À la
suite d’un débat entre Michel Onfray et
André Comte-Sponville, j'aimerais proposer
une synthèse.
Le capitalisme est-il moral ? La thèse d’André Comte-Sponville est que le capitalisme est amoral. Michel Onfray soutient que le capitalisme est immoral. Je ne
suis pas complètement d'accord avec le premier tout en
l’étant un peu avec le second.
Selon moi, le capitalisme peut être dit 1° amoral, 2° moral et
3° immoral, sous trois rapports différents bien entendu.
1° Le capitalisme est amoral.
En tant que théorie économique, le capitalisme peut être
entendu comme une description des mécanismes de la production et de la
division du travail, dans le contexte d'une économie de marché,
fondée sur la propriété des moyens de production et le
salariat. Une théorie descriptive n'a pas à être morale
ou immorale, elle décrit les causes et les effets et elle peut
seulement être dite vraie ou fausse, point.
De ce point de vue, Comte-Sponville a raison de
dire que seuls des individus, sujets de droits et de devoirs, sont moraux ou
immoraux. Le capitalisme n'est pas un individu, c'est un être de
raison. Il ne pense pas, il n'a pas de volonté, ni d'intentions.
«
Prétendre que le capitalisme pourrait être moral n'a pas de
sens. En effet, le possible et l'impossible n'ont que faire du bien et du
mal. (...) Imaginez la réaction d'un physicien qui vous expliquerait
la grande équation d'Einstein, E=mc2, et à qui vous objecteriez
que cette équation n'est pas morale puisqu'elle fait exploser des
bombes atomiques. Ce physicien vous répondrait que vous ne parlez pas
de la même chose! Dans l'ordre économico-techno-scientifique,
rien n'est jamais moral ni immoral. Tout y est plutôt amoral car la
morale n'a rien à faire ici. A la question : Le capitalisme est-il
moral? je réponds donc évidemment non puisqu'il ne le peut pas!
Conséquence, si nous voulons qu'il y ait une morale dans une
société capitaliste, celle-ci doit venir d'ailleurs que du
marché.»
2° Le capitalisme est moral.
Mais l'économie n'est pas une science expérimentale au sens
strict, ni une science de la nature. Ce n'est pas une branche de la physique,
même si elle peut lui emprunter certains critères de
scientificité. C'est une science humaine. Et au XIXe siècle, on
disait même : c'est une science morale et politique. Tout ce qui a
trait à l'homme comporte nécessairement une dimension morale.
L'économie est constituée de pratiques humaines, indissociables
de droits et de devoirs. On peut même dire que l'objet de
l'économie, c'est l'action humaine, avec ses motivations, ses croyances,
ses opinions. Morale est un mot qui vient du latin mores,
les mœurs. Or l'économie ne porte pas sur des agrégats
statistiques, mais bien sur les mœurs humaines dans le domaine de la
production, de l'échange et de la consommation.
C'est pourquoi le capitalisme ne peut être
défini comme une théorie purement descriptive. C'est aussi une
théorie normative, qui inclut un certain nombre de jugement de
valeurs. Le plus fondamental : le droit de propriété,
fondé sur le travail, est un droit inaliénable de l'individu.
On peut être ou ne pas être d'accord avec ce jugement mais on ne
peut pas l'ignorer.
C'est pourquoi je suis en désaccord avec Comte-Sponville. Pour lui, la seule légitimité du
capitalisme serait son succès matériel, fondé sur la
recherche de l'intérêt égoïste. Conception
matérialiste et purement utilitariste. Pour moi la
légitimité du capitalisme tient d'abord et avant tout à
son socle moral : le droit de propriété, droit naturel et universel.
En cela, ma conception du capitalisme se situe davantage dans la
lignée de la tradition libérale française et
autrichienne, plutôt que dans celle du libéralisme anglo-saxon,
dont Marx fut le disciple.
De ce point de vue, le capitalisme est moral car il est fondé sur la
propriété privée, qui est un droit de l'homme, et sur la
liberté des contrats. Au contraire, l'appropriation collective
(socialisme réel) ou même la limitation de la
propriété au nom de l'intérêt
général (social-démocratie) constitue une violation des
droits individuels parfaitement immorale.
3° Le capitalisme est immoral
Onfray, comme tous les indignés, a raison
sur un point et ce point a été souligné par Marx. Un
capitalisme qui reposerait sur l'intervention de l'État, serait par
définition immoral. En effet, il serait à l'abri des faillites,
il aurait des rentes de situations garanties à jamais. Il
socialiserait ses pertes et il privatiserait ses bénéfices.
Ce que dit Onfray
décrit assez bien la situation du capitalisme en France comme aux États-Unis
: « le capitalisme voudrait pouvoir fabriquer des déchets
sociaux pour le bon fonctionnement de sa machine immorale et laisser la
gestion des déchets sociaux à l’État ! Le profit
pour lui, les dépenses pour les instances publiques… »
Tel est le capitalisme de copinage qui s'est développé dans le monde
financier, celui des banques. Mais c'est aussi le cas de grosses entreprises
(le big businness),
comme Renault ou Peugeot, subventionnées par l'État
sous différentes formes.
L'erreur d'Onfray, c'est de confondre
libéralisme et loi du plus fort. C'est un vieux cliché. Le
libéralisme n'est pas la liberté d'empiéter sur les
droits d'autrui. C'est la liberté de faire ce qu'on veut avec ce qu'on
a justement acquis. Cette liberté-là conduit-elle, comme il le
prétend, aux inégalités et à l'injustice sociale
? La conviction des libéraux c'est que la liberté, entendue
comme liberté responsable respectueuse et des droits individuels, est
le plus sûr chemin vers la réduction de la misère, la
paix et l'harmonie sociale,
c'est-à-dire précisément l'idéal
socialiste. (Michel Onfray est partisan d'un
capitalisme libertaire autogéré, voir ici)
Il existe donc deux formes de capitalisme : moral et immoral
En conclusion et là je m'éloigne autant des deux auteurs, il
faut distinguer deux sortes de capitalisme : le capitalisme de
libre-marché et le capitalisme de copinage. Ce dernier est une
perversion du premier, il est moralement condamnable. L'idée d'un capitalisme
amoral me semble relever davantage de la pétition de principe.
Marx avait raison sur un point : l'exploitation est
un mal moral. Et si le capitalisme est fondé sur un cartel de patrons,
protégé par la force des lois, alors le capitalisme est immoral,
il s'apparente à de la spoliation légale, comme l'avait bien
montré Frédéric Bastiat. Mais Marx avait tort sur un
point : ce capitalisme là n'est pas le seul
envisageable. Il existe un capitalisme de libre-marché, fondé
sur la libre concurrence et la liberté des contrats. La seule
condition pour qu'il fonctionne : limiter le pouvoir de l'État
à la répression des atteintes aux droits individuels.
Cet article a été publié le
11/02/12 sur le blog
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