“Ceux qui s’en sortaient le mieux, c’était la
petite minorité qui avait eu la présence d’esprit
d’échanger ses marks en devises étrangères ou bien
en or, très tôt, avant que les lois ne rendent cela très
difficile et avant que le mark ne perde trop de sa valeur ».
Introduction
Si on peut tirer une leçon de l’Histoire, c’est que
l’on ne peut pas faire confiance au gouvernement pour gérer la
monnaie. Quand une devise n’est plus convertible en or, sa valeur
dépend complètement du jugement et de la conscience des
politiciens. (C’est
le cas dans ce pays aujourd’hui).
Dans le cas d’une crise économique ou
d’une guerre en particulier, la pression en faveur de l’inflation
devient écrasante. Toute autre alternative semble politiquement
désastreuse. Que l’on se rappelle les empereurs romains
dépréciant continuellement leur monnaie, le gouvernement révolutionnaire
imprimant un flot d’assignats, John Law inondant la France d’une
monnaie dévaluée ou le Congrès Continental
émettant de la monnaie jusqu’à ce qu’elle
n’ait littéralement plus la valeur d’un
« Continental » [ndlr : monnaie ayant cours sous la
révolution américaine], l’histoire est la même. Un
gouvernement faisant face à des difficultés financières
trouve que la voie la plus aisée est de recourir à
l’émission croissante de monnaie jusqu’à ce que
cette dernière perde complètement sa valeur. Le processus
entier est accompagné d’une montagne d’explications, de
propagande et de nouvelles réglementations qui permettent de cacher la
véritable situation à une majorité de gens,
jusqu’à ce que ceux-ci aient perdu l’essentiel de leur
épargne. Pendant la première guerre mondiale,
l’Allemagne, comme les autres gouvernements, emprunta lourdement pour
financer les coûts de la guerre. Cela conduisit à une inflation
mais pas beaucoup plus importante que celle des Etats-Unis au même
moment. Après la guerre, il y eut une période de
stabilité mais ensuite, l’inflation reprit. En 1923,
l’inflation la plus sauvage de l’histoire fit rage. Souvent les
prix doublaient en l’espace de quelques heures. Une course
effrénée avait lieu pour acheter des biens et se
débarrasser de la monnaie. A la fin de 1923, il fallait 200 milliards
de Marks pour acheter un simple pain.
Des millions d’Allemands travailleurs et économes virent
que leurs économies d’une vie entière ne suffiraient pas
à l’achat d’un timbre. Ils étaient sans le sou.
Comment cela a-t-il pu arriver à une nation hautement
civilisée, dirigée par des leaders intelligents et élus
démocratiquement ? Qu’était-il arrivé aux
entreprises, aux salaires et à l’emploi ? Comment certaines
personnes purent-elles sauver leur capital et certains spéculateurs
accumuler des fortunes ?
Les années 1914-1921
Quand la guerre fut déclarée le 31 juillet 1914, la Reichsbank (Banque Centrale Allemande) suspendit la
convertibilité en or de ses billets. Après cela, il
n’exista plus aucune limite quant à la quantité de
billets qu’elle pouvait imprimer. Le gouvernement ne voulait
pas mécontenter le peuple avec de lourdes taxes. A la place, il
emprunta d’énormes montants d’argent qui seraient
remboursés par l’ennemi une fois que l’Allemagne aurait
gagné la guerre. Une grande partie de l’argent emprunté
avait été escompté et monétisé par la Reichsbank. Comme nous le verrons par la suite, cela
revenait à émettre une monnaie directement issue des presses
à billets.
A la fin de la guerre, la quantité de monnaie
en circulation avait été multipliée par quatre. De ce
point de vue, l’étendue de l’inflation était
moindre que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre.
L’indice des prix à la consommation avait augmenté de
140% en décembre 1918. Cela était équivalent à
l’inflation pendant la même période en Angleterre et un
peu plus qu’aux Etats-Unis mais moins qu’en France. En revanche,
la dette flottante était passée de 3 milliards à 55
milliards de Marks !
Pourquoi l’inflation était-elle maitrisée? Pour la
même raison que celle qui maintint le rythme de départ de
l’inflation bas aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale. Les
biens de première nécessité étaient
rationnés et les biens de luxe peu disponibles. Des millions
d’hommes étaient au front et pas sur le marché à
acheter des biens. Les civils travaillaient dur et avaient peu de loisirs
pour dépenser. Les gens faisaient des économies par rapport au
temps de paix et dans certains cas pour contourner les impôts. Mais la
matière nécessaire pour une inflation future s’accumulait
sous forme de larges quantités de monnaie thésaurisées.
Les lourdes réparations imposées
à l’Allemagne conduisirent le Mark à se
déprécier par rapport aux autres monnaies
étrangères. Les nouveaux dirigeants socialistes avaient
également promis au peuple tous types de bontés :
augmentation de salaires, réduction du temps de travail, expansion du
système éducatif et nouveaux bénéfices sociaux.
Tout cela signifiait une vaste augmentation de la demande conjuguée
à des capacités de production limitées.
Toutes ces raisons firent que l’inflation reprit une fois la paix
revenue jusqu’à ce qu’en février 1920 le niveau de
prix atteigne cinq fois le niveau de prix à la date de
l’armistice. Pourtant, pendant ce laps de temps, la quantité de
monnaie en circulation n’avait fait que doubler. Les prix
augmentaient bien plus vite que le rythme auquel la monnaie
était imprimée. De ce fait, raisonnaient les dirigeants,
l’inflation ne pouvait pas être imputée au gouvernement.
En fait, comme nous le verrons plus loin, un mouvement de pendule entamant la
confiance peut jouer un rôle important sur la tendance des prix
à court terme. La confiance dans le Mark avait faibli. Dans le
même temps, en conséquence, des milliards de Marks
thésaurisés sortaient de leurs cachettes et entraient sur le
marché. Le
combustible accumulé se consumait.
