Même les doreurs d’image et
les avocats des politiques économiques d’Abe s’attendaient à voir se
manifester un déclin des achats suite au passage de la taxe sur la
consommation de 5 à 8% au Japon le 1er avril dernier. Mais ils ne
s’attendaient certainement pas à ça…
La révision de cette taxe a
été proposée devant le Parlement par le prédécesseur du premier ministre Abe Shinzo. Elle était sensée sauver le Japon. Mais personne
ne veut jamais payer pour les dépenses gouvernementales. La taxe s’est
prouvée être si impopulaire que le premier ministre Noda
et son gouvernement ont été évincés peu cérémonieusement à la fin de 2012.
Le Japon est dans un bourbier
financier sans nom. La moitié de chaque yen dépensé par le gouvernement est
emprunté, imprimé par la Banque du Japon. Les dépenses ne peuvent être
réduites, d’après ce que l’on nous dit, et les aides financières distribuées
aux corporations japonaises ont même dû être révisées à la hausse. Mais une
action a dû être entreprise pour empêcher le déficit gargantuesque de faire
tout exploser, et elle l’a été aux dépens ceux qui dépensent de l’argent.
La taxe sur la consommation
est une mauvaise chose, elle impacte les biens et services achetés par les
entreprises et les individus, depuis les coupes de cheveux jusqu’aux légumes
et aux matériaux de construction. Cette hausse de trois points de pourcentage
sera donc imposée à une grande partie de l’économie.
Voilà où est le
problème : l’argent que les sociétés et les individus placent en banque
ne leur rapporte quasiment rien, et même les obligations japonaises sur dix
ans n’ont qu’un rendement de 0,6% par an. Alors en avançant leurs achats de
plusieurs mois voire d’un an pour combattre la hausse de la taxe sur la consommation
– en achetant leur réfrigérateur ou leur camion un an à l’avance, par exemple
– les consommateurs japonais ont pu économiser 3% du prix d’achat de leurs
biens. Ce sont des revenus purs. Sans taxes pour les individus. Ce qu’il y a
de plus limpide dans l’histoire financière japonaise.
Chaque individu a acheté à
l’avance ce qui pouvait durer, et ce qu’il pouvait se permettre d’acheter.
Les achats en masse ont commencé à la fin de l’année dernière et ont culminé
entre janvier et mars. En conséquence, le PIB a atteint un taux annuel de
5,9%, un accomplissement phénoménal pour le Japon.
Mais les Japonais sont déjà
passés par là. Avant la précédente hausse de la taxe sur la consommation de 3
à 5%, effective le premier avril 1997, les consommateurs et les individus se
sont lancés dans une frénésie d’achats. L’économie a explosé pendant deux
trimestres avant de finalement se réveiller avec un mal de tête terrible pour
voir les achats s’arrêter brutalement et l’économie plonger dans une
récession qui a duré un an et demi.
Mais cette fois-ci, c’est
différent. Le 23 mars, une semaine avant que la hausse de taxe ne prenne
effet, le Nikkei
a mené un sondage auprès des corporations pour déterminer si elles flottaient
encore sur un océan d’optimisme en raison de l’argent que les achats
anticipés faisaient rentrer dans les caisses. 70,2% ont dit que les ventes
devraient rester stables ou décliner de moins de 5% au cours de l’année
fiscale 2014, qui a commencé le 1er avril. 55,4% ont dit que
l’économie, supportée par les dépenses des consommateurs, devrait reprendre
courant septembre. Et 74,3% pensent voir une reprise s’installer avant décembre.
Pas de souci à se faire, donc.
Malheureusement, le Ministère
de l’économie, du commerce et de l’industrie vient de leur donner à tous une bonne
douche froide. Les ventes au détail ont plongé de 19,8% sur un mois en
avril, et de 4,4% sur un an. Mais ce chiffre inclue les ventes de produits
périssables que les consommateurs n’auraient pas pu acheter à l’avance. Dans
les magasins où les gens achètent habituellement des produits durables, tels
que des appareils électroménagers, des montres ou des voitures, les chiffres
ont été catastrophiques.
