Ouf !
Un accord serait finalement intervenu nous dit-on à Athènes, la
Grèce serait sauvée, et la zone euro avec elle. Mais
pouvait-on réellement en douter ces derniers jours ?
Les
réunions et les conciliabules se sont multipliés, afin de
raccorder les bords au départ si éloignés de la plaie et
aboutir au miracle toujours renouvelé d’un compromis, ayant en
commun avec les précédents de gagner du temps mais de ne rien
régler. Insolvable était la Grèce, insolvable elle
reste, quand bien même la nouvelle échéance va être
reportée à 2014. En attendant, l’économie grecque
va continuer de plonger et la société de souffrir.
Les
détails du nouveau plan ne sont pas connus. Sans doute ne sont-ils pas
bouclés, car le propre des accords européens de ces derniers
temps est d’être annoncés avant
d’avoir été finalisés. C’est qu’il
faut au plus vite rassurer les marchés ! Un cocktail de
mesures additionnant un nouveau prêt, une austérité
renforcée pour les Grecs et la vente ou la mise en concession
d’actifs du pays a été finalement concocté,
incluant le plus débattu, le plus difficile à mettre au
point : une participation des créanciers privés,
c’est à dire des banques européennes.
Disons-le
tout de suite, elles n’ont rien à redouter. Si elles vont devoir
– sur une base volontaire selon toute vraisemblance déjà
négociée – « rouler » une partie de
la dette grecque qu’elles possèdent, une formule de compensation
financière jouant sur le taux d’intérêt a
été trouvée, afin qu’en dépit de ce
rééchelonnement qui ne dit pas son nom elles ne perdent pas
dans l’opération un seul euro. On sera curieux,
également, de connaître la répartition entre les banques
de ce fardeau et de noter à combien
s’élèvera la contribution des banques grecques
elles-mêmes, soutenues à bout de bras par la BCE. Tout cela est
cousu de grosses ficelles. Fallait-il réunir tant de science pour
aboutir à un tel résultat ?
Oublions
cependant l’anecdotique pour nous pencher sur le fond de
l’histoire. Bien des raisons immédiates concourent pour
expliquer qu’un défaut grec sur sa dette, même le plus soft
possible, même qualifié de reprofilage pour le rendre
anodin, n’était pas envisageable pour les gardiens du Temple.
Mais il y a derrière une raison encore plus impérieuse, qui
vaut en Europe comme en ce moment même aux États-Unis, avec la
bataille qui s’y déroule entre démocrates et
républicains autour du déplafonnement de la dette publique,
afin également de ne pas faire défaut.
Le
système financier ne peut admettre qu’un défaut
survienne, même provenant de ce petit pays qu’est la
Grèce, car il appartient à la zone euro et y ferait
jurisprudence. Les obligations de la dette publique sont un
élément constitutif essentiel de la solidité du
système bancaire, un levier sur lequel prend appui tout
l’édifice de la dette, à commencer par celle des banques
elles-mêmes. Ce serait donc de l’inconscience que de retirer la
baguette du dessous au jeu du mikado.
Un
référent est nécessaire pour que ce système
pyramidal inversé qui repose sur la pointe, la valeur de dernier
ressort que la dette des Etats et leur capacité à
l’honorer envers et contre tout représente en ultime instance.
Car dans ce domaine, il ne vaut mieux pas compter sur les banques, comme
elles sont les premières à le savoir.
C’est
pourquoi elles bloquent, avec toute l’énergie que procure le
fait d’être le dos au mur, tout renvoi vers elles de la patate
chaude de la dette qu’elles sont parvenues à refiler aux
États. Un seul chiffre illustre l’étendue du problème
dans le cas des États-Unis, qui reste pour le moment le pivot du
système financier international : la Federal
Reserve a acheté et détient plus de 2.000 milliards de dollars
d’obligations du Trésor et d’obligations
hypothécaires. Sans compter ce dont Fannie Mae et Freddie Mac
regorgent, avec la garantie de l’État.
Voilà
l’enjeu : si les États se révélaient
incapables d’assumer la mission qui leur est assignée,
l’implosion du système qui est bien engagée irait
irrévocablement jusqu’à son terme.
Que
faire alors pour l’éviter ? Rouler la dette (la refinancer
en permanence sans la diminuer) est de plus en plus onéreux au fur et
à mesure que les taux montent, rien ne garantissant leur
stabilité, même pour les mieux lotis. Il ne reste plus pour les
gouvernements qu’à accroître leurs recettes fiscales et
à couper dans leurs budgets, en faisant semblant de ménager
équitablement la chèvre et le choux.
Nous
sommes entrés dans une nouvelle longue période –
où les marges de manœuvre sont singulièrement
rétrécies et les partages moins équivoques – qui
impose à ceux d’en bas de se soumettre ou de se démettre,
de se résigner ou de s’indigner. Pour au moins refuser, et
peut-être plus si affinité…
En
dépit d’un contexte différent, mais qui n’est pas
sans exprimer des connivences, le vent qui continue de souffler dans des
conditions très dramatiques en Syrie démontre que la
résignation n’est pas nécessairement destinée
à l’emporter. Ils luttent là-bas pour une
démocratie dont nous disposons en Europe, selon la fine analyse du
ministre français des affaires étrangères, lequel
déclare ne pas croire à un mouvement européen de la
force de celui qui balaye les pays du Moyen-Orient. Ce n’est pas ce que
l’on a cru entendre à la Puerta del Sol ou sur la place Syndagma.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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