En février 1920, cet épisode
inflationniste était terminé. Les quinze mois suivants,
l’index des prix était stable. Le Mark avait
véritablement gagné en valeur en comparaison des autres devises
étrangères, de sorte que les prix de certains biens
importés étaient tombés de 50%. Ceci était une
occasion en or pour établir une monnaie stable. Cependant, pendant ces
15 mois, le gouvernement continua à émettre de la monnaie nouvelle.
La monnaie en circulation avait augmenté de 50% et la dette flottante
de la Reichsbank de 100%, procurant du combustible
pour une nouvelle éruption.
En mai 1921, l’inflation des prix reprit et en
juillet 1922 les prix avaient augmenté de 700%. La Reichsbank
continuait d’imprimer de la monnaie nouvelle, bien qu’à un
rythme plus lent que celui de l’augmentation des prix. En fait,
pendant toute cette période, l’émission de la
monnaie avait lieu à un rythme lent et régulier tandis que
l’indice des prix se mouvait par grands bonds entrecoupés de
périodes de stabilité.
Après juillet 1922 la phase
d’hyperinflation commença. Toute confiance en la monnaie
disparut et l’index des prix à la consommation augmenta de plus
en plus vite pendant quinze mois, dépassant le rythme de la planche
à billets qui ne pouvait pas maintenir son rythme d’impression
aussi rapide que celui de la dépréciation de la monnaie.
Wholesale Price
Index
Indice des prix à la consommation
Juil 1914
|
1.0
|
Jan 1919
|
2.6
|
Juil
1919
|
3.4
|
Jan 1920
|
12.6
|
Jan 1921
|
14.4
|
Juil
1921
|
14.3
|
Jan 1922
|
36.7
|
Juil
1922
|
100.6
|
Jan 1923
|
2,785.0
|
Juil
1923
|
194,000.0
|
Nov 1923
|
726,000,000,000.0
|
Les années 1922-23
-- Hyperinflation
De juin 1922 à Novembre 1923,
l’hyperinflation fit rage. Le tableau ci-dessus nous en donne le
résumé. Il semble que les directeurs de la Reichsbank
pensaient que le problème de fonds sous-jacent était la
dépréciation du Mark par rapport aux autres monnaies. Vers la
fin de l’année 1922, ils ont essayé de soutenir le Mark
en l’achetant sur les marchés étrangers. Or, comme ils
continuaient d’imprimer la nouvelle monnaie à un rythme
fébrile, leur tentative fut vaine. Ils réussirent seulement
à acheter des Marks sans valeur en échange d’or et de
devises.
Tout espoir de contrecarrer l’effondrement du
Mark s’évanouit lorsqu’en janvier 1923, les
Français —allégeant des violations du traité de
paix— occupèrent la région industrielle clef de
l’Allemagne, la Ruhr. L’Allemagne subventionnait les
sociétés occupées et finançait un programme
onéreux de « résistance passive ». Des
nouveaux milliards de Marks étaient imprimés pour financer ces
nouveaux coûts importants. A la fin de 1923, 300 usines de fabrication
de papier tournaient à plein régime et 150 imprimeries avaient
2000 presses tournant jour et nuit pour imprimer de la monnaie.
Sous l’impulsion forcée de
l’inflation, les entreprises opéraient maintenant à un
rythme fiévreux et le chômage avait disparu. Cependant, les
salaires réels des ouvriers chutèrent tragiquement. Les
syndicats obtenaient des augmentations fréquentes mais elles ne
soutenaient pas le rythme. Les ouvriers —les domestiques, les ouvriers
agricoles et divers groupes de cols blancs— se portaient
particulièrement mal. Ils n’avaient pas de syndicats pour
réclamer des augmentations en leur faveur et étaient souvent
réduits à la disette. De nombreuses personnes portaient des
signes visibles de malnutrition. Les ouvriers qualifiés, les
écrivains, les artisans et les professionnels virent leurs salaires
diminuer jusqu’à atteindre celui des ouvriers
non-qualifiés ce qui signifiait souvent le strict minimum
nécessaire pour subvenir aux besoins élémentaires.
Les hommes d’affaires commencèrent à abandonner leurs
occupations légitimes pour spéculer sur les stocks et les
biens. Des milliers de petits patrons tentaient de gagner leur vie en
spéculant sur le tissu, les chaussures, la viande, le savon, les
vêtements ou tout autre produit qu’ils pouvaient se procurer.
Chaque dépréciation du Mark amenait une ruée sur les
commerces. Les gens achetaient des chapeaux ou des pulls à la
douzaine.
Vers le milieu de 1923, les ouvriers étaient
payés jusqu’à trois fois par jour. Leurs épouses
allaient à leur rencontre, prenaient l’argent et se
dépêchaient d’aller dans des magasins
l’échanger contre des biens. Cependant, à cette
époque là, et de plus en plus souvent, les magasins
étaient vides. Les commerçants ne pouvaient plus se procurer de
biens suffisamment vite pour protéger leurs recettes. Les fermiers
refusaient d’apporter leurs produits à la ville contre du papier
sans valeur. Des émeutes dues à la famine se
déclenchèrent. Des groupes d’ouvriers marchèrent
sur la campagne pour déterrer des légumes et piller les fermes.
Les entreprises commencèrent à fermer et, soudainement, le
chômage explosa. L’économie était en train de
s’effondrer.
Entre-temps, ceux de la classe moyenne qui
dépendaient de revenus fixes de toute sorte, se trouvèrent sans
ressources. Ils vendirent leurs meubles, vêtements, bijoux et
œuvres d’art pour se procurer à manger. Les petites
échoppes se remplirent de marchandises de cette sorte. Les
hôpitaux, les sociétés d’art et de
littératures, les institutions charitables et religieuses
fermèrent tandis que leurs fonds disparaissaient.
Puis, par un simple effort de volonté, le
gouvernement entra en jeu et stabilisa la monnaie du jour au lendemain.
Pendant tout le “miracle du Rentenmark” la dépréciation avait
été contenue, les affaires se ranimèrent et la bamboula
inflationniste s’acheva, avec cependant, comme nous allons le voir,
encore un vilain reste à venir.
