Placée
devant un inacceptable fait accompli, la BCE a rejeté
l’hétérodoxe plan de recapitalisation de Bankia tandis que, parallèlement, le gouverneur de
la Banque d’Espagne démissionnait de ses fonctions, interdit de
s’exprimer publiquement devant le Parlement. Ces deux
événements concomitants laissent peu de marge de manœuvre
à Mariano Rajoy, qui doit trouver 19
milliards d’euros et refuse tout sauvetage européen alors
que les taux espagnols continuent de se tendre sur les marchés.
Le
spectre d’une solution à l’Irlandaise, qui avait conduit
le gouvernement de Dublin à sauver à tout prix les banques du
pays, plane sur l’Espagne. L’alternative, rappelée dans un
éditorial du Financial Times (non sans lui donner quelque saveur)
consisterait à obliger les actionnaires et les créanciers
à éponger les dettes des banques, les dépôts
étant par ailleurs protégés et la BCE assurant la
liquidité. Mais il n’en est pas plus question pour Mariano Rajoy.
Le
gouvernement n’a pas davantage dévoilé toutes ses
batteries à propos de l’audit des banques qu’il a
confié aux cabinets BlackRock et Oliver Wyman, sous la supervision finale du FMI et de la BCE. Il
serait question d’obliger les banques à créer des bad banks
recueillant leurs actifs problématiques – ce qu’elles ne
voulaient pas – dans des conditions qui n’ont pas
été précisées, ainsi que de leur fixer des
objectif de recapitalisation, une fois analysés les résultats
des audits. Elles auraient ensuite toute latitude pour y parvenir soit par
leurs propres moyens, soit en faisant appel au fonds gouvernemental (Frob). Pour y avoir accès, elles
émettraient des obligations convertibles en action (CoCos) assorties d’un taux de 10 %, afin de tenir
compte du taux que devra de son côté consentir le Frob afin de réunir sur le marché les fonds
correspondants. Présenté comme une opération
vérité qui n’a que trop tardé, ce processus est
une course d’obstacles attendue.
Un
tel montage risque, dans la pratique, d’être aussi tiré
par les cheveux que celui du sauvetage mort-né de la Bankia. Dans ce contexte, les hispanobonos
émis par les régions avec la garantie de l’État
risquent de leur côté de recevoir un accueil frais de la part
des investisseurs. Une des leçons qui peut être tirée est
que la confiance des marchés a définitivement
été perdue…
Les
autorités européennes se retrouvent avec deux crises
simultanées sur les bras. En Grèce, elles risquent de devoir
enregistrer une victoire électorale de Syriza,
qui défend le maintien de la Grèce dans l’euro tout en
prétendant renégocier son plan de sauvetage (ou par
défaut la perspective de nouvelles élections faute de
majorité parlementaire). En Espagne, Mariano Rajoy
tente une nouvelle fois de biaiser et refuse de jouer le jeu, cherchant ainsi
à obtenir ce qu’il ne pourrait avoir par la négociation.
Dans les deux cas, c’est au rapport de force que cela va se
régler. Gare aux éclaboussures !
Seule
à réagir, la Commission européenne étudie la
possibilité d’accorder une année supplémentaire
à l’Espagne pour réduire son déficit à 3 %
du PIB. Mais elle a comme projet d’exiger en contrepartie de nouvelles
mesures sur les retraites, la législation du travail et la TVA. Ce
glissement du calendrier va en appeler d’autres, et pas seulement en
Espagne ! Petit à petit, confrontée à
l’impossibilité de la poursuivre, la stratégie
européenne de désendettement se défait. La crise
bancaire reste quant à elle en suspens.
Sans
tenir compte des fonds nouveaux qui doivent être trouvés, le
gouvernement n’est qu’à mi-chemin de son programme de
financement de la dette : quelques 40 milliards sont encore à financer
d’ici la fin de l’année. Il y est jusqu’à
maintenant parvenu en émettant de la dette à court terme, avec
pour effet de diminuer la maturité moyenne de celle-ci, et de le
rendre encore plus vulnérable à la hausse des taux. Par
ailleurs, la dette espagnole attire de moins en moins d’acheteurs
étrangers et ce sont les banques du pays qui s’en portent
principalement acquéreurs. Au moment où il est question de
trancher ce nœud gordien, le gouvernement espagnol le resserre.
Aboutissant à emprunter aux banques pour parvenir à les
aider…
De
même qu’il ne veut pas envisager une faillite bancaire, Mariano Rajoy se refuse à suivre ce raisonnement pour les
régions. Le dispositif prévu repose sur
l’équivalent au niveau espagnol de ce que pourraient être
des euro-obligations à l’échelle de la zone euro. Mais
à quel taux les hispanobonos vont-ils
trouver preneur, même avec la garantie de l’État qui doit
lui-même faire face à une forte tension sur le marché ?
L’État
espagnol s’apparente à l’un de ces trous noirs de
l’univers qui absorbent toute la matière qui s’en approche
pour la faire disparaître. L’analogie s’arrête
là, car la dette n’est pas cette matière noire
indéfinissable dont les astrophysiciens ont un moment pensé qu’elle les constituaient.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son
livre, Les CHRONIQUES
DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître.
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à sa suite. Paul Jorion est un «
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