Dans un article paru cet été et depuis largement diffusé sur les réseaux
sociaux, le grand magazine économique romand Bilan a, l’air de rien, brisé un
tabou journalistique majeur : alerter sur la dangerosité du gonflement
du bilan de la BNS, dont les réserves de devises dépassaient désormais les
640 milliards de francs. (1)
Il y attirait l’attention du lecteur sur l’existence d’un coût caché de la
politique d’affaiblissement du franc, à savoir : le risque d’une fonte –
voire d’une disparition – des fonds propres de la BNS en cas de
« retournement des marchés », notamment du fait de sa
« surexposition à l’euro et au dollar ».
Pour en finir avec le mythe de l’autofinancement de la BNS
Pourtant, selon la thèse communément admise par les médias helvétiques, la
BNS peut parfaitement « opérer avec des fonds propres négatifs »
(2), puisqu’elle financerait gratuitement ses achats d’actifs en créant
elle-même de la monnaie à hauteur de plusieurs centaines de milliards de
francs (3). Dans ce cas, en effet, comment les pertes de la BNS
pourraient-elles avoir la moindre incidence sur l’économie suisse ?
Au vu de ces arguments bien installés depuis septembre 2011, le fait
qu’une revue spécialisée bien établie soulève les fragilités du bilan de
notre institut monétaire a de quoi interpeller. Se pourrait-il que les propos
tranquillisants dont notre presse s’est fait l’écho depuis des années
reposent, tout compte fait, sur des fondements moins sûrs qu’il n’y
paraissait ?
Pour y voir plus clair, il est nécessaire de rappeler que le gros de la
« création monétaire » à laquelle notre banque centrale se
serait livrée ces dernières années est lié à l’augmentation vertigineuse des
« avoirs en compte de virement des banques suisses et étrangères » à la
BNS, avoirs qui sont passés de quelque 5.5 milliards de francs en août 2008 à
plus de 470 milliards en août 2016.
Or, une analyse publiée sur ce blog en début d’année 2016 nous apprenait
que la compétence constitutionnelle de la BNS en termes de « création
monétaire » se limite à l’approvisionnement du marché en numéraire
(billets de banques et pièces de monnaie). (4) Ce constat est par ailleurs
confirmé par la BNS elle-même dans son glossaire en ligne :
Or, cette monnaie numéraire qui relève de la
compétence constitutionnelle de la BNS est passée de 40 à 72 milliards entre
2008 et 2016… Le reste vient des banques commerciales!
La conclusion, même si elle ne se trouve pas dans les manuels scolaires,
n’en est pas moins évidente : les centaines de milliards de francs
« d’avoirs en compte de virement des banques » dont nous venons de
parler sont autant de dettes que les banques commerciales détiennent
vis-à-vis de la BNS. (5)
En d’autres termes : l’explication convenue et rassurante qui nous a
tant été rabâchée depuis des années, selon laquelle la BNS financerait
gratuitement ses achats massifs d’actifs sur simple recours à la
« planche à billets » était, au mieux, un mythe – au pire, un
leurre.
Oser aller au bout du raisonnement
En Suisse alémanique, le Dr. Marc Meyer, éditorialiste bien connu
d’InsideParadeplatz, intègre pleinement cette donnée dans ses analyses. Il
affirme désormais explicitement que la BNS est bel et bien financée par les
banques, compagnies d’assurances et autres caisses de pension qui disposent
d’avoirs auprès d’elle (on y apprend aussi que le Crédit Suisse dispose, à
lui seul, de quelque 120 milliards de francs d’avoirs auprès de banques
centrales).
Le Dr. Meyer constate ainsi qu’une appréciation du franc de plus de 10% se
répercuterait inévitablement sur les bilans des pourvoyeurs de fonds de la
BNS, de telle sorte que « ce sont nous les
contribuables, les clients et le public, qui finirons par payer les pots
cassés ». (6)
Une vision certes peu rassurante, mais qui a le mérite de fournir une clé
de lecture à la multiplication des initiatives de la part des milieux
politico-économiques suisses pour s’assurer que les pertes du secteur
bancaire seront reportées sur le contribuable et le déposant le moment
venu : loi « too-big-to-fail » (2011), ordonnance de la Finma
sur l’insolvabilité bancaire (2012), rapport du Conseil fédéral sur le
« too-big-to-fail » (2015). (7)
Ajoutons pour conclure que l’ampleur des « avoirs en compte de
virement » des banques suisses auprès de la BNS, conjuguée au rôle
d’interface que joue la BNS entre les banques suisses et le marché de la
spéculation sur la dette européenne (8), est un autre élément qui laisse
présager d’une issue peu favorable pour le citoyen.
Vincent
Held, économiste, Master of Science in Finance HEC Lausanne
Références
1) La
Banque nationale suisse s’expose à des risques élevés, Bilan, 15 août
2016
2) Par exemple : Dominik
Studer : « la BNS peut fonctionner avec des fonds propres
négatifs », Le Temps, 15 juillet 2015
3) Par exemple : Pourquoi
les planches à billets ne créent plus d’inflation, Le Temps, 29 avril
2014
4) Qui
dirige la BNS ?, le Blog de Liliane Held-Khawam, 23 janvier 2016
5) Une conclusion à laquelle ce site était déjà parvenu dès le début
d’année 2014 sur simple analyse du bilan de la BNS : La
loi qui a permis la financiarisation à haut risque de la BNS, le Blog de
Liliane Held-Khawam, 14 janvier 2014
Le passif n’est pas moins inquiétant puisqu’on y trouve un compte
intitulé «comptes de virement des banques en Suisse», qui a littéralement
explosé.
Il s’agit des dépôts des établissements financiers auprès de la BNS,
qui sont passés de 7 milliards en 2004 à près de 318 milliards en
2013. Est-ce par ce compte que la BNS finance ses devises?
Les deux comptes ci-dessus montrent le gigantesque déséquilibre de ce
bilan. La BNS a immobilisé des actifs sur le long terme en devises étrangères
et en grande partie sous forme de créances gouvernementales, en échange
d’emprunts bancaires tout aussi gigantesques en francs et à court terme. Elle
finance donc le long terme avec du court terme!
A lire également : BNS:
taille et financement du bilan 2015. le Blog de Liliane Held-Khawam, 29.01.
2016
6) Le
bilan de Crédit Suisse est un terrain miné (en allemand),
InsideParadeplatz, 03.08.2016
7) Ce rapport du Conseil fédéral propose de reprendre dans le droit suisse
les mesures de ponctions de comptes bancaires déjà prévues par l’Ordonnance
de la Finma sur l’insolvabilité bancaire.
Et pour approfondir : Ponction
des comptes bancaires : la Suisse s’y met ! P Herlin, Goldbroker
8) A travers son rôle-clé dans le fonctionnement de certains produits
« repo » commercialisés par une plateforme boursière
allemande : La
Banque nationale suisse au cœur de la finance spéculative européenne, le
Blog de Liliane Held-Khawam, 22.01.2016
Par Bilan.ch
Le bilan de la Banque nationale suisse (BNS) n’en finit plus de
grossir. Myret Zaki analyse cette croissance sans fin et surtout la
composition de celui-ci, qui laisse apparaître de fortes disparités,
notamment au détriment de l’or.
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