Des millions d’Allemands appartenant à la classe moyenne
–normalement l’assise d’une république-
étaient ruinés par l’inflation. Ils devinrent
réceptifs à une propagande enragée de
l’extrême droite et formèrent un sol fertile pour Hitler.
Les ouvriers qui avaient souffert de l’inflation se tournèrent
en grand nombre vers les communistes. Les plus grands
bénéficiaires de cette énorme redistribution des
richesses furent les dirigeants industriels féodaux qui ne faisaient
pas confiance à la démocratie et se trouvèrent
prêts à négocier avec Hitler, pensant qu’ils
pourraient le contrôler. Les partis démocratiques et les
syndicats avaient perdu leur capital et étaient affaiblis. Le parti
libéral démocratique était discrédité.
Qu’est-ce qui a cause l’inflation?
Notre thèse est simple: l’inflation a
été causée par le gouvernement qui avait émis une
énorme vague de monnaie nouvelle et fait grimper les prix. Ensuite,
tandis que l’inflation gagnait en ampleur, les événements
semblaient exiger d’imprimer encore et toujours plus de papier monnaie.
Stopper le processus aurait demandé du courage politique mais celui-ci
faisait défaut. Comme d’habitude, les faits véritables
étaient dissimulés derrière des montagnes d’excuses,
d’explications et de propagande blâmant tout un chacun sauf le
véritable coupable.
Tout d’abord, il serait faux de penser que
tout le monde était opposé à l’inflation. Beaucoup
de dirigeants de grandes entreprises l’acceptèrent volontiers.
Elle effaçait leur dette. Ils savaient comment se protéger et
même comment en tirer profit, en spéculant sur les devises, en
échangeant la monnaie contre des biens et des usines, en empruntant de
l’argent à la banque et en l’utilisant pour acheter des
stocks bon marché et des entreprises concurrentes. Leurs coûts
salariaux, en valeur réelle, diminuait et gonflait leurs profits.
Pourtant de nombreux ouvriers pensaient également en
bénéficier, tout au moins dans les débuts de
l’inflation. Leurs salaires augmentaient et ils mirent un certain temps
à se rendre compte que les prix augmentaient encore plus vite et
qu’ils accusaient en fait une réduction de leurs revenus
réels.
Une masse de spéculateurs vit le jour qui
négociait des biens et des devises et qui avait un
intérêt direct dans des inflations continues. Et le gouvernement
ne pouvait s’empêcher de réaliser que l’inflation
allégeait son fardeau de dettes et l’aidait à vaincre ses
problèmes financiers.
Par dessus tout, le fait que l’inflation
était en fait le résultat des réparations
imposées par le traité de paix devint un article de foi tant
chez les leaders politiques que chez les citoyens ordinaires. Cela voulait
dire, c’est ce qu’on avançait alors, que l’Allemagne
était dépouillée de son or, de ses devises et de sa
richesse ; et donc qu’elle allait faire faillite.
Les dirigeants allemands pensaient que
l’effondrement du Mark prouvait qu’il était bien
impossible pour l’Allemagne de payer les réparations qui
étaient exigées d’elle. La stabilisation du Mark leur
aurait ôté cette « preuve ». En
particulier après l’occupation de la Ruhr en Janvier 1923 par la
France, la destruction du Mark fut perçue comme un coup contre
l’occupant haï – la seule réponse patriotique
possible pour l’Allemagne désarmée.
Finalement, l’inflation sembla apporter la
prospérité. En 1921, alors que le reste du monde semblait
s’enliser dans une sévère dépression, les indices
de production crurent significativement en Allemagne. A la fin de 1921, le
Mark se stabilisa temporairement et l’activité s’affaiblit
promptement. Au début de 1922, le Mark dérapait de nouveau et
les entreprises furent ranimées immédiatement. Les gens
achetaient des biens aussi vite qu’ils obtenaient de l’argent ;
les sociétés se dépêchaient d’investir et de
transformer leurs revenus en actifs immobiles. L’Allemagne était
enviée pour sa « prospérité » par
de nombreux étrangers. [Cela ne vous rappelle-t-il pas les Etats Unis
modernes, avec des gens achetant des actions plutôt que des
biens ?]
Le mécanisme de l’inflation est simple.
Le gouvernement émet des promesses papier de paiement et la Reichsbank émet des billets garantis sur ces
promesses. Quand un gouvernement dépense plus d’argent
qu’il n’a de revenus, il doit emprunter. S’il se contente
d’emprunter auprès de ses propres citoyens à qui il vend
des obligations, l’inflation n’est pas indispensable. La monnaie
-au lieu d’être dépensée ou investie par le
citoyen- est empruntée et dépensée par le gouvernement
mais le montant total de monnaie en circulation n’est pas
augmenté.
Quand le gouvernement a besoin de davantage
d’argent que son propre peuple n’est prêt ou en mesure de
lui prêter, il doit monétiser sa dette. C’est ce qui se
passe dans ce pays si le gouvernement creuse un gros déficit. La
Réserve Fédérale, notre banque centrale,
« achète » autant d’obligations que
nécessaire pour stabiliser le marché. Elle émet des
billets sur la garantie créée par ces obligations. En dépit
de la façade d’un gouvernement soi-disant
« empruntant » de l’argent, le résultat
net est une création monétaire par la planche à billets.
(En fait, la monnaie est crée sous la forme de nouveau compte de
dépôts –de la monnaie scripturale— mais le
résultat est exactement le même que si des billets
étaient imprimés).
C’est ce qui s’est passé en
Allemagne. Le gouvernement a émis des billets qui ont
été promptement escomptés par la Reichsbank,
c’est à dire que la Banque a émis de la monnaie garantie
par des « obligations » sur ces billets sans valeurs.
