Le travail: toujours une valeur? Et a-t-il encore de la valeur?
Le commerce et, d’une manière générale, les échanges transfrontaliers
entre nations, ont considérablement amélioré nos conditions de vie. Mais, en
fait, que ferait-on sans commerce ? En d’autres termes, s’il fallait tout
réaliser soi-même sans faire appel à d’autres corps de métier, à d’autres
entreprises et à d’autres nations dont la spécialité n’est guère disponible
dans notre pays ?
Une expérience en ce sens fut menée par un étudiant, Andy George, qui
tenta le coup de se confectionner un sandwich à partir de zéro, c’est-à-dire
en fabriquant et en cultivant lui-même les ingrédients nécessaires. Visible
sur You
tube, cette entreprise dont l’essence même était de ne pas faire appel à
une quelconque transaction commerciale dans l’élaboration du sandwich fut un
supplice ! Andy George dut en effet faire lui-même son propre pain, cultiver
ses légumes, fabriquer son fromage, tout en trichant un peu quand même
puisqu’il utilisa des ustensiles de cuisine qui auraient dû également, selon
cette logique, être créés dans le cadre d’une économie évoluant en autarcie.
Le résultat de cette expérience fut éloquent puisqu’il lui fallut six mois et
1’500 dollars pour obtenir cette collation…alors que – de nos jours –
quelques dollars et quelques minutes pour se rendre au supermarché suffisent
pour se procurer un sandwich !
C’est donc précisément la liberté totale de commercer qui nous permet ce
luxe, et bien d’autres. Dans le même ordre d’idées, une heure de travail
produisait dix minutes de lumière artificielle en 1800, et 300 jours de
lumière aujourd’hui. Un kilowatt d’électricité généré par cinq minutes de
notre temps en 2017 nécessitait une heure entière de labeur en 1900. Un
cheeseburger chez McDonald’s – qui exigeait 30 minutes de travail en 1950 –
est désormais prêt en 3 minutes ! Nous l’avons compris : le développement et
les progrès économiques permettent de réduire les délais de fabrication et de
production des denrées nécessaires à notre vie quotidienne. C’est à l’aune de
ce type d’évolutions que l’on mesure l’enrichissement de nos sociétés.
Ne nous affligeons donc surtout pas – s’il vous plaît ! – sur la
disparition de certaines professions ni de la tombée en désuétude de certains
métiers car les évolutions actuelles rayent précisément de la carte nombre de
ces travaux qui autrefois asservissaient des pans entiers de travailleurs.
Zola ne saurait effectivement plus quoi écrire aujourd’hui car les conditions
de travail de 2017 – et a fortiori des années à venir – sont radicalement
différentes. La notion de travail elle-même se retrouve aujourd’hui remise en
question car une économie comme la nôtre basée principalement sur les
services offre des horizons et des opportunités naguère insoupçonnables.
Accueillons donc avec allégresse et optimisme le déclin de nos emplois
industriels d’antan car – à l’ère de la robotisation- ils appartiennent au
passé, à ce passé qui exigeait sa ration de chair humaine – de «bête humaine»
pour reprendre Zola. Ces gains de productivité spectaculaires profitent à
l’ensemble de la société – aux riches mais aussi aux pauvres- par la courroie
de transmission des prix en constant déclin. Ils autorisent en outre de
précieux gains de temps, de ce temps qu’il nous est désormais possible de
consacrer à des activités nous tenant à cœur. Enfin, ces gains de
productivité économisent des ressources précieuses et pour notre planète et
pour d’autres activités.
Mais allons encore plus loin dans le raisonnement car ce paradigme nouveau
exige également une approche nouvelle de la notion même de travail. En effet,
pourquoi rester fixé sur les statistiques des créations d’emploi à l’heure où
le travail n’est plus forcément une fin en soi ? Si, de tous temps, il a
évidemment fallu travailler pour vivre – et pour vivre mieux-, il semblerait
bien que le chômage et que le travail humain ne soient plus, dans un avenir
proche, appelés à rester une composante incontournable de la politique
économique. L’humanité a aujourd’hui atteint un tel niveau de richesses. Les
progrès nous autorisent un tel niveau de confort. Qu’il en devient indécent
de s’attarder sur une notion de travail désormais ringardisée, et génératrice
d’immobilisme. Acceptons cette destruction qui s’avère déjà créatrice et
féconde.
Michel Santi