Article de Richard Duncan, publié le 7 juillet 2016 sur DailyReckoning.com :
Alors les dieux du marché vacillèrent, et leurs sorciers enjôleurs se retirèrent,
et les cœurs les plus vils furent humiliés et commencèrent à croire en cette vérité,
que tout ce qui brille n’est pas de l’or, et que deux et deux font quatre.
– Rudyard Kipling, 1919
Lorsque le système monétaire international de Bretton Woods est tombé en panne en 1973, les responsables financiers du monde ont été incapables de se mettre d’accord sur un nouvel ensemble de règles pour réglementer le commerce international et les relations monétaires. Au lieu de cela, un nouveau système a commencé à émerger sans accord ou sanction formels. Il est également resté sans nom.
Ainsi, le système monétaire international actuel, qui a vu jour à l’issue de l’effondrement du système de Bretton Woods, a été désigné sous l’appellation « étalon dollar » – tout simplement parce que le dollar américain est devenu la première monnaie de réserve mondiale en volant ainsi la vedette de l’or, qui constituait pourtant les actifs mondiaux de réserve sous le système de Bretton Woods, ainsi que sous le système de l’étalon-or classique du XIXe siècle.
La première chose qu’il faut souligner concernant l’étalon dollar, c’est qu’il a permis aux États-Unis de financer des déficits courants extraordinairement élevés, en vendant notamment des titres de créance à leurs partenaires commerciaux, au lieu de payer pour leurs importations avec de l’or, comme cela aurait été nécessaire dans le cadre du système de Bretton Woods ou dans celui de l’étalon-or.
De cette manière, l’étalon dollar a inauguré l’ère de la mondialisation, en permettant au reste du monde de vendre ses produits aux États-Unis à crédit. Cet arrangement a eu l’avantage de permettre une croissance économique beaucoup plus rapide, en particulier dans de larges parties du monde qui étaient – ou le sont toujours – en phase de développement.
Notons aussi que ce nouveau statu quo a également eu l’avantage de faire baisser les prix pour les consommateurs et, partant, les taux d’intérêt aux États-Unis. Cela se doit principalement au fait que les produits manufacturés bon marché, fabriqués grâce à une main-d’œuvre à très faible coût, ont été importés aux États-Unis en quantités et à des fréquences croissantes.
Cela étant dit, il devient de plus en plus évident, d’autant plus dans la conjoncture économique actuelle, que l’étalon dollar a également entraîné un certain nombre de conséquences indésirables et potentiellement désastreuses.
Tout d’abord, l’on peut affirmer sans aucun doute que les pays qui ont accumulé de quantités importantes de réserves monétaires – notamment grâce à l’excédent de leur balane des payements –, ont également connu de sérieuses surchauffes économiques ainsi qu’une hyperinflation des prix des actifs, ce qui a finalement abouti à un effondrement économique.
Le Japon et les pays qui ont été bafoués par la crise asiatique sont les exemples les plus parlants de pays qui ont souffert de ce processus. Ils ont été en mesure d’éviter un effondrement économique complet, que parce que leurs gouvernements se sont très lourdement endettés afin de sauver leurs banques en faillite. Notons, à ce propos, qu’actuellement la Chine traverse une crise similaire.
Deuxièmement, des failles dans le système monétaire international actuel ont également donné lieu à une surchauffe économique et à l’hyperinflation des prix des actifs aux États-Unis. Notons à ce propos que les partenaires commerciaux du géant nord-américain ont réinvesti leurs surplus en actifs libellés en dollars.
Les acquisitions de ces États en matière d’actions, d’obligations de sociétés ou encore de dettes des agences américaines, ont contribué à alimenter la bulle du marché boursier. Elles ont également encouragé la mauvaise allocation du capital social des sociétés et, enfin, elles ont contribué à faire baisser les prix de l’immobilier aux États-Unis à des niveaux insoutenables.
Troisièmement, la création de crédit, que l’étalon dollar a rendue possible, a entraîné un surinvestissement à grande échelle, et ce dans presque tous les secteurs. Notons que ce surinvestissement a produit une capacité excédentaire et des pressions déflationnistes, qui dégradent actuellement la rentabilité des entreprises, et ce dans les quatre coins du monde.
L’on peut donc dire que l’économie américaine est prise d’assaut par l’immense fardeau de la dette de son secteur corporatif ainsi que de celui de ses consommateurs. Le reste du monde a connu une croissance dépendante de ses exportations vers les États-Unis et, qui plus est, il a permis aux États-Unis de payer pour une grande partie de ses importations à crédit.
La Fed n’a pas été la seule banque centrale à créer de la monnaie fiduciaire au fil des années. Les banques centrales en dehors des États-Unis ont accumulé de grandes quantités de dollars comme réserve de change depuis les années 1980. Ce fut donc une deuxième source de liquidités. Elle peut être mesurée par l’augmentation des réserves de change.
Dans le but d’empêcher leurs monnaies de s’apprécier, de nombreuses banques centrales à travers le monde entier ont créé leurs propres monnaies et les ont utilisées afin d’acheter les dollars qui entrent dans leurs économies, en raison de leurs excédents commerciaux avec les États- Unis.
Une fois que ces banques ont acheté des dollars, elles les investissaient dans des actifs libellés en dollars américains afin d’en obtenir un rendement. Les deux pics précédents en excès de liquidité ont eu lieu en 2000, au moment de la bulle NASDAQ, et en 2006, au moment de la bulle immobilière. C’est par ailleurs l’excès de liquidité qui a provoqué ces bulles.
Les partenaires commerciaux des États-Unis sont confrontés à un dilemme. Soit ils peuvent continuer à investir leurs surplus de dollars dans des actifs libellés en dollars malgré des raisons très convaincantes de douter de la sécurité de tels investissements ; soit ils peuvent convertir leurs surplus de dollars dans leurs propres monnaies, ce qui entraînerait l’appréciation de celles-ci, et donc la baisse de leurs exportations et de leurs taux de croissance économique.
Force est de constater qu’aucun de ces deux scénarios n’est très attrayant, en particulier compte tenu de la fragilité économique de la plupart de ces pays ainsi que des montants énormes, nécessaires pour financer le déficit courant des États-Unis.
Au cours des dernières années, de graves cycles d’expansion et de récession ont frappé de force les systèmes financiers et les finances publiques des pays témoignant d’un fort excédent relatif à leurs balances des payements. En effet, la création excessive de crédit a alimenté le surinvestissement et a abouti à de fortes pressions déflationnistes à travers le monde entier.
Le réinvestissement des surplus de dollars dans des actifs libellés en dollars a facilité l’expansion incroyable de la dette des États-Unis, qui a porté atteinte à la solvabilité de son secteur corporatif ainsi qu’à celui de ses consommateurs, à un tel point que cela empêche le pays de continuer à jouer le rôle de moteur de la croissance mondiale.
En guise de conclusion, l’on peut dire que l’économie mondiale est dans un état de déséquilibre extrême. Les failles dans le système monétaire international sont responsables de ce déséquilibre. Ces déséquilibres finiront par aboutir à un effondrement de la valeur du dollar américain et, partant, à une récession économique mondiale continue.
Le système doit éventuellement changer. La seule question est de savoir à quel point la transition sera douloureuse.