Et à ce titre, il n’a probablement pas supporté que le peuple se soit ouvertement foutu de sa tête au travers d’une photo maintenant célèbre ou, justement, on retrouve la quenelle de Dieudonné tant décriée :
Autrement dit, Valls tombe sur Dieudonné parce que politiquement, ça peut rapporter, et parce que personnellement, il ne va certainement pas s’épargner quelques minutes de vengeance bien dosée…
Vengeance qui lui reviendra, comme il se doit, sur le museau. Parce que s’il n’est encore pas trop compliqué de faire interdire des propos spécifiques, des contestations historiques ou des incitations haineuses parce que la liberté d’expression, c’est très bien tant qu’on est tous d’accord, mes petits amis, il va être en revanche particulièrement compliqué de batailler contre « la quenelle ».
Cette dernière est, en réalité, une arme de destruction massive de la crédibilité des élites ; en descendant dans l’arène et en tentant de mettre un terme à cette pratique de cette façon-là, les politiciens vont se prendre les pieds dans le tapis du foutage de gueule. Il n’y a en effet pas d’arme plus puissante contre le pouvoir que l’humour, aussi mauvais soit-il : il désacralise tout ce qu’il touche, il rend faible, minable et ridicule tous ceux qui s’attaquent à lui, il retire toute force à ceux qui veulent l’interdire.
Tout comme les politiciens n’ont jamais pu supporter Internet à cause de la liberté de parole qu’il permet, parce que cette dernière, avec la démocratie, c’est pour les gens biens, ceux qui pensent comme eux, voyez-vous, les mêmes politiciens n’aiment pas l’humour qui les ridiculise. La quenelle, c’est une façon que certains ont trouvé pour remettre ces personnages imbus d’eux-mêmes dans la petite boîte qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Cette façon est discutable, elle peut parfaitement être chargée d’une symbolique dangereuse, ou n’être qu’un défoulement irrespectueux.
Mais dans tous les cas, il sera impossible de l’interdire.
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