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Le coup d’après

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Published : July 21st, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Comment ne pas être fasciné par le double compte à rebours engagé des deux côtés de l’Atlantique ? Des négociations au finish s’y déroulent au bord de ce qui est décrit comme un précipice, leur issue jusqu’au dernier moment incertaine. Des plans fusent de tous côtés, suscitant plus de questions qu’ils n’apportent de réponses, des compromis sont recherchés.


Les dernières rumeurs laisseraient à penser que des accommodements seront de part et d’autre trouvés, faisant gagner du temps. Ce qui demande confirmation.


Si l’on cherche à aller plus loin, à comprendre le coup d’après, à ne pas s’en tenir à la description de la confusion ambiante et à ses raisons, que peut-on sans plus attendre observer ?


En Europe, l’enjeu est clair si les modalités de ce qui est recherché ne le sont pas. Les différentes variantes du plan concocté sous les auspices de l’Institute of International Finance ont pour but de transférer aux Etats la dette publique défaillante, à ce jour encore détenue par les établissements financiers, au prix du marché c’est à dire avec une décote, en contrepartie de garanties pour l’avenir. Selon ces plans, les banques acceptent, pour des montants et dans des conditions qui restent à préciser, à faire la part du feu à condition de ne pas y revenir. Les Etats prennent à leur charge la suite des opérations et le reste du fardeau. On parle beaucoup du risque de défaut qu’il faut à tout prix écarter et nettement moins des garanties publiques qui seraient apportées. Le partage se présenterait de manière particulièrement inégale, si l’un de ces plans était finalement retenu.


Dans cette même logique, des plans d’austérité de plus en plus sévères s’étendent progressivement à de nouveaux pays, le dernier en date étant l’Italie. Aucun ne va être à l’arrivée épargné. Deux objectifs sont poursuivis, à court et à long terme. Dans l’immédiat, l’objectif est de réduire les déficits publics dans un très bref laps de temps, afin de soulager le marché obligataire de la pression qu’y exerce la demande obligataire souveraine. Et pour que le système financier puisse y accéder dans de meilleures conditions, car il apparaît que sa propre demande – au titre de ses besoins de refinancement comme du renforcement de ses fonds propres, et peut-être du financement d’une nouvelle taxe – est très élevée. Pour la suite, le rétrécissement de la sphère publique est visé, dans le cadre de la poursuite de la financiarisation.


Somme toute, nous pourrions assister à un double transfert. Au titre du passé et du partage du fardeau de la dette qui y a été contracté et de celui de l’avenir, en créant de nouvelles opportunités financières, en substitution de celles qui ne peuvent plus être poursuivies. La machine à fabriquer de la dette ne pouvant prétendre conserver son même rendement.


Aux Etats-Unis, le contexte est bien entendu différent, mais le résultat visé est identique. L’Etat n’a plus les moyens de s’endetter au rythme auquel il était accoutumé, sa dette doit être stabilisée et son déficit réduit. Une augmentation de ses recettes fiscales est présentée comme rien moins que l’œuvre de Satan, surtout si elle concerne les plus aisés. Il ne reste alors comme option que de réduire les dépenses. L’exemple de la santé illustre la manière dont il est envisagé de procéder. L’accent est mis non pas sur la réduction des coûts d’un système médical et pharmaceutique privé très dispendieux, mais sur celle des programmes destinés aux plus démunis ou des plus âgés, afin qu’ils puissent accéder aux soins. Le reste à l’avenant.


Le moteur de cette transformation n’est apparemment pas le même qu’en Europe. Mais, à bien y regarder là encore, les points de convergence l’emportent sur les dissemblances.


La mondialisation réalisée sous les auspices du capitalisme financier a aboutit à une désindustrialisation et une baisse des activités productives de biens au profit des pays émergents. Ce ne sont pas seulement les particuliers qui ont été amenés à de plus en plus s’endetter, mais également les Etats des pays développés, afin de maintenir également leur train de vie. L’activité financière, qui a impulsé le mouvement, fait progressivement des pays émergents son nouveau terrain de jeu, afin d’y appliquer les mêmes recettes qui lui ont tant profité ces trentes dernières années. Avec le risque que cela dure moins longtemps, si l’on observe ce qui s’y passe déjà.


Le monde est en train de basculer, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur est incontestablement que si la richesse est distribuée de manière encore plus inégalitaire dans les pays émergents qu’en Occident, le niveau de vie (et de consommation) y progresse, mais selon une moyenne trompeuse. La pauvreté recule un peu, les inégalités progressent beaucoup. Le pire est que ce même dernier phénomène a été engagé dans les pays développés, qui ne se développent plus, car les pays émergents ont entretemps émergé. Il se poursuit et s’approfondit.


Les sociétés occidentales tendent, toutes proportions gardées, à ressembler à celles des pays émergents, à tel point que l’on parle de leur tiersmondisation. Les classes moyennes, cette notion floue qui recouvre des réalités très différentes, tendent à se développer dans les pays émergents, et leur ascension est stoppée en Occident, tout en commençant à se déliter par le bas.


Ce qui y émerge, ce n’est plus l’extension de la prolétarisation qui était précédemment observée, mais le renforcement d’une précarisation qui s’étend. L’affirmation de sociétés à deux niveaux. Celle d’en haut et celle d’en bas. La formelle et l’informelle. S’il existe une informalité du haut et une autre du bas, elle correspond en bas à un réflexe de survie, et en haut de protection. Les marchandises tombent du camion, ou bien portent de fausses étiquettes ; le paradis est fiscal et les résidences privées bien gardées par des vigiles qui n’ont pas toujours leur carte de travail.


Le rôle de l’Etat est amoindri, celui des sociétés informelles se développe. Le travail au noir et les petits boulots en marge de la légalité se développent dans nos cités ; les plus riches se replient derrière les murs qu’ils élèvent, dans un monde à part. Comme l’analyse des sociétés émergentes le montre, les deux mondes formels et informels se côtoient, indispensables l’un à l’autre, étroitement enchevêtrés.


Une oligarchie qui ne connaît pas les frontières s’est entretemps renforcée. Aux commandes des activités financières et des grandes compagnies transnationales ainsi que des Etats. L’activité politique a été investie par l’argent et la corruption, la démocratie représentative devenue formelle, les centres du pouvoir réel lui échappant.


Mais l’avènement de ce nouveau monde, dont la description pourrait être poursuivie pour ne pas s’en tenir à ces grands traits, n’est pas sans accidents de parcours, comme on peut le constater. Coexistent dans la transition en cours ce qui à la fois socialement le préfigure sous sa forme plus achevée et ce qui lui est dans la pratique opposé. La fin du film n’est pas écrite. Dans l’immédiat, l’implosion du système se poursuit…





Billet rédigé par François Leclerc




Paul Jorion






(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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