Comment
ne pas être fasciné par le double compte à rebours
engagé des deux côtés de l’Atlantique ? Des
négociations au finish s’y déroulent au bord de ce qui
est décrit comme un précipice, leur issue jusqu’au
dernier moment incertaine. Des plans fusent de tous côtés,
suscitant plus de questions qu’ils n’apportent de
réponses, des compromis sont recherchés.
Les
dernières rumeurs laisseraient à penser que des accommodements
seront de part et d’autre trouvés, faisant gagner du temps. Ce
qui demande confirmation.
Si
l’on cherche à aller plus loin, à comprendre le coup
d’après, à ne pas s’en tenir à la
description de la confusion ambiante et à ses raisons, que peut-on
sans plus attendre observer ?
En
Europe, l’enjeu est clair si les modalités de ce qui est
recherché ne le sont pas. Les différentes variantes du plan
concocté sous les auspices de l’Institute of International
Finance ont pour but de transférer aux Etats la dette publique défaillante,
à ce jour encore détenue par les établissements
financiers, au prix du marché c’est à dire avec une
décote, en contrepartie de garanties pour l’avenir. Selon ces
plans, les banques acceptent, pour des montants et dans des conditions qui
restent à préciser, à faire la part du feu à
condition de ne pas y revenir. Les Etats prennent à leur charge la
suite des opérations et le reste du fardeau. On parle beaucoup du
risque de défaut qu’il faut à tout prix écarter et nettement moins des garanties publiques
qui seraient apportées. Le partage se présenterait de
manière particulièrement inégale, si l’un de ces
plans était finalement retenu.
Dans
cette même logique, des plans d’austérité de plus
en plus sévères s’étendent progressivement
à de nouveaux pays, le dernier en date étant l’Italie.
Aucun ne va être à l’arrivée épargné.
Deux objectifs sont poursuivis, à court et à long terme. Dans
l’immédiat, l’objectif est de réduire les
déficits publics dans un très bref laps de temps, afin de
soulager le marché obligataire de la pression qu’y exerce la
demande obligataire souveraine. Et pour que le système financier
puisse y accéder dans de meilleures conditions, car il apparaît
que sa propre demande – au titre de ses besoins de refinancement comme
du renforcement de ses fonds propres, et peut-être du financement
d’une nouvelle taxe – est très élevée. Pour
la suite, le rétrécissement de la sphère publique est
visé, dans le cadre de la poursuite de la financiarisation.
Somme
toute, nous pourrions assister à un double transfert. Au titre du
passé et du partage du fardeau de la dette qui y a été
contracté et de celui de l’avenir, en créant de nouvelles
opportunités financières, en substitution de celles qui ne
peuvent plus être poursuivies. La machine à fabriquer de la
dette ne pouvant prétendre conserver son même rendement.
Aux
Etats-Unis, le contexte est bien entendu différent, mais le
résultat visé est identique. L’Etat n’a plus les
moyens de s’endetter au rythme auquel il était accoutumé,
sa dette doit être stabilisée et son déficit
réduit. Une augmentation de ses recettes fiscales est
présentée comme rien moins que l’œuvre de Satan,
surtout si elle concerne les plus aisés. Il ne reste alors comme
option que de réduire les dépenses. L’exemple de la santé
illustre la manière dont il est envisagé de procéder.
L’accent est mis non pas sur la réduction des coûts
d’un système médical et pharmaceutique privé
très dispendieux, mais sur celle des programmes destinés aux
plus démunis ou des plus âgés, afin qu’ils puissent
accéder aux soins. Le reste à l’avenant.
Le
moteur de cette transformation n’est apparemment pas le même
qu’en Europe. Mais, à bien y regarder là encore, les
points de convergence l’emportent sur les dissemblances.
La
mondialisation réalisée sous les auspices du capitalisme
financier a aboutit à une désindustrialisation
et une baisse des activités productives de biens au profit des pays
émergents. Ce ne sont pas seulement les particuliers qui ont
été amenés à de plus en plus s’endetter,
mais également les Etats des pays développés,
afin de maintenir également leur train de vie. L’activité
financière, qui a impulsé le mouvement, fait progressivement
des pays émergents son nouveau terrain de jeu, afin d’y
appliquer les mêmes recettes qui lui ont tant profité ces trentes dernières années. Avec le risque
que cela dure moins longtemps, si l’on observe ce qui s’y passe
déjà.
Le
monde est en train de basculer, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur
est incontestablement que si la richesse est distribuée de
manière encore plus inégalitaire dans les pays émergents
qu’en Occident, le niveau de vie (et de consommation) y progresse, mais
selon une moyenne trompeuse. La pauvreté recule un peu, les
inégalités progressent beaucoup. Le pire est que ce même
dernier phénomène a été engagé dans les
pays développés, qui ne se développent plus, car
les pays émergents ont entretemps émergé. Il se
poursuit et s’approfondit.
Les
sociétés occidentales tendent, toutes proportions
gardées, à ressembler à celles des pays
émergents, à tel point que l’on parle de leur tiersmondisation. Les classes moyennes,
cette notion floue qui recouvre des réalités très
différentes, tendent à se développer dans les pays émergents,
et leur ascension est stoppée en Occident, tout en commençant
à se déliter par le bas.
Ce
qui y émerge, ce n’est plus l’extension de la
prolétarisation qui était précédemment
observée, mais le renforcement d’une précarisation qui
s’étend. L’affirmation de sociétés à
deux niveaux. Celle d’en haut et celle d’en bas. La formelle et
l’informelle. S’il existe une informalité du haut
et une autre du bas, elle correspond en bas à un réflexe
de survie, et en haut de protection. Les marchandises tombent du camion, ou
bien portent de fausses étiquettes ; le paradis est fiscal et les
résidences privées bien gardées par des vigiles qui
n’ont pas toujours leur carte de travail.
Le
rôle de l’Etat est amoindri, celui des sociétés
informelles se développe. Le travail au noir et les petits boulots en
marge de la légalité se développent dans nos
cités ; les plus riches se replient derrière les murs
qu’ils élèvent, dans un monde à part. Comme
l’analyse des sociétés émergentes le
montre, les deux mondes formels et informels se côtoient,
indispensables l’un à l’autre, étroitement
enchevêtrés.
Une
oligarchie qui ne connaît pas les frontières s’est
entretemps renforcée. Aux commandes des activités
financières et des grandes compagnies transnationales ainsi que des
Etats. L’activité politique a été investie par
l’argent et la corruption, la démocratie représentative
devenue formelle, les centres du pouvoir réel lui échappant.
Mais
l’avènement de ce nouveau monde, dont la description pourrait
être poursuivie pour ne pas s’en tenir à ces grands
traits, n’est pas sans accidents de parcours, comme on peut le
constater. Coexistent dans la transition en cours ce qui à la fois
socialement le préfigure sous sa forme plus achevée et ce qui
lui est dans la pratique opposé. La fin du film n’est pas
écrite. Dans l’immédiat, l’implosion du
système se poursuit…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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