Pour compléter ce méfait, la banque a omis d’augmenter
son taux d’intérêt de manière suffisante. Les
hommes d’affaires trouvaient très profitable d’emprunter
de la monnaie d’une banque, d’acheter des biens, des actions et des
sociétés. Leur dette était ensuite rapidement
effacée grâce à l’inflation et les hommes
d’affaires restaient en possession des biens tangibles qu’ils
avaient acquis. Le résultat net fut une « inflation
privée » colossale causée par une expansion rapide du
crédit. Même l’échange avec l’étranger
était financé par de l’argent emprunté de sorte
que la Reichsbank finançait en fait la
spéculation contre sa propre monnaie. Pourtant la banque refusait
d’augmenter les taux d’intérêts, argumentant que
cela ne ferait qu’augmenter le coût du commerce et qu’ainsi
elle ferait augmenter l’inflation !
Le système d’imposition
s’effondra aussi. Les hommes d’affaires virent qu’en
repoussant le paiement de leurs impôts, la dépréciation
du Mark éliminait pratiquement leur véritable valeur. Mais le
gouvernement, sans revenus adéquats, se sentait forcé de
recourir de plus en plus à la création monétaire. En
Octobre 1923, 1% des revenus du gouvernement provenaient de ses revenus et
99% de la création de nouvelle monnaie.
Mais la force principale qui donnait à
l’inflation son impulsion fut la diminution constante de la
véritable valeur de la monnaie en circulation. Ceci a
été observé dans toutes les inflations du passé
et il est vital de comprendre ce mécanisme si l’on veut faire
face à l’inflation. Pendant la guerre, comme nous l’avons
vu, l’inflation des prix était en retard par rapport au rythme
auquel la monnaie était émise. Mais maintenant, comme les gens
perdaient confiance, les prix commençaient à augmenter bien
plus vite que le gouvernement ne pouvait créer de la monnaie. Ainsi la
quantité totale de monnaie en circulation chuta dramatiquement
mesurée en termes de pouvoir d’achat véritable. Un
économiste affirma qu’ « en comparaison des besoins,
il y avait moins de monnaie en circulation en Allemagne actuellement
qu’avant la guerre. Cette affirmation peut causer la surprise, mais
elle est correcte. La circulation est maintenant de 15 à 20 fois celle
d’avant guerre, tandis que les prix ont augmenté de 40 à
50 fois. » En fait, la quantité totale de monnaie calculée
en valeur or était tombée de 7428 millions de Marks en janvier
1920 à seulement 168 millions en juillet 1923.
En dépit de la prolifération des
milliards de millions de Marks, le citoyen moyen trouvait de plus difficile
en plus difficile d’obtenir suffisamment d’argent pour acheter
les produits de première nécessité. Les banques, sans
monnaie suffisante, ne pouvaient plus honorer le paiement des chèques.
Les hommes d’affaires avaient des difficultés pour acheter du
matériel et payer les salaires. Le gouvernement faisait face au
même problème. Il semblait qu’il n’y eut pas
beaucoup d’argent disponible, en fait, pas suffisamment du tout. La
clameur en faveur de davantage d’argent grondait de toutes parts. Il
semblait qu’un arrêt des planches à billets conduirait les
entreprises à s’arrêter et jetterait des millions
d’ouvriers à la rue. Le gouvernement lui-même serait
incapable de poursuivre. Chevauchant un tigre, il n’osait pas
descendre. Le 25 octobre 1923, la Reichsbank nota
que ce jour-là elle avait émis 120 millions de milliards de
Marks. Malheureusement, la demande du jour avait était de 100 000
millions de milliards. Elle annonça cependant qu’elle
augmenterait la production et que l’émission journalière
serait bientôt de 500 millions de milliards !
Une fois la confiance en la monnaie perdue tout le
monde cherche à s’en débarrasser. Comme Lord Keynes
l’a souligné, cela accélère fortement la
circulation et donc les prix augmentent plus vite que le gouvernement ne peut
imprimer cette monnaie. Marshall, en étudiant ce processus, conclut
que « la valeur totale d’une monnaie-papier non convertible
ne peut être accrue en augmentant sa quantité ; toute
augmentation de la quantité qui semble se répéter va
faire diminuer la valeur de chaque unité dans une proportion plus
grande que l’augmentation de la quantité. »
Habituellement, cependant, les gouvernements
accusent toute chose et tout le monde, excepté eux-mêmes,
d’être à l’origine de l’inflation. Quand
l’inflation est en décalage par rapport à l’émission
de billets, comme c’était le cas durant la guerre, ils disent
que cela prouve que l’émission de monnaie ne représente
pas un risque très élevé. Plus tard, quand la confiance
s’évapore, les prix explosent au-delà des
émissions d’argent et cela est de nouveau tenu pour la preuve
que le gouvernement n’est pas le responsable— car il
n’émet qu’avec réticence la monnaie devenue
désespérément nécessaire en raison de prix
croissants.
Nous conclurons cette discussion avec une citation
tirée du livre du Dr. Milton Friedman, Dollars et déficits.
Friedman remarque qu’après la Révolution russe, les
bolchéviques introduisirent une nouvelle monnaie. Ils en
imprimèrent d’énormes montants et bientôt elle
devint presque sans valeur. Au même moment la monnaie tsariste ancienne
circulait encore et maintint sa valeur en termes de biens. Elle
s’appréciait énormément en termes de nouvelle
monnaie. Pourquoi cela ? Parce que la monnaie n’était pas
convertible. Personne ne s‘attendait à ce que le gouvernement
tsariste ne revienne. Alors pourquoi cette monnaie tenait-elle le
coup ? « Parce que », dit Friedman,
« il n’y avait personne pour continuer à
l’imprimer ».
Les effets de l’inflation sur les
affaires
Tandis que l’inflation continuait, les gens se
précipitaient pour acheter des biens et se débarrasser de la
monnaie qui se dépréciait. Pour des raisons analogues, les
hommes d’affaires se dépêchaient d’acheter des
machines, de construire de nouvelles usines, d’acheter d’énormes
stocks d’acier et d’autres matières premières. Ceux
qui avaient accès au crédit, s’endettaient lourdement
à cette fin et l’inflation effaçait leur dette. Il y
avait une conversion énorme d’actifs circulants en actifs
immobilisés. Les entreprises se développaient et le
chômage avait virtuellement disparu jusque dans les derniers stades de
l’inflation.
