Se
campant crânement sur un terrain qui leur est familier, les
gouvernements européens s’engagent stoïquement sur une voie
étroite avec un seul impératif : tenir ! Sous la
férule des Allemands – les Français n’ayant pas
d’autre choix que de les suivre, faute d’avoir une politique
– c’est le parti du non qui l’a emporté : non
aux euro-obligations ! non à l’accroissement
immédiat des moyens du fonds de stabilité (EFSF) ! A
l’occasion d’une nouvelle rencontre, Angela Merkel
et Nicolas Sarkozy viennent de boucler le dossier, après que la
position française se soit faite attendre.
Les
Grecs, les Irlandais, les Espagnols et les Portugais ne vont avoir comme
seule ressource que de serrer davantage les dents, les Italiens les
rejoignant petit à petit dans cet exercice, en attendant que
d’autres s’y mettent à leur tour franchement. Avec comme
perspective lointaine, à l’horizon de début 2013, la mise
au point d’un nouveau dispositif de sauvetage qui reste à
inventer. Par la grâce d’une procédure
allégée de révision des Traités européens
évitant toute consultation référendaire ou vote
parlementaire.
Réunis
les 16 et 17 décembre prochains, les chefs d’Etat et de
gouvernement pourront alors annoncer qu’ils ont accompli un grand pas
en avant en se mettant d’accord pour gagner six mois par rapport au
calendrier original, ce qui leur permettra de masquer l’étendue
de leurs désaccords à propos du fonctionnement de ce nouveau mécanisme
de crise. En espérant que tout tiendra jusque là.
Bien
évidemment, rien n’est moins sur. Car sur le marché
obligataire, la situation continue de se tendre. Une étape de plus a
été franchie dans l’escalade, qui ne concerne plus les
taux obligataires des pays entrés dans la zone des tempêtes mais
ceux qui semblaient destinés à rester dans des eaux calmes. Les
Etats-Unis outre-Atlantique et l’Allemagne en Europe voient les taux de
leurs obligations à leur tour commencer à monter, exprimant une
tendance de fond.
Vice-président
de la BCE, Vitor Constancio
vient d’en donner la raison. « La principale source
d’inquiétude vient de l’interférence entre les
problèmes de dette souveraine et la vulnérabilité de
certains segments du secteur bancaire de la zone euro » est-il
écrit dans le rapport semestriel de stabilité financière
dont la publication vient d’intervenir. « Et l’un des
canaux de risque est la possibilité [de les voir entrer en]
compétition pour l’épargne sur le marché des
capitaux », a-t-il commenté.
Il
a estimé que les banques européennes de la zone euro allaient
devoir trouver sur le marché obligataire 1.000 milliards d’euros
afin de se refinancer dans les deux ans à venir, au moment même
où les Etats vont connaître le pic de leur propre demande. Il y
a risque non seulement de bousculade, mais aussi d’augmentation des
taux pour les uns comme pour les autres.
Cultivant
inévitablement l’optimisme, Vitor Constancio – bien connu dans son pays pour avoir su
opportunément fermer les yeux pour la cause des banques prises la main
dans le pot à confiture, en tant que Gouverneur de la Banque du
Portugal – spécule à son tour sur le taux de croissance
européen, qui pourrait selon lui permettre d’absorber le choc
grâce à l’augmentation de l’épargne qui en
résulterait. Jugeant par ailleurs décisif pour le retour de
la sérénité sur les marchés que
« les gouvernements poursuivent leur politique de consolidation
budgétaire », ce qu’il faut entendre par :
sollicitent moins les marchés pour laisser la place aux banques.
A
bien y réfléchir, n’est-ce pas le même souci qui
anime la BCE, quand elle cherche – sans y parvenir pour le moment
– à se désister sur les Etats de la charge que
représente le soutien des obligations des pays de la zone des
tempêtes ? Une manière d’imposer la contraction des
émissions.
L’un
des postulants à la succession de Jean-Claude Trichet à la
tête de celle-ci, Mario Draghi,
déjà membre de son conseil des gouverneurs en tant que
président de la Banque d’Italie, a choisi un autre
prétexte pour exprimer ces craintes, si ces achats devaient se
poursuivre et augmenter en volume : « Je suis tout à fait
conscient des risques que nous avons de franchir la ligne et de perdre tout
ce que nous avons, de perdre notre indépendance, et au fond, de violer
[les traités européens] », a-t-il
déclaré au Financial Times. Une indépendance un peu
malmenée par ailleurs, lorsque l’on constate que le seul
responsable de la BCE qui soutient les propositions d’euro-obligations
du premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker est
précisément luxembourgeois lui-même…
McKinsey,
le consultant financier international, vient à point nommé de
publier une étude prévoyant la fin de trois décades de
faibles taux d’intérêt. Tant en raison de la demande
grandissante en capitaux des pays émergents que du
vieillissement de la population qui a, selon l’étude, pour
conséquence une baisse de l’épargne. Une hausse
progressive du coût de l’argent dans les cinq années
à venir, qui pourra atteindre 1,5 % en plus du taux actuel, va
résulter de l’insuffisance des capitaux disponibles qui en
découlera.
