| L’étude des sources de la croissance économique est le plus ancien thème de la science économique (et probablement le plus fondamental). Depuis la publication de l’ouvrage de Adam Smith portant sur La nature et les causes de la richesse des nations, ce thème est bien étudié par les économistes. Aujourd’hui, les principales causes de la croissance sont bien connues (même si les dirigeants politiques sont sourds aux travaux des économistes en ce domaine, persistant à ignorer les principaux enseignements de la dynamique économique) ; elles résident principalement dans le travail (quantité et qualité des travailleurs) et dans le capital (volume et rajeunissement du capital), mais aussi dans un troisième facteur, appelé « facteur résiduel ». Après bien des débats concernant la nature et l'identification de ce terme résiduel, la plupart des économistes voient dans ce facteur le poids de l’environnement institutionnel, et notamment du degré de liberté économique et du respect des droits de propriété qui existent dans un pays. En effet, les pays qui misent sur l'initiative – à l’origine de la création des entreprises ou des innovations - et la qualité des hommes réussissent mieux que ceux où l’Etat intervient sans cesse, avec un secteur public pléthorique, des réglementations étouffantes, des impôts élevés, des restrictions aux échanges extérieurs et une corruption importante (ce qui est le cas dans la plupart des pays, notamment des pays dit en voie de développement). Une lecture un peu superficielle – et trop mécaniste - des processus économiques conduit à conclure que l’investissement entraîne automatiquement le progrès technique, lequel est source de croissance économique. Cependant, un pays peut investir massivement sans bénéficier pour autant de progrès technique significatif (Algérie, Russie soviétique). De plus, un pays peut être à l’origine d’innovations très sophistiquées sans pour autant connaître une croissance vigoureuse et durable (France). A la lumière des expériences historiques (effondrement des pays à économie administrée, crise de l’Etat-Providence) et des avancées théoriques (modèle de Solow, théorie de la croissance endogène), les économistes considèrent aujourd’hui que l’activité entrepreneuriale suppose des conditions institutionnelles spécifiques (C.I.S.), qui sont favorables à l’innovation et à l’investissement, et d’où résulte la croissance[1]. Ce n’est pas tant l’investissement qui entraîne l’innovation ; mais l’investissement et l’innovation sont tous deux le résultat d’une cause plus fondamentale : la liberté d’entreprendre et de disposer des fruits de son travail. C’est bien la création des entreprises et leur développement qui sont la seule source de richesses réelles. Cependant, il faut bien reconnaitre que la croissance a toujours été un phénomène contesté. Dans les pays développés, à la suite du premier rapport du Club de Rome (« halte à la croissance » - 1958), de la conférence de Rio de Janeiro (1991) puis du Sommet de la terre à Johannesburg (2002), il a été beaucoup discuté des inconvénients de la croissance économique, en particulier sur l'environnement, et des avantages d'un arrêt de la croissance économique (croissance zéro). Il est vrai que la mode, en ce domaine, est de considérer que c’est la répartition des richesses qui est devenue la priorité actuelle plutôt que leur production. Le succès même des expressions comme développement durable illustre ce propos. Même si ces aspirations procèdent d’intentions séduisantes, elles oublient quelques éléments fondamentaux : - premièrement, seuls des pays riches peuvent innover et lutter contre la pollution, notamment en mettant au point des technologies propres ; - deuxièmement, l'arrêt de la croissance économique implique parallèlement un arrêt de la progression du niveau de vie, des difficultés accrues pour l'emploi et une augmentation de la pauvreté. Si l'on doit stopper la croissance, à quel progrès renoncer en priorité ? - troisièmement, les richesses ne pré-existent pas aux individus ; il faut donc les produire car il ne saurait y avoir de distribution de richesses sans production. La répartition des richesses est inséparable de leur production. Or, si personne n’est incité à produire et à innover, la pénurie peut toujours réapparaître (exemple des grèves des convoyeurs de fonds qui entraînent la pénurie dans les distributeurs de billets ou des barrages routiers qui provoquent la pénurie de carburant) ; S’il y a des pays riches d’un côté et des pays pauvres de l’autre côté, c’est que les premiers ont bénéficié des processus de croissance. Mais, si l’on stoppe la croissance, tout le monde retombe dans la pauvreté. - quatrièmement, l’innovation qui résulte de l’investissement des entreprises et des Etats aboutit généralement à économiser les ressources devenues rares, donc à moins solliciter l’environnement. Or, l’innovation est intrinsèquement liée à la dynamique de croissance. - enfin, le concept de « ressources naturelles » n’a pas de pertinence en économie. D’une part, le Japon a rattrapé en trois décennies les USA et ne dispose que de peu de ressources naturelles ; la Russie, au contraire, possède d’abondantes ressources naturelles mais n’a pas connu de processus de croissance durable durant tout le XX° siècle. D’autre part, le pétrole était d'abord un déchet naturel. Il est devenu une ressource suite à l’invention du principe du moteur à explosion, c'est-à-dire une innovation qui est fondamentalement le produit d’un travail humain. *** *** *** [1] « It could be the case that some countries are better able to exploit the common pool of technological progress than others, for reasons that have nothing to do with the rate of capital formation ; but in exactly those technologically progressive countries investment is most profitable, so naturally the rate of investment is higher. Or else rapid technical progress and high investment could both be the result of some third factor, like the presence of conditions that encourage entrepreneurial activity” in Solow R.M. [1987]. Growth Theory, An Exposition, Oxford University Press, p.xxiv. | |