Les fermiers se débarrassèrent de leur
argent en achetant des équipements lourds et plus tard, beaucoup
d’entre eux se retrouvèrent devant des stocks énormes de
machines inutiles. Les constructions navales furent élargies bien
au-delà des besoins du marché. Les mines marginales furent
ouvertes conduisant à une surproduction ultérieure. Mais tandis
que les industries basiques prospéraient, il existait une sévère
dépression dans les industries de biens de consommation telles que le
textile, la viande, la bière, le sucre et le tabac. De nombreux
ouvriers et les personnes ayant un revenu fixe perdirent leur pouvoir
d’achat.
Un processus de concentration de l’industrie énorme avait
lieu. Les grandes entreprises ou des groupements pouvaient plus facilement
augmenter les prix, obtenir des matières premières et surtout
des crédits bancaires. De plus, ils pouvaient émettre du
« Notgeld » c’est
à dire une monnaie d’urgence qui de plus en plus souvent venait
remplacer le Mark papier en tant que moyen d’échange. Certains
de ces nouveaux groupements industriels étaient rationnels et
efficients mais nombre d’entre eux étaient seulement des
groupements spéculatifs. Une nouvelle race de financiers vit le
jour.
Les grands leaders industriels allemands – des
hommes comme Krupp, Thyssen et Siemens— avaient développé
de nouvelles idées de base en termes de technologie ou
d’organisation. Mais à ce moment-là, les étoiles
montantes, c’étaient les spéculateurs astucieux et les
manipulateurs qui s’orientaient vers un négoce rapide et
allaient de bons plans en bons plans et de sociétés en
sociétés. Les gagnants étaient ceux qui anticipaient
très tôt et correctement le cours des événements,
qui s’endettaient jusqu’au cou et achetaient des biens, des
actions et des compagnies à un prix intéressant. Les
conglomérats virent le jour quarante ans avant l’âge
d’or des conglomérats aux Etats-Unis. Le plus grand
opérateur de cette époque probablement, Hugo Stinnes, avait
formé un conglomérat géant incluant des
sociétés actives dans le pétrole, le charbon,
l’acier, les constructions navales, les constructions
électriques, les assurances, les journaux et les hôtels. Il
mourut en 1924 juste avant que son empire ne se disloque dans les courants
froids de cette période de stabilisation. Bien des associations et
conglomérats « champignons » étaient en
fait des bulles spéculatives qui ne pouvaient survivre que tant
qu’elles profitaient de l’inflation continue.
Sous le couvert de cette prospérité,
il existait un gâchis et une inefficacité énormes.
Beaucoup des usines créées par le capital nouveau
étaient peu rentables ou inutiles. Les intermédiaires se
multipliaient comme des sauterelles et plus de temps et
d’énergie allaient à la spéculation et au travail
administratif engendrés par les fluctuations monétaires
incessantes, les nouvelles lois de finances et les conflits sociaux. La
spéculation amena les banques à se multiplier ; il y
avait 100 000 employés de banque en 1913 et plus de 375 000 en
1923. Le travail devint bien moins productif. Les ouvriers étaient
pré-employés à résoudre leurs propres
problèmes de négoce, d’augmentation des salaires et
à demeurer au delà du niveau d’inflation. Avec des
salaires papier augmentant rapidement et un niveau de chômage bas, ils
étaient moins enclins à travailler dur. En dépit du boom
en surface, la production nette réelle était moins grande que
l’année précédente.
Les fluctuations erratiques des prix des coûts
et des salaires rendaient l’allocation des ressources et la production
rationnelle impossibles. De plus en plus, les hommes d’affaires
devenaient des spéculateurs de biens et de devises. Cependant, peu
d’entreprises faisaient faillite car leurs dettes étaient constamment
allégées par l’inflation. Le nombre de faillites avait
été de 815 par mois en 1913 et à la fin de 1923, il
n’était plus que de 10 par mois.
Finalement cependant, dans les dernières
phases de l’inflation, l’économie commença à
s’effondrer. Les commerçants ne pouvaient plus acquérir
de biens ou alors, n’en tiraient plus de profit. L’argent
qu’ils recevaient se dépréciait trop vite. Les fermiers
arrêtèrent de vendre leurs produits. De plus en plus de magasins
étaient vides, et le chômage commença à faire
rage.
Certains économistes ont argumenté que
l’inflation a pu aider l’Allemagne en stimulant la construction
d’usines de biens d’équipements et la rationalisation de
l’industrie. Mais une bonne part de cet investissement n’avait
aucune valeur en dehors du monde de rêves de l’inflation. La
plupart des groupements se disloquèrent après la stabilisation.
Dans l’ensemble, beaucoup d’énergie et de richesses ont
été détruites dans des canaux peu productifs —la
spéculation, la gestion administrative et les équipements peu
profitables. Les actifs circulants de l’industrie étaient
largement dissipés rendant ainsi le processus ultérieur
éventuel de reconstruction économique et de rationalisation.
Stabilisation- le Miracle du Rentenmark
En Novembre 1923, une réforme monétaire fut entreprise.
Une nouvelle banque, la Rentenbank fut
créée pour émettre une nouvelle monnaie —le Rentenmark. Cette monnaie était échangeable
contre des obligations supposément garanties par la terre et les
entreprises industrielles. Un montant total de 2,4 milliards de Rentenmarks fut émis et chaque nouveau Rentenmark était évalué à 100
milliards de Marks papier anciens. A partir de ce moment, la
dépréciation stoppa –les Rentenmarks
maintinrent leur valeur et même l’ancienne monnaie papier se
maintinrent de manière stable. L’inflation cessa.