L’une
des conclusions de McKinsey est que les gouvernements des pays développés
vont devoir accroître l’épargne et moins dépendre
de la consommation des ménages, tandis que les pays émergents
vont devoir développer leurs marchés financiers afin
d’attirer les investisseurs. Autrement dit, les premiers vont se serrer
la ceinture et les seconds ouvrir des terrains de jeu aux financiers.
Mais,
pour revenir aux banques, un malheur ne vient décidément jamais
seul. Elles pensaient avoir une arme secrète en réserve, afin de
répondre d’ici 2019 aux obligations de renforcement de leurs
fonds propres de Bâle III. Les fameux CoCos,
ces obligations se transformant automatiquement en actions en cas de coup
dur, suivant un signal convenu d’avance, évitant ainsi
d’avoir à procéder à des augmentations de capital.
Des centaines de milliards d’euros de CoCos
pourraient être dans les années à venir proposés
sur le marché obligataire européen, mais il y a un hic,
selon Standard & Poor’s.
Ces
produits financiers sont des petits nouveaux et rien ne dit que les
marchés en absorberont de telles quantités, car ils
pourront être jugés trop risqués, ou proposés
à un prix pas assez attractif. Encore une nouvelle hausse des taux en
perspective, avec une autre conséquence : seules les banques les plus
solides boucleront ainsi leurs émissions, laissant les autres en plan
en les obligeant de revenir à des méthodes plus
traditionnelles, favorisant par ricochet la concentration bancaire au profit
des mégabanques.
Toutes
ces fâcheuses perspectives ne sont pas pour demain matin, tandis que de
possibles restructurations de la dette des pays de la zone des tempêtes
sont de plus proche actualité. Dans le contexte général
qui vient d’être décrit, il ne manquerait plus que cela
pour contribuer à la hausse des taux !
Cela
explique sans nul doute que, selon Brian Lenihan
lui-même, le ministre des finances irlandais, ce sont les
représentants de l’Union européenne qui se sont
catégoriquement opposés, lors des négociations du plan
de sauvetage, à toute décote obligataire au détriment
des créanciers des banques irlandaises. Quitte à faire porter
le chapeau aux Irlandais.
Suivant
une inspiration semblant fort proche, l’agence de notation Fitch vient d’avertir qui de droit que
l’adoption d’un mécanisme de décote en faveur du
futur fonds permanent d’aide financière européen
était susceptible d’avoir des conséquences
négatives sur la note des pays qui pourraient être amenés
à en bénéficier. Ce qui signifie, sans attendre.
« A
ce stade, il n’y a pas suffisamment de détails sur le
mécanisme de stabilité européen, notamment la
participation des créanciers du secteur privé, pour se
prononcer sur les conséquences exactes sur la notation de leur dette
souveraine » a-t-elle déclaré de la manière
contournée si propre aux milieux financiers.
Carlo
Cottarelli, le directeur du département des
affaires budgétaires du FMI, a été quant à lui
plus direct : « Je pense que cette approche non orthodoxe
n’est pas une bonne idée », a-t-il asséné,
s’appuyant sur l’idée que les classes moyennes en
subiraient le contre-coup, détenant de la
dette publique « directement ou indirectement ». Nous
revoilà avec une fois de plus sur les bras les petits rentiers,
toujours aussi serviables, victimes d’habitude désignées
de l’inflation et cette fois-ci menacés d’un autre grand
malheur.
La
cause semble donc entendue, si l’on va à l’essentiel. Il
ne faut pas effaroucher les marchés, qui doivent avoir la
garantie que les obligations souveraines sont assorties de zéro
risque, et il faut par contre que les Etats s’effacent devant les
institutions financières pour que celles-ci puissent emprunter
à moindre prix. Les marchés et les institutions
financières, ce sont les mêmes…
On
n’a pas d’ailleurs fini de reparler des banques, puisqu’un
nouveau round de stress tests va être lancé en février
prochain. Une annonce qui, sans risque de se tromper, signifie qu’il y
a toujours des gros bobos à dissimuler de ce
côté-là et un fort besoin de CoCos.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
presslib’ » est libre de reproduction
en tout ou en partie à condition que le présent alinéa
soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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