Les plus gros détaillants ont
vu leurs ventes perdre 25% depuis mars, et 5,4% sur un an. Dans les
supermarchés, où les gens achètent aussi des produits durables, les ventes
ont baissé de 3,9% sur un an – les gens ont même fait des réserves de
produits non périssables et de boissons. Dans les grands magasins qui vendent
des bijoux, des vêtements de luxe et des sacs à main, les ventes ont baissé
de 10,6% sur un an. Les ventes entre entreprises - 2,5 fois la valeur des
ventes au détail– - ont baissé de 20,4% depuis mars, et de 3,7% sur un an. En
clair, il s’agit du plus gros déclin des ventes enregistré depuis mars 2011,
qui faisait suite au tremblement de terre et au tsunami qui ont tué plus de
190.000 personnes au Japon.
Et ces ventes concernent des
prix qui ont gagné 3%. L’argent issu de la hausse de taxe ne reste pas chez
le vendeur mais est versé au gouvernement. Pour ce qui est des ventes de
marchandises, le scénario est donc trois points de pourcentage plus
catastrophique. Les ventes des gros détaillants ont perdu 28%, et pas 25%.
A la fin du mois de janvier,
la Japan Automobile Manufacturers
Association (JAMA) s’attendait à ce que les ventes de voitures familiales et
commerciales plongent
de 9,8% au cours de l’année fiscale 2014 pour passer à 4,85 millions
d’unités, un record à la baisse depuis le tsunami de 2011. Beaucoup ont
qualifié ces prévisions de catastrophistes.
Se trouve-t-il que JAMA se
soit au contraire prouvé optimiste. Les ventes automobiles se sont effondrées en avril. Selon les chiffres de la
demande d’immatriculation, toutes les catégories ont plongé : -60,3%
pour les voitures neuves, -48,9% pour les véhicules de moins de 500cc, -58%
pour les camions toutes catégories. Les ventes totales de voitures, camions, motos
et bus, ont perdu 63,3% pour passer à 345,226 unités, contre 939,761 unités
en mars.
Il s’agit là de la pire
performance enregistrée depuis les 292.043 unités d’avril 2011. Même en mars
2011, les ventes ont été bien meilleures. Voici un graphique représentant
l’effondrement des ventes du secteur automobile :
Une majorité des véhicules vendus
au Japon sont fabriqués dans le pays – malgré des décennies de protestations
de la part des fabricants américains, qui ont encore à poser pied sur le
territoire. La production sera donc forcée de baisser, les heures de travail
seront réduites, et les achats de composants suivront la tendance… Et le
ralentissement d’un secteur industriel tout entier se fraiera un chemin dans
les statistiques au cours de ces prochains mois. Pareil qu’en 1997.
Ce ralentissement viendra
s’ajouter au ralentissement actuel des dépenses des entreprises et des
consommateurs sur les produits durables. Les discours qui venaient conter les
miracles des politiques d’Abe et s’émerveillaient de voir les gens dépenser
de nouveau se transforment en des dorures d’image furieuses à mesure que les
économistes viennent nous dire que cette fois-ci, tout sera différent, et que
le mois d’avril n’était qu’une exception à la règle.
Le 30 mai, les Japonais se
sont réveillés pour découvrir ce qu’ils savaient déjà : en avril,
l’inflation a pris 3,4% sur un an, avec 5,2% pour les prix
des produits à la consommation. Mais leurs revenus ont stagné. Inflation sans
compensation. Les avocats de l’inflation n’en croiront pas leurs yeux. Mais
cela ne peut pas être bon pour les Japonais, ou pour l’économie.
Les actions de la Chine
découragent les corporations japonaises de venir s’y installer depuis des
mois. Je vous conseille de lire Exodus
of Japan Inc. Slams China