Quel était le secret du “miracle du Rentenmark”? Après tout, la nouvelle monnaie
n’était convertible en rien du tout. Sa couverture par des
valeurs réelles immobilières constituait une pure fiction
étant donné qu’il n’y avait aucun moyen par lequel
cette propriété pouvait être saisie ou distribuée.
De plus, nous voyons le gouvernement distribuant une vaste quantité de
monnaie 2 400 milliards de milliards d’anciens marks. Comment cela ne
devrait-il pas conduire à une nouvelle inflation ?
Pour comprendre cela, nous devons nous souvenir que la réelle valeur
de la monnaie circulant à la fin de 1923 était faible
–l’équivalent d’à peine 168 millions de gold
marks d’avant guerre. La dépréciation continue
à ce moment-là était due au simple manque de
confiance— à la croyance que la planche à billets
continuerait à imprimer à l’infini. Mais en fait, il y
avait un manque cruel d’argent et un besoin réel de monnaie. La
nouvelle monnaie pouvait être introduite sans inflation des prix seulement
si les gens avaient confiance en elle. Comment la faire s’établir?
Premièrement, le gouvernement annonça que la nouvelle
monnaie serait « wertbeständig »,
donc stable en valeur. Dans leur appétit d’une monnaie
utilisable, les gens acceptèrent ceci, du moins jusqu’à
preuve du contraire. Ensuite, la garantie de la monnaie semblait donner
à la monnaie sa valeur. De manière véridique, même
si les Assignats de la révolution française, couverts par des
propriétés, s’étaient
dépréciés, cette garantie avait aidé.
Deuxièmement, et c’est certainement le plus important, le
gouvernement limitait strictement la quantité de Rentenmarks
qui pouvait être émise, ralentissait l’émission,
l’escompte de billets et la création de Marks papier.
Finalement, après 1924, la Reichsbank stoppa
son expansion du crédit aux entreprises qui avaient stimulé
l’inflation. On exigeait des entrepreneurs qu’ils remboursent
leurs crédits en Marks or, pour un montant égal à leur
valeur originale. Après cela, l’incitation à
l’endettement fut terminée sauf dans les cas légitimes.
En août 1924, la réforme fut complétée par
l’introduction d’un nouveau Reichsmark, égal en valeur au Rentenmark. Le Reichsmark avait une couverture de 30% en
or. Il n’était pas convertible en or mais le gouvernement
entrepris de le soutenir en achetant sur les marchés étrangers
les montants nécessaires.
De nouvelles taxes drastiques furent imposées et une fois
l’inflation terminée, les revenus provenant des impôts
augmentèrent considérablement. En 1924-25, le gouvernement avait
un budget excédentaire.
Après la stabilisation, la plupart des
compagnies se retrouvèrent avec une pénurie d’actifs
circulants. Leurs fonds avaient été dissipés ou
convertis en biens et usines et la liquidité était très
rare. Ils ne pouvaient plus être soutenus par un flot de capital aux
dépens de détenteurs d’obligations et des ouvriers. Les
impôts constituaient une lourde charge, tout comme les accords
salariaux qui avaient été signés pendant
l’inflation.
Le climat entrepreneurial changeait. Maintenant il existait une demande
énorme pour des biens de consommation mais les industries de biens de
production qui s’étaient surdéveloppées
pendant l’inflation étaient maintenant fragilisées.
D’énormes stocks de charbon, acier et autres matériaux
qui avaient été accumulés faisaient office de
médicament sur le marché. L’agriculture et le bâtiment
florissaient cependant.
Beaucoup de compagnies spéculatives et de conglomérats
qui avaient été formés pendant l’inflation
étaient incapables de survivre. Ils faisaient faillite ou bien se
scindaient en leurs entités d’origine. En 1923, il y avait eu
seulement 263 banqueroutes. En 1924, il y en avait eu 6033. La plupart des
spéculateurs de la grande inflation étaient ruinés ou
sortaient de l’avant scène des affaires. Cependant, les
sociétés fortes, bien organisées telles que Krupp et
Thyssen, qui avaient résisté à la sur-expansion et
à la spéculation étaient en mesure de faire face
à la période de stabilisation et de réduire leurs
coûts.
Comment les investissements se sont-ils comportés?
Au début, il est important de comprendre combien il est
difficile d’obtenir un revenu réel durant l’inflation. Les
cadres, les ouvriers qualifiés et autres personnes habituées
à savourer un bon niveau de revenus virent leurs salaires réels
drastiquement réduits. Ceux qui se dépendaient de leurs
économies pour financer leur train de vie durent faire face à
une terrible situation.
Les intérêts provenant
d’obligations ou de fonds placés dans des comptes d’épargne
déprécièrent bientôt au point de ne plus avoir de
valeur du tout. Les actions payaient des maigres dividendes ou aucun, les
dirigeants des entreprises avaient besoin d’argent pour leurs actifs
circulant ou bien utilisaient le capital pour construire et spéculer.
Les propriétaires de propriétés immobilières ne
s’en sortaient pas mieux, le gouvernement gelait les loyers ce qui,
bientôt voulut dire que les locataires purent occuper les locaux quasi
gratuitement. Toucher le capital conduisait à de grandes pertes
financières puisque le cash, les obligations et même les actions
perdaient rapidement leur valeur. Le besoin urgent en revenus avait un effet
important sur les prix véritables de divers types de
propriétés et d’investissements.
Liquide: La monnaie détenue sous forme de cash perdait
rapidement et complètement sa valeur. De toutes les formes
d’investissements, c’était la plus désastreuse.
Dépôts bancaires: En théorie, les dépôts bancaires perdaient leur
valeur aussi rapidement que le cash. Cependant, après la stabilisation
le gouvernement décréta un remboursement partiel et des sommes
environ 15 à 30 % de la valeur originale du dépôt furent
restituées. Naturellement, bien évidemment, la majorité
des déposants avait retiré ses fonds à un moment ou
à un autre pendant l’inflation, après avoir perdu une
grande partie de leur valeur et les avait échangés contre des
biens tangibles. Peu
d’Allemands maintinrent leurs dépôts pendant toute la
période.
