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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Il règne un silence assourdissant
parmi les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, alors que la
crise dans la crise que connaît l’Europe est en train de
progressivement s’élargir. Centrée initialement sur la
Grèce, elle est en train de s’étendre résolument
en Espagne et au Portugal. Nous étions suspendus à un signal,
qui aurait pu être donné par Jean-Claude Trichet, le
président de la BCE – dont une réunion des gouverneurs
avait lieu aujourd’hui – mais il n’est pas venu.
La Grèce doit continuer à
ne compter que sur elle-même. Jean-Claude Trichet s’est
contenté de déclarer que le gouvernement grec avait fait
« des pas dans la bonne direction », ce qui impliquait qu’il
allait devoir en faire d’autres. Cherchant à relativiser la
crise actuelle, comparant le déficit public de la zone euro à
celui des Etats-Unis ou du Japon : 6% pour la première et 10%
pour les seconds. Une faible parade, puisque ce sont les maillons faibles de
la zone euro qui sont menacés (et elle dans son entier, par ricochet)
et qu’aucune manifestation de solidarité financière de sa
part n’est donc toujours annoncée.
Car il y a dans la situation actuelle une
nouveauté importante : ce ne sont plus seulement les
situations particulièrement périlleuses de tel ou tel pays de
la zone euro qui semblent motiver les
marchés, mais aussi l’inaction et le silence des principaux
pays membres, l’Allemagne et la France. Il est en effet clair que les
efforts qui sont demandés à la Grèce, vu leur importance
extrême, ne pourront être réellement accomplis que si une
aide financière lui est par ailleurs accordée. Sa
fragilité de départ est accentuée par sa solitude dans
l’épreuve, et non le contraire.
Les
déclarations prononcées par Joaquim Almunia,
commissaire aux affaires économiques sortant, avaient aggravé
hier la tension. « Certains membres de la zone euro, avec des
positions de départ différentes, des caractéristiques
différentes, partagent des problèmes communs »,
avait-il déclaré à propos de la Grèce, du
Portugal et de l’Espagne. Un autre son de cloche prévalait
aujourd’hui, afin de tenter de calmer le jeu. Le chef de file de
l’Eurogroup, Jean-Claude Junker,
déclarait que l’Espagne et le Portugal « ne posent
pas de risque ». Caroline Aktinson, la
porte-parole du FMI, choisissait pour sa part de décerner un
satisfecit aux Grecs: « Nous pensons assurément que les
objectifs du plan sont bien choisis ».
Les regards se tournent désormais
vers Madrid, qui a préventivement annoncé un plan
d’austérité de 50 milliards d’euro sur trois ans,
accueilli avec scepticisme tant en raison de son montant et des mesures
qu’il implique que des prévisions de croissance sur lequel il
repose. Or, les rumeurs se multiplient à propos d’un abaissement
de la note de la dette publique espagnole par une nouvelle agence de
notation, emboîtant le pas de Standard & Poor’s,
qui l’a fait en décembre dernier. Le taux des obligations
à trois ans passant en moyenne à 2,61% à
l’occasion d’une nouvelle émission, au lieu de 2,13%
début décembre. L’Espagne a un autre poids
économique au sein de la zone euro que la Grèce, elle en est la
4 éme puissance économique, et tout
problème l’atteignant aurait d’importantes
répercussions dans toute la zone.
Faute d’informations, on en est
réduit à faire des suppositions, afin de comprendre les raisons
de l’attitude des principaux pays de la zone euro. Il a
été largement fait état de discussions, dans un premier
temps, puis plus rien n’est sorti…. On sait seulement
qu’une des solutions qui aurait pu être trouvée
était la création d’euro-obligations, mais qu’elle
a été refusée, depuis déjà des mois, tout
à la fois par les Allemands, les Français et les
Néerlandais. Car elle reviendrait, tous les pays de la zone
émettant ce nouveau type d’obligations bénéficiant
du même taux, à faire profiter de celui-ci les pays les plus
vulnérables sur le marché de la dette, au détriment des
plus forts, qui obtiennent actuellement de meilleurs taux que ceux
qu’obtiendraient des euro-obligations. On a également
envisagé de réunir des soutiens d’Etats isolés ou
de groupes d’Etats, ainsi qu’une intervention de la Banque
européenne d’investissement (BEI), qui a aussi été
étudiée.
En réalité, le dossier
n’est pas technique mais politique. Les mesures qui pourraient
être adoptées pour soutenir la Grèce seront
inévitablement appelées, en effet, à faire
jurisprudence. Les sommes qui devraient être engagées et
levées suivant des modalités ad hoc seraient plus que
conséquentes et entraîneraient ceux qui les garantiraient, de
jure ou de facto, plus loin qu’ils ne sont prêts à
l’envisager. Créant par ailleurs une sorte d’aléa
moral qu’il est hors de question d’accorder aux gouvernements
(alors qu’il l’a été aux banques). Risquant de les
induire à chercher à esquiver la mise en vigueur de plans
d’austérité, l’objectif numéro 1.
Ce calcul risque d’être de
plus en plus difficile à tenir, si l’Espagne et le Portugal
entrent à leur tour dans la zone de tempête, risquant de
déstabiliser celle de l’euro bien au-delà de ce que
pourrait faire la Grèce. En réalité, la solidité
de la zone euro est menacée dans les deux cas de figure possibles, en
cas d’un secours généralisé à tous ses
membres (mutualisant le coût d’une dette devenue énorme),
ou en cas d’abandon des pays les plus faibles, ce qui sera très
probablement illusoire. Il faut donc choisir entre deux risques.
Car qui dit que les marchés en
resteraient là ? N’ont-ils pas
compris que, dans la crise actuelle, c’est l’Europe en entier
– zone euro et Grande-Bretagne – qui est le maillon faible
qu’il faut attaquer ? Que
l’éclatement de la zone euro ouvrirait un terrain
spéculatif d’élection, permettant d’élargir
le champ d’action du Forex
(l’énorme marché hautement spéculatif des devises) ? Ils feraient ainsi coup double, disposant de
nouveaux leviers pour leurs opérations financières et obligeant
les gouvernements à entrer dans la dynamique vertueuse – de leur
point de vue – de la résorption de leurs déficits, et de
leur sollicitation moindre du marché obligataire. Laissant aux
établissements financiers la place pour se financer à moindre
coût.
Le compte à rebours est
lancé.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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