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Le dos au mur

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Published : June 06th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Ouf ! Un accord serait finalement intervenu nous dit-on à Athènes, la Grèce serait sauvée, et la zone euro avec elle. Mais pouvait-on réellement en douter ces derniers jours ?


Les réunions et les conciliabules se sont multipliés, afin de raccorder les bords au départ si éloignés de la plaie et aboutir au miracle toujours renouvelé d’un compromis, ayant en commun avec les précédents de gagner du temps mais de ne rien régler. Insolvable était la Grèce, insolvable elle reste, quand bien même la nouvelle échéance va être reportée à 2014. En attendant, l’économie grecque va continuer de plonger et la société de souffrir.


Les détails du nouveau plan ne sont pas connus. Sans doute ne sont-ils pas bouclés, car le propre des accords européens de ces derniers temps est d’être annoncés avant d’avoir été finalisés. C’est qu’il faut au plus vite rassurer les marchés ! Un cocktail de mesures additionnant un nouveau prêt, une austérité renforcée pour les Grecs et la vente ou la mise en concession d’actifs du pays a été finalement concocté, incluant le plus débattu, le plus difficile à mettre au point : une participation des créanciers privés, c’est à dire des banques européennes.


Disons-le tout de suite, elles n’ont rien à redouter. Si elles vont devoir – sur une base volontaire selon toute vraisemblance déjà négociée – « rouler » une partie de la dette grecque qu’elles possèdent, une formule de compensation financière jouant sur le taux d’intérêt a été trouvée, afin qu’en dépit de ce rééchelonnement qui ne dit pas son nom elles ne perdent pas dans l’opération un seul euro. On sera curieux, également, de connaître la répartition entre les banques de ce fardeau et de noter à combien s’élèvera la contribution des banques grecques elles-mêmes, soutenues à bout de bras par la BCE. Tout cela est cousu de grosses ficelles. Fallait-il réunir tant de science pour aboutir à un tel résultat ?


Oublions cependant l’anecdotique pour nous pencher sur le fond de l’histoire. Bien des raisons immédiates concourent pour expliquer qu’un défaut grec sur sa dette, même le plus soft possible, même qualifié de reprofilage pour le rendre anodin, n’était pas envisageable pour les gardiens du Temple. Mais il y a derrière une raison encore plus impérieuse, qui vaut en Europe comme en ce moment même aux États-Unis, avec la bataille qui s’y déroule entre démocrates et républicains autour du déplafonnement de la dette publique, afin également de ne pas faire défaut.


Le système financier ne peut admettre qu’un défaut survienne, même provenant de ce petit pays qu’est la Grèce, car il appartient à la zone euro et y ferait jurisprudence. Les obligations de la dette publique sont un élément constitutif essentiel de la solidité du système bancaire, un levier sur lequel prend appui tout l’édifice de la dette, à commencer par celle des banques elles-mêmes. Ce serait donc de l’inconscience que de retirer la baguette du dessous au jeu du mikado.


Un référent est nécessaire pour que ce système pyramidal inversé qui repose sur la pointe, la valeur de dernier ressort que la dette des Etats et leur capacité à l’honorer envers et contre tout représente en ultime instance. Car dans ce domaine, il ne vaut mieux pas compter sur les banques, comme elles sont les premières à le savoir.


C’est pourquoi elles bloquent, avec toute l’énergie que procure le fait d’être le dos au mur, tout renvoi vers elles de la patate chaude de la dette qu’elles sont parvenues à refiler aux États. Un seul chiffre illustre l’étendue du problème dans le cas des États-Unis, qui reste pour le moment le pivot du système financier international : la Federal Reserve a acheté et détient plus de 2.000 milliards de dollars d’obligations du Trésor et d’obligations hypothécaires. Sans compter ce dont Fannie Mae et Freddie Mac regorgent, avec la garantie de l’État.


Voilà l’enjeu : si les États se révélaient incapables d’assumer la mission qui leur est assignée, l’implosion du système qui est bien engagée irait irrévocablement jusqu’à son terme.


Que faire alors pour l’éviter ? Rouler la dette (la refinancer en permanence sans la diminuer) est de plus en plus onéreux au fur et à mesure que les taux montent, rien ne garantissant leur stabilité, même pour les mieux lotis. Il ne reste plus pour les gouvernements qu’à accroître leurs recettes fiscales et à couper dans leurs budgets, en faisant semblant de ménager équitablement la chèvre et le choux.


Nous sommes entrés dans une nouvelle longue période – où les marges de manœuvre sont singulièrement rétrécies et les partages moins équivoques – qui impose à ceux d’en bas de se soumettre ou de se démettre, de se résigner ou de s’indigner. Pour au moins refuser, et peut-être plus si affinité…


En dépit d’un contexte différent, mais qui n’est pas sans exprimer des connivences, le vent qui continue de souffler dans des conditions très dramatiques en Syrie démontre que la résignation n’est pas nécessairement destinée à l’emporter. Ils luttent là-bas pour une démocratie dont nous disposons en Europe, selon la fine analyse du ministre français des affaires étrangères, lequel déclare ne pas croire à un mouvement européen de la force de celui qui balaye les pays du Moyen-Orient. Ce n’est pas ce que l’on a cru entendre à la Puerta del Sol ou sur la place Syndagma.



Billet rédigé par François Leclerc



Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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