Obligations et hypothèques: Comme généralement dans une période
d’inflation, les obligations et les hypothèques perdirent encore
plus rapidement leur valeur que le liquide. Après la stabilisation,
une restitution partielle fut accordée par la loi. Les
détenteurs des obligations du gouvernement furent remboursés
à hauteur de 2,5% de la valeur originale des obligations.
Les détenteurs d’hypothèques reçurent
également un remboursement, tandis qu’une loi en 1925 accordait
un remboursement de l’ordre de 15-25% pour les entreprises
détentrices d’obligations bien que le paiement fût
reporté de quelques années. De nouveau, quelques investisseurs
conservèrent leurs obligations ou hypothèques durant toute la
période, la plupart des détenteurs s’en étaient
cependant débarrassés, quelque soit la maigre pitance
qu’elles rapportaient pendant l’inflation.
Biens immobiliers: Les agriculteurs et les détenteurs de propriétés
immobilières urbaines semblèrent profiter de leurs biens si
ceux-ci étaient hypothéqués, car bientôt
l’inflation effaçait leurs dettes. Cependant, ils ne recevaient
pas de revenus non plus, car, comme nous le notions plus haut, les loyers
étaient gelés. Après la stabilisation, de nouvelles
lourdes taxes et un besoin urgent de liquidités força la
plupart des détenteurs à ré-hypothéquer leurs
terres et souvent, plus lourdement que précédemment, de sorte
que leurs gains étaient illusoires. Pourtant, pour ceux qui
conservèrent leurs biens immobiliers réussirent à sauver
le capital ainsi investi. Cependant, ceux qui avaient vendu pendant
l’inflation (souvent parce qu’ils avaient
désespérément besoin de liquide) s’en sortirent
médiocrement. Parce qu’il ne rapportait aucun revenu, les
biens immobiliers se vendaient à des prix extrêmement bas durant
l’inflation.
Devises: ceux qui
détenaient des fonds en dollars, livres ou autres monnaies stables, ou
bien de l’or sauvèrent leur capital. Le gouvernement
décréta des contrôles des changes rigides tandis que
l’inflation faisait rage. Et comme d’habitude sous de telles conditions,
le marché noir fleurissait. Ceux qui s’en sortaient le mieux
étaient ceux de la petite minorité qui avait eu la sagesse
d’échanger leurs marks contre des monnaies
étrangères ou de l’or très tôt, avant que
les nouvelles lois ne rendent cela très difficile et que le mark ne
perde trop de valeur.
Propriété personnelle: Le capital était préservé par
ceux qui l’avaient échangé suffisamment tôt contre
des objets dont la valeur était durable : pièces de
monnaies rares, timbres, joaillerie, œuvre d’art,
antiquités ou contre de la marchandise telle que les vêtements,
du tissu, etc. Bien sûr, la plupart des gens ne comprenaient pas quel
pouvait être l’avantage d’accumuler des tels biens
jusqu’à ce que l’inflation soit bien implantée. A
ce moment-là, le prix de tous les biens avait tellement
augmenté qu’ils semblaient être de très très mauvaises affaires. Pendant cette
période, l’argent liquide semblait être une chose encore
bien pire.
Actions communes: Dans une période d’inflation, les actions les plus
communes sont généralement considérées comme un
moyen sûr de se protéger contre l’augmentation des prix et
même un moyen d’en profiter. En pratique, ce n’est pas si
simple. Dans notre pays, le cours des actions a chuté violemment au
moment même où l’inflation était la plus
évidente. (1946, 1957, 1966, 1969). Les fluctuations du marché
– le décollage de nouvelles actions spéculatives, des
vagues de peur ou d’avarice— tout cela rend plus ou moins facile
l’achat ou la vente au mauvais moment ou de mauvaises décisions.
En creusant les détails, nous pouvons dire que ceux qui ont
acheté un portefeuille bien diversifié, dans des entreprises
solides et bien établies à un stade précoce de
l’inflation et qui ont conservé leur portefeuille non seulement
durant toute la période mais aussi durant la crise de stabilisation
ont sauvé une bonne part ou la totalité de leur capital.
Cependant, il y a beaucoup de pièges durant cette longue
période pour l’avare, le peureux et le téméraire.
Ceux qui s’en sortirent le mieux furent les investisseurs dont le
caractère était non-émotif et solide, ayant une
confiance de base dans le fait que les entreprises solides et bien
dirigées s’en sortiraient et possédant en même
temps à une immunité à l’excitation, l’anxiété
ou aux tentations spéculatives.
De nombreuses montées raides mais
brèves et les déclins du marché conduisirent à
une large spéculation, et des investisseurs bien intentionnés
se changeaient souvent en traders. Naturellement, la plupart d’entre
eux ne réussirent qu’aussi pitoyablement que les
spéculateurs amateurs ne le font généralement. Nombre
d’entre eux décidèrent que la spéculation
était la seule approche sensée, quand l’économie
entière et la structure financière étaient visiblement
en train de s’émietter, qui pouvait attendre patiemment et avec
confiance en la valeur des choses à long terme ?
Ceci pourrait-il arriver ici?
Depuis 1939 l’indice général des prix a augmenté
de 200% environ dans ce pays. Une grande part de l’inflation
était due au gouvernement qui émit de larges quantités
de monnaie pour financer trois guerres. Vous pouvez être certain que si
nous sommes impliqués dans d’autres guerres et que nos
dépenses militaires augmentent, il va y avoir une autre montée
d’inflation. Les gouvernements modernes ont peur d’imposer les
taxes nécessaires pour financer la guerre. Ils
préfèrent de loin l’inflation, politiquement plus facile.
La vague d’inflation la plus récente
qui a commencé en 1965 était déclenchée par une
expansion énorme des dépenses pour la guerre du Vietnam. Le
gouvernement était en déficit, jusqu’à 25
milliards et une bonne partie de cette dette était
monétisée dans un processus similaire à celui de la Reichsbank monétisant la dette du gouvernement
Allemand. La principale différence réside dans le fait que la
monnaie nouvellement engendrée est essentiellement présente
sous forme de dépôts bancaires et non de nouvelles impressions
de billets de banques. Dans la mesure où la demande de
dépôts bancaires est en fait véritablement de l’argent
convertible en monnaie et utilisable pour n’importe quel type
d’achat, le résultat net est le même.
