Cette semaine,
nous nous pencherons sur un épisode très peu connu de
l’histoire du dollar et de la Réserve Fédérale,
plus précisément sur la première guerre mondiale et la
récession des années 1920 qui s’en est ensuivie.
Nous savons
tous que la Réserve Fédérale se vit donner une existence
légale en 1913, juste à temps pour la première guerre
mondiale. Peu de temps après l’éclatement de la guerre,
les Etats-Unis traversèrent une crise de liquidités qui fut
prise en main par le ‘système bancaire de compensation’
mis en vigueur par l’Acte Aldrich-Vreeland de
1908. La Réserve Fédérale n’avait pas encore
été mise en place et n’était pas encore
opérationnelle.
Les Etats-Unis
prirent part au conflit dès le mois d’avril 1917, alors que les
banques de la Réserve Fédérale devenaient
opérationnelles. Dès son premier jour, la Fed fut forcée
de maintenir très bas les taux d’intérêts afin de
permettre au gouvernement d’emprunter pour pouvoir financer
l’effort de guerre. Voici comment Richard Timberlake
décrit la situation dans son excellent ouvrage intitulé Monetary Policy in the United States: an Intellectual and Political History:
‘A
l’époque où les Etats-Unis prirent part à la
première guerre mondiale, les banques de la réserve
Fédérale devenaient tout juste opérationnelles. Presque
immédiatement, le Département du Trésor affirma sa
dominance. Selon un rapport officiel de 1917, la politique de rabais du
Trésor consistait dans ‘le maintien des taux en harmonie avec
les faibles taux d’intérêts portés par les emprunts
des Etats-Unis’. En 1918, un nouveau rapport indiquait à son
tour que ‘les politiques et exigences du Trésor ont
été coordonnées et, en raison de la guerre,
gouvernées par ses propres demandes’. Ce même rapport
admettait également que les taux d’actualisation étaient
basés sur les taux d’intérêts pesant sur les
obligations du gouvernement des Etats-Unis, ‘et devraient pour
l’instant continuer d’être contrôlés afin que
les exigences du Trésor puissent être respectées’.
La direction de la Réserve Fédérale a reconnu son devoir
de coopérer avec le gouvernement et de lui fournir les fonds dont il
avait besoin pour la guerre’.
‘Le
rapport annuel de 1919 excuse la soumission de la Fed aux volontés du
Trésor en décrétant qu’aucune augmentation des
taux d’intérêts n’aurait été
suffisante à persuader les marchés d’absorber les
obligations du Trésor. Il lui était nécessaire de
coopérer avec ce dernier de quelque manière que ce soit afin de
faciliter tout d’abord la vente des obligations du gouvernement puis
l’absorption de ces dernières par les investisseurs’.
Comme vous
pouvez vous l’imaginer, tout cela était synonyme
d’impression monétaire. Voici ci-dessous ce qui est
arrivé à la masse monétaire des Etats-Unis durant cette
période – les données sont tirées du livre de
Milton Friedman intitulé Une
Histoire Monétaire des Etats-Unis, 1867-1960 :
Notons que
quelque chose d'assez amusant commence à apparaître dès
le début de l’année 1915. En creusant un peu, nous
pourrions peut-être arriver à déterminer de quoi il
s’agit. Nous reviendrons donc sur ce point un autre jour.
Voici ce que
nous obtenons durant les années 1940 – ces données
proviennent de la Fed de Saint Louis :
Nous pouvons
relever certains détails intéressants à partir de ce
graphique. Premièrement, rien ne semble se passer au cours des
années 1920, malgré le climat de croissance économique.
A la fin de l’année 1929, alors que la Grande Dépression
s’installe, nous pouvons noter que la masse monétaire est en
pleine expansion. Cela paraît tout à fait logique
puisqu’à l’époque, en de telles circonstances, les
retraits faisaient pression sur les banques et la possession directe de
papier monnaie devenait certainement plus populaire. Les arguments que vous
avez pu entendre quant à une réduction de la masse monétaire
ne tiennent que de la fiction – ils concernent M2, ce qui signifie les
dépôts bancaires, et non la base monétaire.
