Revenons sur
une dépêche
de presse concernant le CV anonyme, parue le 9 juillet dernier et
passée largement inaperçue. En réponse à
plusieurs requêtes et mémoires enregistrés au
secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 22
décembre 2010 et 11 février 2011, présentés par
des militants favorables au CV anonyme tels que M. David van der Vlist
et la section Modem
de l’Institut d’Études politiques de Paris, le Conseil
d’État avait enjoint en juillet au Premier ministre
d’adopter le décret d’application de
la loi de 2006 rendant obligatoire les curriculum
vitae (CV) anonymes dans les entreprises de plus de 50 salariés. Le délai de cette
injonction est de deux mois à compter de la notification de la
décision, et tout
retard dans la publication du décret d’application sera
assorti d’une astreinte de 300 euros par jour.
Ce retour du
CV anonyme est d’autant plus surprenant que plusieurs rapports ont
déjà montré les limites de la pratique consistant
à supprimer le bloc « état civil »
d’un CV (nom, prénom, adresse, date de naissance). Ainsi, l’expérimentation
conduite par Pôle Emploi dans 8 départements entre novembre 2009
et novembre 2010 a donné lieu à des réactions critiques
à l’égard du projet de la loi de 2006.
Ce galop
d’essai avait en effet permis de comprendre que les personnes issues de
l’immigration et/ou résidants dans les ZUC/CUCS non seulement ne
sont pas particulièrement favorisées par cette mesure, mais au
contraire, elles semblent être même pénalisées. Un
rapport du CREST
indique ainsi que la pratique du CV anonyme coïncide avec une diminution
du taux d’accès à l’emploi de ces candidats que la
mesure était censée protéger.
Bien
qu’il soit impossible de cerner avec précision la raison de ces
résultats à première vue étonnants, plusieurs
éléments peuvent être mis en évidence. Parmi les
explications les plus plausibles, on peut avancer l’idée que les
Directeurs de ressources humaines (DRH) qui sont en principe réticents
à recruter certains profils seront d’autant plus prudents dans
la présélection des candidatures et interprèteront
d’autres indices à leur disposition, comme les lieux
d’obtention des diplômes. Inutile par ailleurs de souligner que
si un DRH ne souhaite pas recruter une personne en raison de
préjugés à l’égard du groupe auquel elle
appartient, rien ne l’empêchera de refuser sa candidature au
moment de l’entretien (si elle a passé l’étape de
la présélection des CVs) car il trouvera
toujours une raison politiquement correcte pour justifier son choix.
En outre, l’anonymisation
des CVs vient compliquer la mise en œuvre de
politiques volontaires en faveur de la diversité sociale pour les
entreprises qui souhaiteraient pratiquer la discrimination positive. Les
conclusions de l’étude du CREST, si elles étonnent
à première vue, apparaissent donc logiques.
Somme toute,
le CV anonyme n’empêchera pas les DRH qui pratiquent la
discrimination d’écarter les candidatures jugées
« indésirables », tout en compliquant les
politiques d’entreprises engagées en faveur de la
diversité sociale. Mais
pour mieux cerner les rouages de la pratique du CV anonyme qui
débordera inévitablement dans l’actualité lorsque
le décret d’application sera enfin publié, il sera
important de procéder dans le prochain billet à une analyse
plus approfondie des fondements philosophiques de cette mesure.
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