Au moment même où les coûts pour financer la guerre
du Vietnam croissaient comme des champignons, notre gouvernement entrepris un
vaste programme de dépenses sociales. On argumentait que ce pays avait
les moyens de se payer les armes et le beurre. Le résultat fut une
inflation qui avait déjà imposé une taxe sur le capital
de 20% sur toute l’épargne détenue sous forme de
liquidité, d’obligations, d’assurance et de paiement de
pensions et tout autre revenu fixe.
Or, en mars 1970, le gouvernement et la
Réserve fédérale se sont déjà battus
pendant une année pour contrôler l’inflation.
Jusqu’à présent, ils ont seulement réussi à
ralentir l’économie mais les prix ont continué à
grimper tout aussi vite qu’avant. La raison en est simple.
L’inflation a développé un élan. De nombreuses
personnes, en particulier les hommes d’affaires, n’ont plus foi
dans l’action du gouvernement. Ils attendent un boom et une inflation plus
grands à venir. Donc, ils se débarrassent de leur argent aussi
vite que possible et le convertissent en biens, machines et usines.
Même si notre usine a déjà trop de besoins et n’est
utilisée qu’à 82% de sa capacité, le boom de la
construction se poursuit. Les raisons sont précisément les
mêmes que celles qui ont conduit à ce comportement pendant
l’inflation allemande.
A la fin des années 1960, j’ai
également vu le début d’une nouvelle race de
spéculateurs financiers. Des conglomérats énormes se
sont organisés, souvent empruntant lourdement et tirant avantages des
trends inflationnistes. Bien que leurs actions aient explosé en
1967-68, la peur d’une toute petite déflation et d’une
économie plus calme les conduisit à un déclin drastique
de 60-80% en 1969. De nombreuses pertes sérieuses ou des chutes
très rudes des bénéfices furent reportées. Nous
croyons que beaucoup de ces compagnies ne pourraient survivre pendant une
période de récession ou de déflation. De plus,
quelques faillites parmi quelques unes des gigantesques compagnies
spéculatives de premier plan pourraient avoir pour effet une
réaction en chaine et un crash financier. Et c’est là que
réside le grand danger de l’inflation.
Aujourd’hui le public s’attend et exige
du gouvernement qu’il maintienne la prospérité et le
plein-emploi. Si une crise sévère se déclenchait,
Washington n’aurait pas le choix du tout —il lui faudrait
dépenser d’énormes sommes pour sauver les
sociétés, lancer des programmes de travaux publics et rembourser
les hypothèques. Or, dans le même temps, les revenus provenant
des impôts diminueraient considérablement tandis que les profits
des entreprises disparaissent. Les impôts ne pourraient pratiquement
pas être augmentés dans ces circonstances. Que ferait le
président ? Faire marcher la planche à billets Que
pourrait-il faire d’autre ? [Note de l’éditeur :
Rappel : après que cet article a été écrit,
la convertibilité du dollar en or a été suspendue en
1971, deux crises du pétrole ont eu lieu en 1973 et 1979 et des
dépenses massives de guerre froide caractérisèrent les
années 1980.]
Ironiquement, nous pensons que tout ceci a pu être
déclenché par une campagne contre l’inflation. Il se peut
que celle-ci ait trop de succès. Les managers de la monnaie
à Washington ont pour but de ralentir
légèrement l’économie. Cela va réduire les
dépenses et l’investissement et, nous l’espérons,
faire ralentir le taux de croissance des prix. Nous pensons que cela peut
fonctionner pendant un temps et dans une certaine mesure. Malheureusement,
cela contient un très grand danger.
Durant les dernières années du boom
inflationniste, la dette est allée beaucoup trop haut. Le
gouvernement, les individus et en particulier les entreprises ont
emprunté et dépensé sans limite. Dans une période
inflationniste, cela est raisonnable. Dans le même temps, la
liquidité est à son niveau le plus bas. Le liquide et les
billets du gouvernement représentent 20% de moins que les
emprunts des entreprises contre un taux normal de 40-50% (et 89% juste
après la guerre).
Le danger est que certaines des entreprises les plus
vulnérables vont avoir de gros problèmes et que ces
problèmes vont se transmettre. En 1954, 1958 et 1960
l’économie a pu résister à une récession
modérée sans qu’il n’y ait une escalade vers
quelque chose de pire. En 1970, ceci n’est plus le cas. La tendance
vers une crise de liquidité et une dette dangereusement haute se sont
poursuivies depuis vingt ans et d’autres chiffres indiquent que le
point de non retour est proche. Il se peut que cela arrive très vite
ou bien pas encore pendant de nombreux mois ou même un an ou deux. Qui
peut prédire à quel moment un petit courant d’air va
être en mesure de détruire un château de
cartes branlant?
Une fois que l’avalanche de la
déflation financière et économique est en route, elle
peut se développer à une vitesse impressionnante. Bientôt
le gouvernement au lieu de se soucier de l’inflation se trouvera en
train d’utiliser des mesures désespérées pour
empêcher l’effondrement et il aura des déficits de 100
milliards ou plus. A court terme, dans un sens pragmatique, Washington va
simplement avoir l’impression de soulager les difficultés, agir
dans l’urgence etc. A long terme, ce qu’il fera sera de
créer de l’inflation au point où l’essentiel de la
dette sera effacée et un nouveau départ sera alors possible.
Bien sûr, cela sera aux dépens de millions
d’épargnants qui vont perdre l’essentiel de leur capital.
Nous espérons que cette expropriation sera moins lourde qu’en
Allemagne.
Reprinted from The Nightmare German Inflation by Scientific
Market Analysis, 1970.
Michael J. Kosares
USAGold
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