Mais revenons
à nos moutons…
Durant la
guerre, un embargo sur l’or fut lancé aux Etats-Unis, ce qui
signifie que personne ne pouvait acheter, vendre ou exporter de l’or.
La banque d’Angleterre avait dès 1914 suspendu la
convertibilité de ses billets de banque en or, faisant de la livre
sterling une devise flottante. Des livres sterling furent ensuite imprimées
afin de financer l’effort de guerre du gouvernement Britannique. Au
début de la première guerre mondiale, la base monétaire
de la devise Anglaise était estimée à 200 millions de
livres, selon le livre Sterling: the History of
a Currency. Avant la fin de
l’année 1919, elle avait déjà atteint 550 millions
de livres.
Voici un
graphique représentant les réserves d’or des banques
Américaines :
Au
début de la guerre, les réserves d’or physique des
banques augmentaient. J’interprète cette information comme
correspondant à un redoublement de l’intérêt
porté par les Européens au dollar et aux actifs en dollars,
à une époque où leurs gouvernements étaient tous
en guerre les uns contre les autres. Nous pouvons toutefois noter une phase
de déclin entre 1917 et 1919. Il s’agit probablement ici de la
période durant laquelle a été imposé
l’embargo sur l’or.
Voici
maintenant un graphique représentant les importations et exportations
d’or des Etats-Unis. Les données négatives indiquent des
exportations :
Nous pouvons constater
un bref mouvement sortant au moment où la guerre explose en Europe,
suivi de près d’un flux entrant, ce qui suggère encore
une fois que les Européens se sont jetés sur le dollar. Un
second flux sortant apparaît en 1917, laissant place à un mouvement
négatif, ce qui représente certainement un échange en
masse de billets de banque contre de l’or. Entre le milieu de 1918 et
le milieu de 1919, la situation est stable, du fait de l’embargo
imposé sur les exportations d’or. Lorsque cet embargo fut
levé à la fin de la guerre, un important flux sortant
d’or a pu être enregistré. La Fed a répondu
à cela en réduisant la base monétaire, transformant
ainsi le flux sortant en un flux entrant. Vous pourrez retrouver ces
informations dans le rapport de la Fed intitulé Banking
and Monetary Statistics, que
vous trouverez dans les archives FRASER de la Fed de Saint Louis (Je
rends mes sources publiques afin que vous puissiez, si vous le
désirez, créer vos propres graphiques).
Ce qu’il
s’est passé, c’est que la Fed a été
poussée par le Trésor à faciliter le financement de
l’effort de guerre et donc à imprimer bien trop de monnaie
papier. En ont découlé des rachats d’or qui ont ensuite
pris fin suite à un édit gouvernemental. Après la
guerre, ces rachats d’or se firent de plus en plus nombreux, indiquant
la faiblesse du dollar en comparaison à sa contrepartie
métallique. La Fed et les banques (la Fed n’avait à
l’époque pas encore le monopole d’impression
monétaire) réagirent à cela en réduisant la base
monétaire.
La
démobilisation des troupes, la chute de la demande en biens et
services liés à la guerre et l’inflation monétaire
débouchèrent à la fin des années 1920 sur une
récession au cours de laquelle les prix chutèrent
considérablement. Le graphique ci-dessous est intitulé
‘Indice des Prix à la Consommation’, mais je suis
persuadé qu’il s’agit plutôt de l’indice de
prix de l’Agence Américaine des Statistiques et du Travail
–un indice de prix des matières premières qui n’est
pas réellement comparable à l’indice des prix à la
consommation, qui fut compilé quant à lui à partir de
1940. En revanche, il n’en est pas moins que cet indice se stabilise
à un niveau bien supérieur à celui d’avant-guerre.
Il
y aurait d’autres choses à relever quant à cette
période historique, mais je m’y attarderai dans un prochain
article.
Nathan Lewis
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