Comment qualifier de capitaliste un système économique qui
pénalise, via les taux négatifs, la mise à disposition de capital ? Un
système dont les marchés sont entièrement pilotés par les banques centrales
(la preuve nous a en encore été donnée récemment, lorsque la BCE et la BoE
ont déclaré être prêtes à intervenir en cas de secousse suite au
Brexit) ? Dans cette interview de Richard Duncan par Brian Maher, le premier
nous explique quand et comment le capitalisme a été remplacé par un système
qu’il a baptisé le « créditisme » :
« Le moteur du capitalisme était l’investissement, l’épargne,
l’accumulation de capital, le réinvestissement, une nouvelle accumulation de
capital, etc. D’où le terme capitalisme. Les progrès économiques étaient plus
graduels, mais notre système économique aurait été plus que probablement plus
stable si le capitalisme traditionnel avait perduré. Mais l’histoire est
passée par là, si bien que le capitalisme n’existe plus.
Pour moi, la fin du système capitaliste remonte à la Première Guerre
mondiale, lorsque les pays européens se déclarèrent mutuellement la
guerre. N’ayant pas suffisamment d’or pour financer le conflit, ils se sont
détournés du standard or afin de pouvoir créer de la monnaie et financer
ainsi la dette du gouvernement utilisée pour l’effort de guerre.
Les alliés ont gagné la guerre. Mais tout l’argent gouvernemental qui fut
créé à l’époque, toute la dette gouvernementale, a débouché sur une bulle du
crédit mondiale que l’on connaît sous le nom des années folles (années 20).
En 1930, cette montagne de crédit s’est effondrée vu qu’elle ne pouvait être
remboursée. Le système bancaire international s’est effondré, tout comme le
commerce mondial. La Grande Dépression démarrait, elle a duré 10 ans.
On ne voyait pas le bout du tunnel lorsque la Seconde Guerre mondiale a
démarré, en grande partie à cause de cette dépression. Que pouvait faire les
États-Unis, laisser l’Allemagne et le Japon conquérir le monde ?
L’Allemagne avait déjà conquis toute l’Europe alors que le Japon gagnait du
terrain dans le Pacifique.
Les dépenses du gouvernement américain ont augmenté de 900 % en 1940
afin de se préparer à la guerre. Ensuite, les États-Unis ont été attaqués par
le Japon fin 1941. Le gouvernement prit le contrôle total de l’économie afin
de poursuivre l’effort de guerre. La construction, la production, la distribution,
les prix, le travail… de tout.
Il est important de réaliser que nous n’avons jamais revu le capitalisme
une fois la guerre terminée. Le gouvernement était tellement terrifié que la
réduction de ses dépenses ramène le pays dans la grande dépression, ce qui se
serait probablement produit, qu’il a continué à dépenser beaucoup. Depuis,
l’économie est restée fortement dirigée par le gouvernent. Les débuts du
créditisme remontent donc à 1940.
Quelles étaient les alternatives ? Je ne pense pas qu’il y en avait.
Il faut bien comprendre que durant la dépression, le fascisme et le
communisme se répandaient comme une traînée de poudre en Europe et en Asie.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique contrôlait la moitié de
l’Europe. Quelques années plus tard, les communistes prenaient les rênes de
la Chine, le communisme se répandait partout. La classe politique américaine
voulait-elle vraiment retourner vers le laisser-faire dans l’économie en
courant le risque de catapulter à nouveau le pays dans la récession ? Et
peut-être faire basculer le pays dans le communisme ? La plupart des
gens d’aujourd’hui ne réalisent pas le dilemme auquel faisaient face les
politiciens de l’époque. Le risque semblait trop gros, ils ne l’ont donc pas
pris. Et ils ont continué à dépenser, dépenser.
Ce fut ensuite l’épreuve de force avec l’URSS. Le président Reagan a
fortement accéléré les dépenses gouvernementales et le recours à l’emprunt en
réduisant les taxes tout en augmentant le budget militaire.
C’est véritablement à partir de ce moment-là, dans les années 80, que le
ratio dette/PIB a commencé à grimper fortement. Alors que nous étions à 150 %
du PIB depuis des décennies, la hausse s’est mise à s’accélérer. En 2007, ce
ratio a fini par atteindre 370 % du PIB. Cette expansion du crédit
devint le moteur principal de la croissance économique mondiale.
Nous avons gagné la Seconde Guerre mondiale et vaincu l’URSS grâce à ce
nouveau système économique, que j’appelle le créditisme. De nouveau, il ne
s’agit pas de capitalisme au sens traditionnel du terme. Nous n’avons plus
connu le capitalisme véritable depuis de nombreuses décennies. Nous ne
risquons pas non plus de le revoir de sitôt. Notre système est quasi
entièrement propulsé par la création de crédit et la consommation. (…)
Je pense vraiment que l’école autrichienne a raison sur le fait que le
crédit crée une vague de prospérité artificielle. La situation aurait été
bien plus stable si nous avions poursuivi avec le standard or, je ne
suis pas en désaccord avec cette analyse. Mais la Première Guerre mondiale ne
l’a pas permis, ainsi que la seconde. Nous avons été dépassés par les
événements. Il est difficile d’envisager un autre scénario que celui qui
fut adopté. (…)
Si tout le monde connaît bien la répudiation des accords de Bretton-Woods
de 1971, il y a à mon sens une date encore plus importante, 1968, lorsque le
président Johnson demanda au Congrès de ratifier une loi permettant à la Fed
de ne plus devoir garantir la valeur de chaque dollar par 25 % d’or. Cette
loi fut ratifiée. Après quoi la Fed a eu carte blanche pour créer autant
de dollars que désiré, sans le besoin de devoir les garantir avec du métal
jaune. (…) »