On en parlait
beaucoup voici quelques années, il fait aujourd'hui son retour dans le
débat public. Promesse de campagne du candidat Nicolas Sarkozy en
2007, le contrat de travail unique (CTU) fera de nouveau parler de lui dans
les mois à venir. Et le récent
rapport de l'Institut Montaigne, qui défend l'assouplissement du
contrat à durée indéterminée (CDI) en même
temps que son universalisation, n'est pas pour rien dans cette
réapparition.
Pour le
Figaro, le CTU signifie la mort du contrat à durée
déterminée (CDD) et le CDI pour tous. « C'est
plutôt l'inverse », rétorque-t-on à gauche.
Deux analyses pertinentes, selon que l'on adopte un point de vue juridique ou
économique. Qu'en est-il exactement, et quel serait l'impact
réel du CTU sur l'emploi en France ?
Derrière
le slogan, une réalité complexe
Le CTU, un CDI
pour tous ? La réalité est plus complexe,
l'universalisation du CDI présupposant la disparition du CDI tel que
nous le connaissons aujourd'hui. Car si le CDI devenait, demain, le seul
contrat possible, ce serait au prix des changements proposés par
l'Institut Montaigne.
L'un des
changements les plus importants serait la possibilité de modifier
unilatéralement certaines clauses du contrat. Ainsi il ne s'agirait
plus de différencier les CDI des CDD (qui représentaient 80%
des contrats signés au dernier trimestre 2009), mais de distinguer les
différents types de CDI selon leur degré de flexibilité
et le contenu des clauses pouvant être modifiées.
Les juristes
ne tarderaient pas à évoquer trois types de contrats :
« plutôt rigides », « plutôt
flexibles », « relativement
équilibrés ». Classification que les partenaires
sociaux complèteraient par une distinction entre les contrats
« favorables à l'employeur », les contrats
« favorables au salarié », et enfin – mais
plus rarement sans doute – les contrats « relativement
équilibrés ». A peine disponible en rayon, le
contrat unique existerait déjà en neuf coloris, voire plus.
Ne surestimons
donc pas la simplicité du dispositif. Ni ses vertus
égalisatrices. Car si le contrat de travail unique décristallise
la distinction entre les contrats précaires (à durée
déterminée) et les CDI, il ne peut rien contre des
phénomènes socio-économiques comme l'accumulation des
« petits boulots » ou, à l'extrême
opposé, la productivité décroissante des
« planqués ». Le CTU, nouveauté
essentiellement juridique, aura peu d'impact sur la réalité
économique.
Aussi,
contrairement à ce que sous-entend le rapport
de MM. Cahuc et Kramarz
publié en 2004, l'universalisation du CDI ne facilitera ni ne
compliquera l'accès au logement : bailleurs et banquiers
apprendront comme tout le monde à faire le distinguo – plus
qu'ils ne le font déjà – entre le CDI du cadre ou du
fonctionnaire et celui du travailleur saisonnier. On change les mots, pas les
choses.
La notion
d'objet initial défini
L'autre
innovation importante mentionnée par l'Institut Montaigne serait la
notion d'objet initial défini. Nouveauté de prime abord
ingénieuse : si A emploie B pour réaliser un certain
travail, il paraît logique que le contrat arrive à
échéance dès lors que le travail est
réalisé. La durée du contrat de travail unique
dépendrait donc du progrès de la mission confiée au
salarié et serait, à ce titre, indéterminée.
En ce sens,
évoquer l'universalisation du contrat à durée
indéterminée est tout à fait justifié. Mais le
principe de l'objet initial défini peut-il, lui, être
universalisé ?
Quel serait,
par l'exemple, l'objet initial défini du vigile, de l'employé
de rayon ? C'est une première objection.
D'aucuns
diront que « la réalisation d'une étude statistique
en x jours » est un objet initial défini – mais
réintroduire une dimension temporelle dans l'objet du contrat ne
revient-il pas à maquiller en CDI de vulgaires CDD ? C'est une
deuxième objection, d'autres sont possibles.
En outre,
l'objet initial défini est-il compatible avec le mécanisme de
la rémunération horaire ? Car combiner les deux, c'est
favoriser les comportements les plus malhonnêtes : si j'ai la
garantie d'être payé aussi longtemps que le travail n'est pas
terminé, pourquoi me priverais-je de faire en cinq jours ce que je
peux faire en cinq heures ? N'en
déplaise à l'Association Nationale des DRH, ce
fonctionnement n'est pas moins désincitatif
que le fait de savoir à l'avance quand le contrat arrive à son
terme.
À ce
premier effet pervers s'en ajouterait un deuxième :
soupçonnant ses salariés de travailler moins pour gagner plus,
l'employeur pourrait tester sur eux de nouvelles formes de management,
relevant plus de la surveillance que de l'encadrement, et portant in fine
préjudice tant au salarié qu'à l'entreprise
elle-même. Exiger par exemple des salariés qu’ils fassent
constamment la preuve de leur
motivation peut en effet instaurer un climat de méfiance et
inciter au mensonge, ce qui ne favorise ni la circulation de
l’information au sein de
l’entreprise, ni la productivité du personnel.
Plus qu'un
quelconque acharnement sur les plus démunis, l'inefficacité
prévisible du CTU contre les emplois précaires trahit
l'impuissance du législateur face à la complexité des
phénomènes sociaux, comme en témoignent les effets
pervers évoqués plus haut. C'est une leçon d'humilité.
C'est aussi
une incitation à s'interroger sur la situation de l'emploi en France
et sur les raisons pour lesquelles la précarité est devenue la
norme. Une précarité qu’expliquent non seulement les
obstacles au licenciement, mais encore et surtout le poids des charges
sociales sur les entreprises et, partant, sur leurs salariés.
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